Santé

C’est mon histoire : « Je n’arrive pas à tromper mon mari »

Quand je plais, je ne m’en aperçois pas                      

À 15 ans, j’ai connu mon premier amour. J’étais alors loin de me douter que ce serait le seul. Quand nous faisons de nouvelles rencontres, Olivier et moi, les gens ouvrent des yeux ronds en écoutant notre histoire. « Vous vous êtes mis en couple si jeunes ? » Cela reste mignon, mais vient très vite la question : « Tu n’as jamais couché avec un autre homme ? » Ça me met toujours mal à l’aise. Suis-je trop cruche ? Ma vie est-elle plan-plan ? Est-ce que je manque de curiosité ? Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé de tromper celui qui est mon mari depuis vingt-cinq ans. Chaque fois, quelque chose se met en travers de ma route. À croire que je le fais exprès. Il faut l’admettre, je ne suis pas du genre tombeuse. On me dit souvent que je suis jolie, mais quand je plais à quelqu’un, je ne m’en aperçois pas. Ma myopie n’aide pas, et comme j’adore voir le monde en flou – je trouve ça poétique –, mes lunettes restent au fond de mon sac. C’est d’ailleurs comme ça que notre histoire a commencé avec Olivier. Ce soir-là, au Tiffany, l’une des deux boîtes de nuit de Quimperlé, je ne l’ai pas vu. Comme tous les ans, en bonne Parisienne, j’avais migré vers la Bretagne pour l’été. 15 ans, c’est l’âge où on commence à s’ennuyer avec les parents et celui où l’on n’a pas encore le droit de faire sa vie. Fatigué de nous voir nous traîner, ma cousine et moi, mon père a décidé de « sortir la jeunesse », un bon prétexte pour siffler des Ricard. J’avais mis mon plus beau baggy, enlevé mes lunettes, et je me concentrais fort pour éviter de sourire, je ne voulais pas qu’on remarque mon appareil dentaire. Avec les fumigènes, je ne voyais donc rien. Olivier avait un an de plus que moi et une moto. Un monde à cet âge. Il m’a repérée tout de suite, m’a-t-il raconté plus tard. Le lendemain matin, devant un café corsé, mon père m’a lancé : « Alors, il t’a plu, le garçon d’hier ? » Je ne comprenais pas de quoi il parlait. Mais d’inaugurations de piscine en rencontres au marché (c’est petit, Quimperlé, l’été), j’ai fini par ouvrir les yeux. 

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Nous étions persuadés que cette relation ne durerait pas. Il habitait en Bretagne, venait d’un milieu populaire et avait déjà vécu mille vies (enfin, peut-être deux ou trois). Moi, j’étais citadine jusqu’au bout des ongles, le nez toujours fourré dans mes livres. Mon manque d’expérience me faisait honte. Dans l’espoir de me sentir moins godiche, je lui ai annoncé un soir, avec l’aplomb que l’on n’a qu’à cet âge, que j’avais un petit ami à Paris. Lee existait vraiment. De fait, je passais mes journées avec lui au collège, mais c’était mon meilleur ami. L’idée qu’on aurait pu s’embrasser nous aurait fait mourir de rire, tous les deux. Mais ça, Olivier n’en savait rien. De retour à Paris, après les vacances, j’ai continué à jouer le jeu pendant plusieurs mois. Durant nos rendez-vous téléphoniques devenus quotidiens, Olivier ne manifestait aucune jalousie, alors j’ai fini par cracher le morceau. Il a ri. Il n’avait jamais cru un mot de mon histoire avec Lee. J’ai pris la mouche : « Je pourrais très bien avoir quelqu’un d’autre que toi ! » Il a ri de plus belle. Première tentative, premier échec.

