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Il y a 28 ans, la première transplantation cardiaque a eu lieu au Maroc

 
Comment s’est déroulée la première greffe que vous avez réalisée le 24 septembre 1995 ?
J’ai eu l’honneur de diriger une équipe pluridisciplinaire dans l’optique de réaliser une opération de transplantation cardiaque à partir d’un mort cérébral. Ce fut la première dans l’Histoire du Maroc. Cette équipe, composée de plusieurs chirurgiens, cardiologues, spécialistes en rythmologie, en pharmacologie, biochimie, entre autres, s’est sacrifiée pendant de nombreux mois pour étudier à la seconde près l’exécution minutieuse et de concert d’une opération à très haut risque. Il y a eu d’abord au Maroc un travail en amont et en aval quant à la sensibilisation au don d’organes et à la transplantation d’organes. D’ailleurs, suite à cette opération réussie, au lendemain de cette date, nous avons donné plusieurs conférences de presse, ici et ailleurs, pour donner de l’espoir à toutes les familles qui ont un parent ou un proche souffrant et qui hésitent à sauter le pas. Seulement voilà, depuis cette date, nous avons constaté qu’il ne fallait pas seulement sensibiliser l’opinion publique et les familles concernées quant aux conditions de réussite d’une telle intervention mais aussi les praticiens qui peinaient ou peinent encore à sortir de leur zone de confort. Je voudrais, dans ce sens, citer le Pr Christian Cabrol, le chirurgien français qui a réalisé la première transplantation cardiaque en France et en Europe. Il disait qu’une greffe d’organe est un échange entre la mort de quelqu’un programmé pour vivre longtemps (puisque c’est un accident en général) et la vie d’un autre individu programmé pour partir tôt (c’est-à-dire un malade atteint de cardiopathie, par exemple).
Ce fut tout de même audacieux car à la date dont vous nous parlez, il n’y avait pas de législation en matière de greffe d’organes humains. Qu’est-ce qui a changé depuis?
L’audace est un devoir professionnel lorsqu’il s’agit de maladies graves. Aux yeux de l’éthique et de la déontologie, un chirurgien doit faire tout ce qu’il a à faire pour que progressent ses moyens d’actions. Bien sûr, tout cela dans le respect entier de la profession.
Aux États-Unis d’Amérique, les transplantations d’organes étaient déjà répandues dans les années 1990. Il s’agissait d’un simple contrat entre le donneur et le receveur. De plus, dans ce pays du globe, la législation le permet aisément. Il s’agit donc d’une opération normalisée depuis des générations. Un mort avec un cœur vivant permet à une personne qui tient à la vie de continuer à exister. De ce fait, lorsque dans une salle de réanimation il y a un mort cérébral entouré de sa famille, des chirurgiens engagés pour la cause de la réussite de la transplantation des organes à travers le pays font tout ce qu’ils peuvent pour convaincre les membres de cette famille, après la mort de leur proche, de sauver une autre personne qui vacille entre la vie et la mort. Une façon, humaine et poétique, de voir un organe de leur proche vivre dans le corps d’une autre personne.
A quel point les transplantations cardiaques sont-elles délicates au Maroc ?
En général, les transplantations cardiaques se font à un moment très délicat. En cas de contrat avant la mort du donneur, les chirurgiens se penchent sur l’opération elle-même. En cas de recherche de donneurs, la procédure peut jouer les prolongations. En 1995, nous avons reçu Houcine six mois avant son opération. Nous l’avons bichonné, et l’avons entouré d’une équipe pluridisciplinaire. Nous lui avons, surtout, assuré un suivi psychologique digne de ce nom, car il en avait besoin. La raison en est qu’il a reçu quelques « ok » de principe qui sont très vite devenus des «non ». Des promesses qui lui redonnaient goût à la vie mais qui s’avéraient fausses. Mais lorsqu’une âme charitable l’a bien voulu, nous avons pu lui transplanter le cœur d’un mort cérébral. L’opération a connu un franc succès car quelques heures après la greffe il a souri. Il a même vécu de longues et heureuses années avec ce cœur. Ce fut bouleversant et émouvant à la fois. Le défi d’une transplantation c’est qu’il s’agit d’une course contre la montre. Le cœur reste vivant quelques heures après la mort cérébrale, l’opération doit donc se faire en toute urgence.
 
Outre l’absence d’une entité régissant les transplantations d’organes au Maroc, la législation ad hoc demeure rachitique. Qu’en pensez-vous ?
Au Maroc, nous réclamons à cor et à cri la création d’une entité dédiée aux transplantations d’organes. Le bonheur pour moi n’est pas seulement de voir des transplantations d’organes se faire au Maroc. Ce qui me réjouirait le plus c’est de voir la création d’un établissement marocain des greffes comme en France.
Nous avons réalisé d’autres opérations après celle de Houcine. Il y en a qui ont réussi. Mais il y a aussi le cas d’une fillette qui a survécu pendant deux ans après la greffe. Le plus important, c’est que nous sommes capables de réaliser ce genre d’opérations au Maroc.
Après le contrat social il faut surveiller le greffé, grâce au suivi médicamenteux de ce que nous appelons les soins anti-rejet. Ce suivi est d’autant plus important qu’il faut être très regardant sur le dosage. Il ne faut en donner ni en-deçà ni au-delà de la dose prescrite par le spécialiste. Ce suivi est onéreux. Il est même plus coûteux que l’opération de la greffe elle-même. Ceci étant, la création d’une agence dédiée aux transplantations d’organes ne pourrait que mieux structurer la législation dans cette optique.
 
Propos recueillis par Houda BELABD

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