Santé

Comment ne pas transmettre nos angoisses à nos enfants ?

« Je ne sais pas pourquoi, mais je n’arrive pas à laisser ma fille dormir chez des copines, à chaque fois, j’ai peur qu’il se passe quelque chose avec le père, c’est complètement irrationnel », explique Julia. Comme beaucoup de parents, elle craint que son enfant croise un pédophile sur sa route, mais chez elle cette peur prend des proportions irraisonnées.
Inès, de son côté, s’est fait mordre par un chien quand elle était enfant dans la maison de ses grands-parents. Depuis, elle est terrifiée dès qu’un animal s’approche d’elle, ses garçons qui n’ont jamais été attaqués sont également terrorisés par les chiens.
Ils agissent par mimétisme et cela n’a rien d’étonnant, un enfant est fortement influencé par le comportement de ses parents. Les croyances des parents sont des vérités pour lui. Dans ses premières années, le jeune enfant est totalement dépendant d’eux, ce sont ses figures d’attachement principales. Il se réjouit de ce qui crée du bonheur dans les yeux de ses parents et s’inquiète quand c’est de la peur qu’il entrevoit.

Quand les parents génèrent de l’anxiété

Chaque parent veut protéger son enfant en prévenant les mauvaises expériences, les erreurs ou les difficultés. Nous essayons d’éviter, qu’il souffre là où précisément nous avons souffert, mais sans nous en rendre compte, nous pouvons aussi transmettre nos propres angoisses : des peurs rationnelles et irrationnelles.
Le chien qui a mordu Inès quand elle était petite, le harcèlement dont a été victime Delphine au collège, créent chez elles une forme d’hyper-vigilance. Delphine fait passer son angoisse en surprotégeant sa fille, elle vérifie son emploi du temps, scrute son téléphone portable, elle envahit son espace intime pour se rassurer. « Il y a un aspect positif car ces parents ne ferment pas les yeux sur les difficultés que leurs enfants peuvent rencontrer, souligne Johanna Rozenblum, psychologue, autrice de « Déconditionnez-vous » (Courrier du livre). Ils sont quelque part plus attentifs et plus alertes sur des problématiques réelles que certains autres parents n’ont pas mesurées, parce qu’ils ne les ont pas connues. »
Mais le mauvais côté, alerte la psychologue, c’est que ce comportement « risque de générer de l’anxiété, des angoisses de séparation, un manque de confiance en soi chez l’enfant. Il pourra paniquer dès qu’il se trouvera loin de son parent, parce qu’il estimera avoir besoin de lui pour se protéger ».

Des enfants plus réceptifs aux angoisses parentales ?

Certains enfants sont-ils plus susceptibles d’absorber les angoisses dans une fratrie ? Oui, mais ce n’est pas qu’une question de génétique, même si celle-ci influence indéniablement leurs traits. Chaque enfant a sa propre personnalité et celle-ci se construit au contact de ce qui l’entoure : ses parents, sa famille, sa place dans la fratrie, sa socialisation. Certains sont proches de leurs parents, dans l’observation de leurs émotions, d’autres, plus autonome, arrivent facilement à faire abstraction et sont davantage centrés sur eux. Face à un événement comme un divorce, la perte d’un être cher, les enfants d’une même fratrie peuvent réagir très différemment, tous ne seront pas affectés de la même manière.
Une étude intéressante, publiée dans la revue « JAMA Network Open » en 2022, a toutefois mis en évidence que l’anxiété serait déterminée par le sexe des parents. Elle pourrait se transmettre de mère en fille et de père en fils. Une fille aurait donc peu de chances de recevoir de l’anxiété par son père, mais plutôt par sa mère.

Les signaux qui doivent nous alerter

Comment éviter de transmettre ses angoisses ? Certains signaux d’alerte sont facilement repérables. Lorsqu’on reconnaît chez son enfant des peurs qui sont similaires aux nôtres et qui sont présentes sans origine objective. Il a peur de la séparation, mais, il ne s’est jamais rien passé de mal quand il était loin de moi. « Si en dehors de toute mauvaise expérience, l’enfant manifeste une peur excessive qui est inexpliquée, il faut regarder s’il n’y a pas quelque chose qui s’exprime et qu’on a projeté sur lui, sans même s’en rendre compte », prévient Johanna Rozenblum.
Bien entendu qu’on doit faire de la prévention, mais il y a un juste équilibre à trouver entre prévention et construction de la confiance en soi.

Verbaliser les difficultés

Quelquefois, on transmet un comportement dysfonctionnel à notre insu car on ne l’a pas verbalisé. Prenons l’exemple de Coline qui a toujours eu un rapport conflictuel avec la nourriture. La jeune femme observe depuis quelques temps que sa fille ado commence à avoir des troubles alimentaires. Elle est effondrée et ne sait pas quoi faire. Coline n’a pas expliqué à sa fille ses difficultés par rapport à l’alimentation, il manque cette étape clé. « Il faut avoir le courage de dire : « J’ai un problème avec la nourriture, c’est un point noir dans ma vie qui n’est pas encore résolu », car si on ne nomme pas la chose, l’enfant pensera que notre comportement est la norme : manger trop ou trop peu, de façon désordonnée, en cachette. »

Quand les traumas viennent du passé

On parle alors de transmission générationnelle. « Elle s’opère le plus souvent lorsque les peurs se transmettent à bas bruit, en silence, par le non-dit, quand les choses ne sont pas nommées », explique Johanna Rozenblum. C’est cette partie de la famille déportée, dont personne n’a jamais voulu parler, qu’on a rayé de la carte pour éloigner les démons. C’est cette lignée de femmes d’une même famille, victimes d’un système patriarcal extrêmement violent, qui ont vécu une vie de souffrance et de soumission, mais dont on connaît finalement peu de choses. Un passé mystérieux, mais pesant qui a marqué une famille, des traumatismes « qui se transmettent finalement inconsciemment presque comme des fantômes de génération en génération. » La psychologue confie rencontrer souvent des femmes qui ont des difficultés à établir des liens amoureux, des liens sociaux, d’avoir des relations de confiance. « En creusant, on se rend compte qu’il y a une histoire familiale douloureuse derrière, des angoisses non verbalisées. »

Échapper aux angoisses familiales

Mais peut-on échapper à son héritage familial et ne pas transmettre ses traumatismes à son tour ? Oui, mais à plusieurs conditions. « La transmission transgénérationnelle de nos traumatismes, de nos angoisses, s’opère quand on n’a pas suffisamment pris conscience de l’impact que notre histoire a eu sur nous et que l’on n’a pas réussi, ou pas encore à se l’approprier », explique la psychologue. On devient alors un maillon de la chaîne qui risque de transmettre à son tour. C’est là que le travail avec un psychologue qui aide à élargir la réflexion est extrêmement pertinent. Ce travail doit permettre que la transmission, en tout cas des expériences négatives, non verbalisées, s’arrêtent. Chacun doit pouvoir avoir un regard critique sur les différentes facettes de son existence, les différentes épreuves qu’il a traversées et essayer de comprendre à quel point elles ont teinté le regard qu’il porte sur les choses.

Mais soyez rassuré, Il y a aussi plein de choses positives à transmettre à nos enfants héritées de nos parents et de nos grands-parents. Et, bonne nouvelle, si les enfants sont des éponges de stress parental, ils ont également une très grande influence sur leurs propres parents, à en croire ces travaux publiés en 2022 par National Center of Biotechnology Information. Influence qui augmente à mesure qu’ils grandissent. 

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