Santé

Charline Vermont, sexothérapeute : « Il y a plein de façons créatives de mettre le consentement au cœur de nos relations »

Avez-vous déjà croisé une personne arborant les trois lettres MMM sur les applications de rencontre ? À l’origine de cet acronyme, qui signifie « Meufs Mecs Merveilleux » : Charline Vermont, la plus merveilleuse des activistes, créatrice du compte Instagram aux 670 K abonné.e.s @Orgasme_et_moi.

Charline est praticienne en sexothérapie et formatrice en santé sexuelle en collèges, lycées, universités. Elle a récemment sorti une version augmentée de son livre « Corps, Amour, Sexualité » regroupant « les 120 questions que vos enfants vont vous poser ». Qu’elle écrive, qu’elle prenne la parole devant une classe, ou qu’elle fasse des vidéos hilarantes pour sa communauté de MMM, Charline propose avec bienveillance une éducation à la sexualité inclusive et sans tabou. Le consentement y occupe une place centrale.

J’ai demandé à Charline comment elle-même avait été éduquée au consentement, et comment, en tant que parent de famille nombreuse, elle transmettait aujourd’hui le sens de ses limites corporelles et de son territoire à ses enfants. Et comme l’éducation au consentement se poursuit tout au long de la vie, je lui ai aussi proposé de partager avec nous ses conseils pour intégrer le consentement explicite à nos jeux érotiques entre adultes.

Le consentement dès le plus jeune âge

« Mes deux parents étant médecins, à la maison, on verbalisait beaucoup le consentement. Ma mère est gynécologue obstétricienne : les patientes arrivent chez elles en disant « on vient vous voir parce qu’on nous a dit que vous étiez douce ! » Le consentement est au cœur de son travail depuis très longtemps. J’ai été en grande partie élevée par ma mère et je pense qu’il y a quelque chose du rapport doux et respectueux à ses patientes qu’on retrouvait aussi à la maison. Dès qu’il y avait des gestes intimes, on demandait avant de toucher le corps de l’autre. Quand j’étais malade, elle disait : alors là je vais toucher ton ventre. Est-ce que tu es d’accord ? À côté de ça, il y avait des aspects plus traditionnels : on nous disait d’aller faire la bise aux grands-parents, ce genre de schémas éducatifs d’un autre temps.

Poser ses limites

En tout cas, grâce à mes parents, je pense avoir acquis une conscience de moi, de mon territoire et de mes limites très forte. C’est lorsque j’ai créé le compte @Orgasme_et_moi que je me suis rendue compte à quel point cette éducation qu’ils m’ont donnée est une chance, car elle n’est pas si répandue, surtout chez les filles cis. Moi, dès qu’on franchit mes limites, qu’elles soient amicales, professionnelles ou intimes… je gueule comme un putois ! (rires) Mes sœurs, pareil ! Je ne me suis jamais sentie obligée de faire des choses, par exemple dans des relations sexuelles, alors que je n’en avais pas envie. J’étais en mode : je n’en ai absolument pas envie, et je n’avais aucun problème à poser mes limites.

Montrer l’exemple

Maintenant que je suis parent, j’ai envie que mes enfants aient à leur tour cette conscience très forte que je peux avoir de : c’est mon intimité, c’est mon territoire et personne n’a le droit d’y entrer sans me demander la permission. Éduquer mes enfants au consentement, ça commence par leur montrer l’exemple. On est des humains, donc on est des grands singes : on fonctionne beaucoup par imitation ! Je demande à mon mari si je peux le prendre dans mes bras ou si je peux l’embrasser quand on est dans le salon tous ensemble. Je demande à mes enfants si c’est OK que je les prenne dans mes bras… ça peut aussi être du non verbal : je tends les bras vers eux, et s’ils en ont envie, ils viennent dedans. Très tôt, je leur ai aussi dit : si tu veux prendre ta douche seul.e, si tu veux prendre ton bain seul.e, c’est complètement ok. Moi je sors, tu m’appelles si tu as besoin de moi. Évidemment, on toque à la porte des chambres des enfants avant d’entrer, c’est leur territoire, c’est leur intimité. Pour moi, c’est important de leur rappeler qu’ils ont le droit à ça, et que le consentement, ça concerne tous les champs : à la fois de leur corps, de leur territoire, de leur temps. Ils ont le droit de définir des moments d’intimité, des moments juste à eux.

