Santé

Faut-il avoir grandi auprès de parents heureux pour savoir aimer ?

Manon 35 ans, a vu ses parents « se tenir par la main, à tel point que c’en était embarrassant ! » Katia, 27 ans, au contraire, a passé son enfance à craindre la colère de sa mère contre son père, un homme « absent, même quand il était là », soupire-t-elle. De quoi marquer à jamais leur vision de l’amour ? Oui… mais non, répondent les spécialistes. Pour Florence Lautrédou, psychanalyste : « Le couple parental imprègne notre conception de l’amour car l’enfant fonctionne par neuromimétisme. Mais ça ne veut pas dire que cette détermination sera immuable. La vie consiste à faire bouger cette imprégnation ! » Un avis partagé par la psychothérapeute Géraldyne Prévot-Gigant : « Ambiance toxique ou paisible, ce qu’on va absorber comme modèle aura forcément une influence. La suite dépendra de notre capacité à prendre conscience de l’impact de ce que l’on a vécu, et des tenants et aboutissants de nos choix. »

Pour Clotilde Leguil, psychanalyste et philosophe : « Il n’y a pas généralité du type “les parents unis font des enfants dont les couples seront unis”. D’ailleurs, les adultes n’existent pas seulement dans la parentalité : on partage aussi une vie amoureuse, sexuelle et sociale… » Et cette dimension, les enfants la perçoivent sans avoir besoin de mots. Lucie, 23 ans, raconte : « Mon père offre toujours du parfum à ma mère pour son anniversaire et, à chaque fois, elle se pschitte le cou en le regardant droit dans les yeux. Enfant, je sentais que quelque chose, que je ne comprenais pas bien, se jouait là. Je suis avec John depuis un an : pour ses 25 ans, sans même réfléchir je lui ai offert… un parfum moi aussi. Il y a sûrement un rapport. »

La façon dont on parle de l’autre en dit beaucoup

Pour Florence Lautrédou, « les enfants savent mieux que personne la nature de l’attachement de leurs parents. Ils sentent s’ils sont proches physiquement, s’ils font des choses ensemble (voyager, sortir, lire…) et les cadeaux qu’ils s’offrent sont importants : donner du parfum ou des vêtements, c’est considérer le corps de l’autre. Certains couples sont, au contraire, dans ce qu’on appelle l’habituation hédonique : l’autre devient un élément du décor, plutôt sympathique d’ailleurs, mais désexualisé. La façon dont on parle de l’autre en dit beaucoup. J’ai le souvenir d’un patient dont le père, le soir, lui disait “allez, dors bien, je vais aller tenir compagnie à maman”, comme s’il s’agissait d’un devoir. Et puis “maman”, ça ne va pas ! Il aurait dû dire “ ta maman ” ! »

LA FAÇON DONT L’AMOUR CIRCULE DANS UN COUPLE PREND BIEN DES FORMES

Mariana, 41 ans, se souvient : « J’ai toujours vu ma mère cuisiner des petits plats avec ce que mon père lui rapportait du marché. Pour eux, j’ai l’impression que l’harmonie se mange. Petite, quand ils s’engueulaient, pas très souvent, je savais qu’il y aurait de la blanquette ou un rôti en croûte au menu le samedi d’après ! À 24 ans, quand j’ai quitté la maison pour m’installer avec mon copain, ma mère m’a photocopié ses meilleures recettes. Et quand ma fille de 10 ans sera en âge de partir, je lui transmettrai aussi cet héritage familial. »