Je le tromperai un jour, vous verrez !                                                             

Les années passaient, nos retrouvailles à l’occasion de vacances toujours trop courtes ne nous suffisaient plus. Il ne faisait plus de doute que cette histoire était finalement destinée à durer. Les études s’annonçaient. Olivier vint me rejoindre à Paris. Nous entrions dans une nouvelle phase de notre relation. Je n’avais pas 20 ans et déjà je jouais au couple installé. Studio exigu, mais décoré avec soin (j’avais une passion pour la belle literie), soirées douces et dimanches pluvieux, pantoufles et brosses à dents. Dans ma petite bande d’amis, j’étais un ovni. Eux n’étaient intéressés que par leurs dernières conquêtes et leurs prochaines fêtes. On m’appelait « Mamie Clémence » ou « Sœur Clémence », selon l’humeur. Je répondais invariablement : « Je le tromperai un jour, vous verrez ! » et j’y croyais. D’autant que la découverte de la sexualité avec lui n’avait fait qu’attiser ma curiosité. Mais, dès que l’occasion se présentait, je la laissais filer sous le verre épais de mes lunettes.            

Jusqu’au jour où j’ai fait la connaissance de Caroline à la fac. Elle avait un petit visage d’enfant et une grosse voix d’homme. Je la trouvais irrésistible. Nous sommes devenues amies. Lors d’une soirée, nous nous sommes embrassées au milieu de la piste de danse. Ce n’était pas du tout prévu. Je n’oublierai jamais la sensation de ses lèvres hésitantes sur les miennes. Quand j’ai fini par me détourner d’elle, Olivier me fixait. Pas en colère, mais abattu. « Tu oses enfin tromper ton mec, et faut que tu le fasses sous ses yeux ? » Mes amis n’en pouvaient plus de rire. De retour à la maison, Olivier n’a rien dit. On avait déjà parlé de mon envie de connaître d’autres corps que le sien. Sans être allés jusqu’à passer un accord, c’était un scénario que l’on envisageait avec un certain fatalisme. Ce soir-là, son regard triste a douché mes ardeurs. Impossible d’aller plus loin que ce baiser. Deuxième tentative, deuxième échec.

J’ai décidé que ce serait avec lui                                                      

Nous nous sommes mariés, nous avons eu un enfant. J’ai fini par oublier cette obsession de jeunesse. Lassés de leurs plans cul et de leurs romances éphémères, mes amis ont changé de discours. Peut-être que j’étais chanceuse, finalement ? Je rêvais parfois d’adultère. Mais même dans mes rêves érotiques, Olivier restait la star incontestée. Pourtant, à la naissance de mon fils, la question est revenue me tarauder. Peutêtre que j’avais besoin de respirer loin des responsabilités qui tombent sur le dos des jeunes parents ? Je venais de trouver un job d’éditrice de littérature jeunesse. Mon rêve.              

Au bureau, j’avais fait la connaissance d’un écrivain affublé d’un drôle de strabisme. On ne savait jamais où il regardait et j’aimais ça. J’ai décidé que ce serait avec lui. Un peu comme on part en guerre. Pour les vacances, Olivier avait emmené notre fils à Quimperlé. J’ai invité l’écrivain à la maison. Il a accepté tout de suite. J’avais mis un décolleté qui ne me ressemblait pas. Pour me donner du courage, je buvais beaucoup, ce qui ne me ressemblait pas non plus. Je le trouvais brillant. Surtout, avec lui, je me trouvais brillante. Les gestes se faisaient chaleureux, les voix pâteuses, tout se passait plus facilement que je ne l’avais imaginé. De quoi avais-je eu peur pendant si longtemps ? Quand nous nous sommes dirigés vers le lit, ce lit que je partageais avec Olivier depuis des années, ce lit que chaque matin je faisais au cordeau, avec mes beaux draps de coton, il a sauté dessus comme un enfant. Olivier, lui, savait qu’il ne fallait jamais sauter sur un lit que j’avais fait au cordeau. La tête s’est mise à me tourner. J’ai eu un haut-le-cœur. J’ai filé à la salle de bains. Derrière la porte, je l’entendais me proposer de l’aide. Mon estomac lui répondait pour moi. J’étais mortifiée. Mon corps avait parlé. Troisième tentative, troisième échec. J’aimais Olivier jusqu’au fond de mes tripes.               

Je n’ai plus tenté de tromper mon mari. Mais j’ai continué de lui être infidèle comme je l’ai toujours été depuis notre rencontre : avec des livres. Parfois, dans notre lit tiré au cordeau, quand j’enlève mes lunettes, à la place de son visage, je vois celui de Solal, de Madame de Merteuil ou d’Edward Cullen, et, vingt-cinq ans après, grâce à ce petit subterfuge, j’ai toujours autant envie de lui.

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