Santé

Allô Giulia ? « Ma meilleure amie est victime de viol, comment l’aider ? »

« Chère Giulia,

J’ai besoin de vos lumières – et peut-être d’une bonne dose de patience. Ma coloc chérie/adorée/meilleure pote possible de l’univers est rentrée l’autre nuit en vrac total. Il devait être trois ou quatre heures du matin, Marie a buté dans la commode et elle a gueulé, c’est ce qui m’a réveillée. Je l’ai retrouvée assise par terre, au milieu du salon, en pleurs, et son rimmel coulait partout. Elle avait même du mal à respirer, et j’ai mis un bon bout de temps à comprendre ce qui lui était arrivé : un bel inconnu dans un bar, un verre ou deux, pas plus, un black-out, et elle se réveille, chez lui, il est en train de la pénétrer. Elle se débat, il la plaque au sol et il la force. Moi, j’appelle ça un viol. Elle, elle a commencé par dire que non. Que les torts étaient partagés, qu’elle n’aurait pas dû boire comme ça, que peut-être elle lui a laissé croire que, etc.

Ça, déjà, ça m’a fait péter un câble, même si je comprends, c’est très, très dur d’admettre qu’on a subi un truc pareil. Donc j’y suis retournée, et retournée, et retournée – je pense qu’on peut régler un problème seulement à partir du moment où on le pose correctement. Elle a fini par admettre que, oui, elle a bien été violée. Mais porter plainte, ça, possible. Elle a peur que les flics ne la prennent pas au sérieux, peur que le mec soit fou de rage et ne vienne la retrouver, peur que ses parents l’apprennent et que ça leur fasse trop de mal…
Moi, je ne sais plus quoi faire. Un crime a été commis, elle en est la victime, il faut qu’il paye, pour ça, non ? Ne serait-ce que pour lui passer l’envie de recommencer… Mais Marie est du genre butée. Et je n’ose pas la malmener. D’où ma question : comment faire pour la convaincre de porter plainte ? »

« Chère Pauline,

Marie a beaucoup, beaucoup de chance de vous avoir : la grande majorité des victimes ne trouve personne à qui parler. Personne pour les écouter, personne pour les soutenir, personne pour les croire. Or, être reconnue, pour ce qu’on a vécu, c’est fondamental pour pouvoir se remettre debout, dans ces sales histoires. Subir un viol, c’est faire l’expérience du non-sens complet : vous vous êtes construite sur une identité de sujet, vous l’avez toujours crue inaliénable, et vous voilà, tout à coup, réduite à l’état d’objet. Vous avez donc été victime de la négation complète de ce que vous êtes, mais c’est vous qu’on va, si ce n’est accuser, du moins interroger, comme si vous étiez co-responsable – voire coupable – de ce qu’on vous a fait.  » Le viol est le seul crime dont les victimes se sentent coupables, et les coupables, innocents « , ont coutume de dire les féministes. Parce que la société patauge dans la semoule sur le sujet, depuis des millénaires, les femmes qui le vivent se débattent avec elles-mêmes longtemps après les faits.

Votre amie Marie en est là. Cette douleur-là, il faut la comprendre, l’entendre, et l’accompagner. En ce moment, elle n’a ni la force, ni les moyens dont elle disposait avant cette nuit-là, moyens qui sont les vôtres et qui vous permettent de poser clairement le problème : le viol est un crime, la victime, c’est elle, et le coupable doit payer. Pour vous, c’est limpide – et, encore une fois, bravo, parce que ça n’est pas toujours le cas pour l’entourage… Mais pour elle, nettement moins. Or, parmi ses peurs, il y en a une qu’elle ne s’est pas inventée : aujourd’hui encore, les victimes courent le (fort) risque d’être très mal reçues dans les commissariats. Pour affronter la rudesse des interrogatoires, la suspicion institutionnelle, et la lourdeur de la procédure, il faut être très, très costaud. Et très, très bien entourée.

Je crois que Marie a besoin de temps pour recoller tous ces morceaux d’elle-même, éparpillés dans tous les coins, à cause de ce salopard. Je crois qu’elle a besoin de mettre des mots sur ce qu’il s’est passé, et sur ce qu’il en reste, chez elle. Je crois que notre rôle d’amie, dans ces cas-là, est de respecter leur rythme, à elles, et leurs volontés. Surtout, ne la contraignez à rien, elle a déjà subi la pire des contraintes… Soyez-là, à ses côtés, comme vous le faites – et tapez dans des sacs de sable quand elle a le dos tourné pour vous vider de cette colère, ô combien légitime, s’il le faut, Pauline… Dans un monde idéal, elle portera plainte et il sera condamné. En attendant, peut-être que vous pourriez doucement la guider vers des associations qui sauront recueillir sa parole, avec toute la délicatesse que le sujet nécessite.
Une femme qui a été violée, c’est une bombe à retardement. Même animées des meilleures intentions du monde, nous pouvons toutes faire de gros dégâts… Le Collectif Féministe Contre le Viol dispose d’une ligne d’écoute, anonyme et gratuite (0800 05 95 95), où Marie pourra trouver toutes les ressources, juridiques, psychologiques, médicales dont elle a besoin. C’est un long chemin, Pauline. Mais croyez-moi, on finit par le faire. Je vous embrasse – et je me permets, si loin, si près, d’embrasser Marie aussi. »

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