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Lahbib El Idrissi, rugueuses caresses

 

 Fin artiste et marginalisé par la profession, profondément grand et créateur de belles pièces enrichissant le patrimoine musical marocain, cet espiègle né est pourtant l’ami de grandes signatures de sa génération. Ils se côtoient, s’attablent sur quelques célèbres terrasses casablancaises (La Comédie, La Chope…) et chacun vaque ensuite à ses occupations, les unes plus conséquentes que les autres. On le croise régulièrement en palabres avec Hassan Kadmiri ou Tahar Jimmi.

Le regard souriant et les lèvres gercées d’amour, Lahbib El Idrissi déploie une affection sans limite pour la vie même si celle-là ne lui déverse qu’incompréhensions dans son jeune âge. Natif en 1948 de la région de Taounate, il perd son père à quatre printemps et sa mère dix années plus tard. L’adolescent s’arrange pour s’installer un temps à Fès avant de s’établir à Casablanca où il exerce plusieurs petits boulots notamment dans le commerce. Le jeune homme cherche l’apaisement, choisissant le monde de la musique. La douleur l’accompagne sous des traits de générosité et de partage. Au-delà de l’humain, il entretient une solide relation avec chiens, chats et oiseux qu’il nourrit indoor ou dans la rue. Bref, sa vie tumultueuse est un long fleuve intranquille.
 

Légèreté criante

 

Peut-on accepter de croire que les créations de Lahbib El Idrissi soient rejetées, snobées ou repoussées par une belle bande de précurseurs de la chanson marocaine dite moderne ? D’attaque non, mais en creusant oui. Le garçon autodidacte débarqué d’un monde « périphérique » sans appui aucun des gardiens d’un temple qui se revendique de la « création sensée » fait barrage à un renouvellement pourtant dans le jus et le moule déjà bien établis. Mais le jeune homme s’accroche et finit par donner écho à sa voie/voix.

Auparavant, Lahbib est très mal accueilli par le directeur de la station casablancaise de Aïn Chock Brahim El Alami et brimé à Rabat par Ahmed El Bidaoui -responsable de la censure paroles et musique, installé par le protectorat qui veut évacuer toute création protestatrice-, lui reprochant une légèreté criante de connaissances en sensibilité artistique. La suite dément ces tristes allégations. Les débuts de son parcours croisent Abderrahim Sekkat ou encore Abdelwahab Doukkali qui lui conseillent d’entrer par effraction dans le monde de la composition. Il s’y aventure, mais pour mieux asseoir son arrivée dans le milieu, il laisse ses cordes vocales parler de lui. Nous sommes au milieu des années soixante lorsqu’il enregistre sa première chanson « Ghir Sir Oukane » sur un texte du comédien Hammadi Tounsi et une composition de Sekkat. Ce dernier lui signe sa deuxième chanson, « Chnou Elli Kane », écrite par Jawad Laâmarti. Mais le vrai salut arrive un peu plus tard avec l’entrée dans l’univers de Lahbib de Fathallah Lemghari qui lui écrit « Mabkiti Aândi Flbal » et de nouveau composée par Abderrahim Sekkat.
 

Chansons filmées

 

Le temps passe et « grâce » à ces premiers succès, El Idrissi est de plus en plus esseulé. Une intervention de Hassan II, rencontré à Skhirat, le remet sur les rails, pas pour longtemps. El Alami et El Bidaoui l’accueillent sur ordre mais ont leur « feuille de route ». En 1975, avec l’annonce de la Marche Verte, Lahbib crée « Attaoura Addaima » sur des paroles de Mohamed Ben Hassoune. Il enchaîne avec « Bitakat Taârif » écrite par le prolifique Tahar Sabbata. Le monde de la composition s’ouvre ainsi joyeusement à un artiste longtemps mis à l’écart. Ses chansons coulent de bonnes sources, celles qu’il interprète lui-même comme « Ahla Khabar » sur un poème de Nizar Kabbani ou d’autres qu’il met dans la bouche d’artistes tels Hayat El Idrissi, Souad Mohammed, Aziza Malak, Faouzia Safaa, Hamid Choukri… El Idrissi fréquente également et tôt la sphère de la chanson filmée, des années avant l’avènement du clip vidéo.      

Ses réalisateurs sont des marques intellectuellement déposées de l’époque : Mohamed Reggab, Hamid Bencherif, Bourjila… Entre ce qu’il chante et ce qu’il compose, Lahbib El Idrissi compte près de quatre-cents titres. Le fan de Maâti Belkacem et de Abdelhalim Hafid qu’il approche avec délectation, reste une énigme pour la discothèque marocaine d’une chanson voulue propre mais pas appropriée à tous. Lahbib en soufre, lui dont la voix caniculaire ne laisse personne de marbre. Repose en paire… avec toi-même.
 

 

Anis HAJJAM

 

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