L’impact de la première fois

Mais l’éducation au consentement ne se joue pas que dans la famille. Toute jeune, j’ai eu la chance de compléter l’éducation au consentement que m’ont donnée mes parents par des débuts sexuels très respectueux. Quand j’étais au lycée, je fréquentais des filles. Ma première copine était ma meilleure copine, et on a découvert en même temps tout ce qui relève de l’intime, du corps. Avoir commencé mes relations intimes avec des filles, c’était la meilleure façon de commencer ma vie sexo-affective. C’est triste à dire, mais ne pas commencer ma vie amoureuse dans un schéma hétéro m’a permis d’échapper à une forme de volonté de l’autre de me dominer. Avec ma copine, on a appréhendé les choses du sexe avec énormément de sentiments, de douceur et de progressivité. Le fait d’avoir commencé par une relation égalitaire et exploratoire, entre personnes qui s’adorent, qui s’estiment, qui se respectent… c’est devenu mon standard. Pour moi c’était ça, la normalité ! Du coup, quand j’ai commencé à avoir des relations hétéros, eh bien si ce n’était pas égalitaire, ce n’était pas normal, et c’était non. C’était mort !

Un apprentissage perpétuel

Plus tard, je me suis retrouvée en relation avec des personnes qui n’avaient pas eu l’occasion d’apprendre le consentement, ni même d’y réfléchir. Je vais vous donner un exemple. Il y a quelques années, j’avais des pratiques libertines avec mon copain de l’époque. C’était une relation joyeuse et décomplexée. On s’amusait à se surprendre mutuellement avec des jeux, des sex-toys, des accessoires en tous genres, que ce soit du soft ou du BDSM. Un jour, j’avais les yeux bandés, on pratiquait un mélange de sexe manuel et oral. Et puis soudain, je sens un sexe dans ma bouche qui n’était pas celui de mon copain… Je sursaute, j’arrache le bandeau ! J’ai immédiatement compris ce qu’il se passait : on avait énormément parlé d’inviter des personnes à partager nos ébats, on était tous les deux très motivés mais… on n’en avait jamais parlé concrètement. Donc évidemment, quand j’arrache le bandeau, je découvre qu’il y a deux mecs à côté de moi : mon partenaire et un autre qui est son meilleur pote. Mon copain me dit : « je voulais te faire un cadeau de Noël ! » Je lui réponds : « Franchement super cool, mais… je n’avais pas donné mon consentement avant, tu vois ! » Lui réalise : « Oh purée t’as raison, je suis désolé… En même temps, je voulais te faire une surprise ! Je savais que ça te plairait. » Moi, j’étais hypergênée parce que je comprenais que ça partait d’une bonne intention et que c’est un sujet qu’on évoquait assez souvent tous les deux, le meilleur pote ne savait plus où se mettre, les deux gars se tenaient à côté de moi, avec les mains entre les jambes… c’était une scène un peu cocasse ! Le meilleur pote s’est assis sur le lit et m’a dit : « Je comprends ce que tu viens de dire. Je suis désolé de t’avoir imposé ça. J’espère que tu acceptes mes excuses. Aucun de nous n’avait réfléchi au sujet du consentement, mais tu as complètement raison. Ce n’était pas juste, ce n’était pas correct. Ce que je te propose, c’est que je parte. »

Ça m’a fait du bien qu’il prenne conscience. J’ai rigolé, j’ai dit : « excuse acceptée ». On s’est tous les trois à moitié rhabillés, on est allés se poser pour boire un verre d’eau et partager un bout de repas, faire connaissance. À un moment, mon partenaire a dit : ce que je vous propose, c’est que maintenant, si vous en avez envie, vous prenez la chambre. Et si ça se passe bien et que vous en avez envie, on peut éventuellement commencer à jouer à trois. Et ça s’est fait comme ça. Le pote a été clair une fois dans la chambre en disant : « Mais vraiment, à tout moment, si tu n’as plus envie, je me casse tout de suite. Et si tu as envie d’arrêter tout, tu nous dis et on te commande un taxi. » Tout s’est bien passé. Ça s’est bien fini cette histoire !

Évolution des mentalités ?

