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Gains, déceptions et promesses d’un deal historique [INTÉGRAL]

Trois ans se sont écoulés depuis la signature de la fameuse Déclaration tripartite entre le Maroc, les Etat-Unis et Israël. Le 22 décembre 2020, quelques jours après le célèbre tweet de l’ex-président américain Donald Trump, son gendre, Jared Kushner, alors Haut conseiller à la Maison Blanche, et l’ex-conseiller à la Sécurité nationale d’Israël, Meir Ben Shabbat, sont venus signer, devant SM le Roi, la Déclaration en vertu de laquelle le Maroc et Israël ont rétabli leurs relations diplomatiques et les Etats-Unis ont reconnu la souveraineté du Royaume sur son Sahara. 

Washington, désireux d’instaurer une paix durable entre Israël et le monde arabe, a pesé de tout son poids et a déployé tout son génie diplomatique pour parvenir à cet accord avec des garanties qui engagent la crédibilité des Etats-Unis. 
 

Constance dans l’ambiguïté !

Bien que signée par sa bête noire, le président Joe Biden a maintenu la proclamation présidentielle de Trump reconnaissant la marocanité du Sahara. Certes, le soutien américain est palpable aux niveaux juridique et politique, outre quelques ambiguïtés rhétoriques en provenance de certains responsables américains. Car oui, depuis son arrivée à la Maison blanche, l’administration Biden, qui a gardé quelques vieux réflexes de celle d’Obama, tente de ménager le chou et la chèvre sur la question du “Sahara marocain”. Washington déclare, certes, que la position américaine sur le sujet reste inchangée, mais il n’en demeure pas moins que le Département d’Etat se contente, dernièrement, de souligner le soutien au plan d’autonomie, le considérant comme étant « sérieux, crédible et réaliste », sans pour autant reprendre la formulation claire et nette, appuyant la « marocanité du Sahara ». Dans le texte de la déclaration tripartite, les Etats-Unis réaffirment leur soutien à “la proposition d’autonomie sérieuse, crédible et réaliste du Maroc comme seule base pour une solution juste et durable du différend sur le territoire du Sahara”.

Que retenir de l’attitude américaine? Pas question d’y voir un changement, explique Yasmina Asrarguis, chercheure à l’institut Open Diplomacy et spécialiste des relations israélo-arabes et des accords d’Abraham, qui estime que la position américaine actuelle est le reflet de la méthode démocrate qui donne plus d’importance au multilatéralisme, une façon de se démarquer de la méthode Trump. « Le Secrétaire d’Etat, Anthony Blinken, joue l’art de la diplomatie de façon classique et voit en l’ONU un véhicule crucial du multilatéralisme », précise notre interlocutrice qui considère qu’il ne faut jauger la position américaine que par les actes au niveau du Conseil de Sécurité. “Les déclarations hors Conseil de Sécurité n’ont guère d’importance”, préciset-elle, rappelant que Washington a soutenu le plan d’autonomie dans la Résolution 2703. Un texte dont s’est félicitée la diplomatie marocaine qu’elle considère comme un acquis. Mais loin des considérations politico-politiciennes, la signature de l’accord en 2020 a inauguré une dynamique d’affaires sans précédent, entre les deux pays. Les chiffres sont, certes, en deçà des attentes et loin des annonces faites il y a trois ans, mais les perspectives restent néanmoins prometteuses. En témoigne la hausse des IDE américains au Maroc qui ont augmenté de 436 millions en 2020 à 7,4 milliards de DH en 2022. Outre cela, Washington s’est montré plus engagé sur le plan militaire. En témoignent les contrats récemment signés, dont celui des fameux lance-roquettes HIMARS.
 

Dakhla : un consulat invisible !