Une anecdote qui fait sourire Clotilde Leguil : « C’est très gai, ce plaisir de nourrir, comme une pulsion orale ! L’amour passe aussi par une forme de mise en scène du désir. » Le désir, une composante essentielle du couple, même si celui de nos parents doit rester… pudique. « La nudité, la sexualité, ça doit évidemment rester tabou pour les enfants, rappelle Florence Lautrédou. En revanche, ils sentent s’il existe une forme de sensorialité, un désir qui circule comme un flux d’énergie. » Et si dans le couple l’en- céphalogramme amoureux est devenu plat, ils le devinent aussi. Géraldyne Prévot-Gigant met en garde : « Gare à ceux qui restent ensemble pour la forme, ça donne des personnes déçues par l’amour avant de l’avoir vécu ! De quoi créer une croyance fataliste sur l’obligation de rester malgré tout. »

un mariage sur deux se termine par un divorce

Quant aux couples fusionnels, comme celui des parents de Manon, est-ce la panacée pour se construire une vision positive de l’amour ? Pas sûr. La psychothérapeute explique avoir « accompagné des patients qui ont eu le sentiment de grandir dans une bulle où ils n’avaient pas leur place, comme des éléments secondaires… Un couple équilibré doit préserver à la fois son intimité et ses interactions en tant que parents. Tout est une question de dosage. En thérapie, j’ai toujours un œil sur la régularité des retrouvailles. Ne pas se laisser envahir par le quotidien, nourrir l’espace du couple, c’est du boulot ! »

Aujourd’hui presque un mariage sur deux se termine par un divorce. De quoi donner à ses enfants l’impression que l’amour a toujours une date de péremption ? C’est plus compliqué. Florence Lautrédou s’agace des formules toutes faites : « “L’amour dure trois ans”, “les hommes sont tous les mêmes”… assez des fausses croyances ! Un couple qui se sépare, ce n’est pas toujours tragique. Un enfant qui vit un divorce est bien entendu marqué, mais découvrir l’éphémère des choses peut également aider à se construire en prenant conscience que la relation doit s’entretenir. » Le témoignage de Léo, 33 ans, va dans ce sens : « À mon mariage, mes parents, séparés depuis quinze ans, ont voulu faire un discours commun, ce qui m’a surpris et touché. Ils ont cité un texte de Khalil Gibran, qui disait à peu près ça : “Les piliers d’un temple ont besoin d’espace pour soutenir le même toit.” J’y ai vu un testament de leur couple, mais également un message d’espoir. Ils me disaient qu’il n’y a pas de fatalité, pas de génétique du divorce, en somme. »

QUELS CONSEILS DONNER À DE JEUNES PARENTS, QUEL MESSAGE POSITIF ENVOYER À NOS ENFANTS ?

Pour Clotilde Leguil : « En psychanalyse, on découvre qu’il y a toujours quelque chose de mystérieux dans la transmission et que cela échappe au savoir et à la volonté, mais on découvre également à quel point ce qui nous a été transmis du côté de la pulsion de vie compte. Conversation amoureuse, dispute même, malentendus et retrouvailles sont des façons de faire couple qui transmettent aux enfants le désir de s’y risquer à leur tour. » Florence Lautrédou tient à rappeler que « le sans-faute est rarement majoritaire dans les relations amoureuses mais [que] le laboratoire du couple est un endroit de croissance extrême. Le problème n’est pas d’échouer, mais de répéter les mêmes erreurs. Là, il faut se faire aider. À nos enfants, n’oublions pas de rappeler que l’important est de trouver quelqu’un avec qui bâtir quelque chose. Et qu’il s’agit de leur chemin, pas du nôtre ».

Géraldyne Prévot-Gigant va même plus loin : « Il faut se dire que notre progéniture peut être plus sage que nous ! Parfois, ils font des choix différents qui les rendent heureux : ça doit nous aider à élargir notre vision du monde. Beaucoup de parents pensent savoir ce qu’est le bonheur et vont transmettre certaines choses en fonction de ce qu’ils ont vécu. Mais faisons confiance aux générations futures pour nous montrer d’autres routes. » Se dire que la transmission de l’amour peut circuler dans les deux sens, voilà une idée réconfortante !

À lire : « L’Amour, le vrai », de Florence Lautrédou (éd. Odile Jacob) ; « Céder n’est pas consentir » (éd. Puf) et « L’Ére du toxique », de Clotilde Leguil (éd. Puf) ; « Les Femmes et l’amour » (éd. Leduc) et « 50 exercices pour se libérer des relations toxiques » (éd. Eyrolles), de Géraldyne Prévot-Gigant.

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