Il n’y a pas que dans ma vie intime que je me suis rendu compte qu’on n’était pas égaux face à l’éducation au consentement. Dans ma vie professionnelle aussi, ça m’a frappée. En 2019, quand j’ai lancé le compte @Orgasme_et_moi, j’ai fait une tournée pour rencontrer les abonné.e.s. Lors d’un événement en Suisse, à un moment, il y a une fille qui lève la main et qui me demande : « Mais est-ce que tu ne penses pas que MeToo est allé trop loin ? Les mecs n’osent plus nous draguer.  » Elle m’explique qu’elle regrette que les mecs n’osent plus lui mettre la main aux fesses quand elle va au bar. Je lui ai répondu : « en fait, toi, tu regrettes de ne plus pouvoir être validée comme une meuf bonne sur le marché de la bonne neuf (dixit Despentes) par une main aux fesses. C’était quelque chose qui te faisait sentir puissante parce que tu étais validée par le male gaze. »

Le consentement vu comme un tue-l’amour

En France, la culture du viol est encore très présente, et elle est défendue par des femmes. Je pense par exemple à la tribune parue dans Le Monde en 2018 sur la liberté d’importuner : il y a encore une glamourisation, une érotisation de la violence sexuelle bien ancrée ! Mais sur le compte @Orgasme_et_moi, j’ai vu en l’espace de trois ans une évolution très claire. En 2019, le discours de cette femme sur les mains aux fesses, c’était quelque chose qui revenait régulièrement dans mes DM quand on parlait du consentement : « heureusement que mon mec ne m’a pas demandé mon consentement, j’aurais trouvé ça tellement pas viril. » Plein de filles m’écrivaient pour me dire qu’elles percevaient le fait qu’on leur demande leur consentement comme un tue-l’amour, ça les refroidissait ! J’avais aussi des messages d’hommes qui me disaient : « la dernière fois que j’ai demandé ça, la fille m’a dit maintenant que tu m’as demandé, j’ai plus envie en fait ! » Aujourd’hui, je n’ai plus ce genre de message, ou alors ils sont très résiduels. Et le consentement revient de plus en plus dans les Hot stories, c’est-à-dire les témoignages sexy que les membres de la communauté partagent avec moi. On m’envoie des témoignages du type : « à chaque moment, il m’a demandé si c’était OK pour moi, si j’avais envie de continuer, j’ai adoré, je me sentais tellement safe », ou alors elle m’a dit « J’ai très envie de t’embrasser, est-ce que tu en as envie ? »

Exprimer le consentement, une tâche (encore) ardue

Il y a plein de façons créatives de mettre le consentement au cœur de nos relations. Une des stories que j’ai beaucoup aimé faire sur @Orgasme_et_moi m’a été inspirée par une fille qui m’a écrit : « J’ai du mal à verbaliser quand j’ai envie de faire du sexe avec mon mec. Et est-ce que vous pourriez me donner des idées ? » Parmi les suggestions que la communauté a le plus aimées, il y a celle-ci : quand j’ai envie, j’allume une bougie dans la pièce. Et si la bougie reste allumée, c’est que l’autre est d’accord. Si la bougie est éteinte, c’est que l’autre n’a pas envie. Il y en a qui expriment ça avec des peluches qui sont placées dans des positions suggestives sur le lit pour signifier : j’ai envie de faire des galipettes ! Si l’autre replace les peluches à côté l’une de l’autre, c’est qu’il n’a pas d’envie. Expliquer verbalement qu’on n’a pas envie est parfois difficile, parce qu’on n’apprend pas à dire non… pouvoir simplement éteindre une bougie, remettre une peluche ou déplacer un objet, c’est quelque chose qui peut aider à exprimer le consentement au sein du couple.

Au contact des 670 K abonné.e.s de MMM, je le vois : on avance ! Demander le consentement est de plus en plus perçu comme une marque de respect, comme une envie d’avoir une relation sexuelle constructive, consensuelle. Je suis très fière de ne rien avoir lâché, quand la thématique était encore perçue comme tue-l’amour ! À force de représenter, de visibiliser et d’expliquer le consentement, ça y est : enfin, on est en train de changer de logiciel. On passe de l’érotisation de la violence sexuelle à l’érotisation du consentement. »


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