Par ailleurs, d’autres promesses de la Déclaration tripartite n’ont pas encore été honorées, dont le très attendu Consulat américain à Dakhla qui n’a pas encore vu le jour. Pis! Même l’antenne virtuelle, annoncée en grande pompe par l’ex-Secrétaire d’Etat, Mike Pompeo, n’a pas encore été activée. Nous sommes très loin des images pompeuses de la visite du sous-secrétaire de Trump pour l’Afrique du Nord, David Schenkner, et l’ex-ambassadeur américain, David Fisher, dans la perle du Sud où ils ont visité un local censé abriter le futur consulat. Sur ce point, les diplomates américains à Rabat n’ont pas de réponse. “Le blocage tient à des raisons politiques plutôt qu’à des considérations sécuritaires”, lâche pourtant une source diplomatique sous couvert d’anonymat. Le blocage vient du Capitole où le lobby pro-Polisario au sein des démocrates s’empresse de faire obstruction à l’installation du consulat. 

On s’en est aperçu lorsque les démocrates, relativement majoritaires au Sénat, sous la houlette du président du Comité d’affectation, Patrick Leahy, se sont opposés à financer le consulat sous prétexte que les fonds alloués au Département d’Etat en ce qui concerne le Sahara doivent servir à faire avancer le processus politique. La successeure de Leahy à la tête dudit comité, Patty Murray, elle aussi démocrate, demeure imprévisible jusqu’à présent. 

Au-delà du Capitole, le blocage du consulat à Dakhla ne fait pas l’unanimité chez les diplomates, dont certains ne voient aucun mal à établir un consulat au Sahara. C’est le cas d’Asha Castleberry-Hernandez, conseillère au Département d’Etat et membre du Foreign Policy Research Institute, qui juge évident que les Etats-Unis ouvrent une représentation consulaire par respect à leurs engagements. Il en va de leur crédibilité. Aussi, l’ex-candidate démocrate au Congrès estime-t-elle que cette implantation est logique au moment où Washington œuvre à amplifier sa présence en Afrique face à la montée en puissance de nouveaux acteurs, surtout la Chine, qui ne cessent de grignoter du terrain. “Le Maroc est au sommet de l’Afrique. Les Etats-Unis sont appelés à y investir plus, non seulement pour faire face à la montée en puissance de la Chine en Afrique, mais parce que c’est l’un des principaux alliés dans la région avec lequel nous partageons un certain nombre de valeurs”, plaide, pour sa part, Gina Abercrombie-Winstanley, ex-senior advisor au Département d’Etat qui a servi sous le mandat d’Antony Blinken. D’où l’importance des trois milliards de dollars promis par « United States International Development Finance Corporation » dans le cadre d’un mémorandum d’entente signé avec le ministère de l’Economie et des Finances. Ces fonds promis sont censés financer, sur quatre ans, des projets conjoints maroco-américains au Sahara et en Afrique subsaharienne. Cela devrait faire du Royaume un hub dans la nouvelle stratégie de développement américaine en Afrique “Prosper Africa”. Pour l’instant, on trébuche !

A cela s’ajoutent d’autres signaux ambivalents en provenance de Washington, dont le blocage du contrat des drones Sea Guardian MQ-9B, signé dans le sillage de la Déclaration trilatérale. Ces drones hyper-sophistiqués, sur lesquels parie fortement le Maroc pour renforcer son arsenal aéronaval, sont toujours prisonniers des tractations politiques à Washington. Rien ne laisse augurer que ce contrat soit avalisé par le Congrès à court terme. 
 

Le pari des alliés du Maroc au Capitole !

Face à cette nébuleuse, le Maroc compte sur “ses amis” au Sénat, dont des poids lourds, tels que les Républicains Lindsey Graham et Dan Sullivan, et le Démocrate Bob Menendez, qui ont fait partie des délégations bipartisanes qui se sont rendues au Royaume au cours de cette année. Tous soucieux de préserver les accords d’Abraham au moment où la tension règne au Proche-Orient. Un long travail de lobbying attend le nouvel ambassadeur du Royaume à Washington, Youssef Amrani.  

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