Santé

Alice et les Infidèles : « Comment une mésaventure sur Gleeden m’a fait aller voir une psy » 

J’ai suspendu mon compte Gleeden. Depuis l’épisode pathétique du love hotel, je me sens fatiguée, fourbue. Comme si quinze Vélib’m’avaient roulée dessus. La semaine dernière, j’ai rêvé que Cédric parcourait mon corps avec sa grosse langue chaude et visqueuse. Je voulais m’enfuir, mais une force mystérieuse m’arrimait au lit, sans que je puisse bouger le moindre orteil. J’avais beau crier, hurler à l’aide, personne ne m’entendait depuis cette chambre minuscule en sous-sol. Je me suis réveillée en nage vers 6 heures du matin. À mes côtés, mon mari dormait paisiblement.

Auto-destruction

J’envie sa tranquillité d’esprit, son allant, son bonheur. Moi, je me sens flétrie, sale, indigne de sa confiance et de son amour. Quand j’ai déballé à ma psy cette première « incartade », elle est sortie de son mutisme habituel pour m’asséner : « Vous n’y allez pas de main morte ». Cette sentence inattendue résonne encore dans ma tête. Qu’a-t-elle voulu dire par là, exactement ? S’agissait-il d’un jugement moral objectif – du genre mais enfin madame, on ne fait pas des choses pareilles !! – ou d’une réaction d’épouvante qu’elle n’a pas réussi à réprimer ? Sincèrement, j’ignore pourquoi je me mets dans de telles situations alors que je pourrais occuper mon temps à faire autre chose. Des choses qui me font du bien, du yoga par exemple.

Quand la réalité dépasse la fiction

Ce matin, j’ai rejoint mon amie Clara au studio Riise Paris, près du Louvre. Premier enseignement de la journée, je suis la personne la moins souple du monde. Le cours terminé, on se pose dans les vestiaires pour papoter un peu. Clara a lu mes chroniques sur le site du ELLE. Elle me sort en riant : « Tu n’y vas pas de main morte ». Au moins, elle est raccord avec ma psy.

Je lui dis qu’effectivement, je sens que j’ai basculé dans une autre dimension. Que ce qui me semblait infaisable hier – genre sextoter avec de parfaits inconnus – fait partie de la routine aujourd’hui. Et puis il y a Rabbit_Hole, alias Sayed, avec qui je continue d’échanger quotidiennement sur Telegram. Sa mère a un cancer de la gorge. Elle est hospitalisée à Paris et n’en a plus pour très longtemps. C’est horrible à dire mais je n’attends qu’une chose, c’est que son état se dégrade pour qu’il débarque de Copenhague et qu’on puisse enfin se voir. Même si j’ai très peur de passer à l’acte…

Qui se ressemble, s’assemble

Clara me coupe en me tendant son thermos en inox : « Bon, et si tu couches avec lui, qu’est-ce que ça peut faire ? » Sa remarque me déroute. Pour le coup, je m’attendais à tout sauf ça venant d’elle. Clara, toujours si sage, si raisonnable. Clara, maman d’une petite fille de douze mois. Clara, en couple depuis neuf ans avec Antonin, un mec adorable…

Devant mon air abasourdi, elle me répète avec le plus grand naturel qu’il serait dommage de laisser passer l’occasion de m’envoyer en l’air avec Sayed. « C’est simple, tu prends ton ticket quoi », me dit-elle d’un ton docte. Je porte sa boisson à mes lèvres histoire de rassembler mes idées. Je grimace : « Beurk, c’est quoi ? » Clara me répond qu’il s’agit d’un kombucha, une sorte de thé fermenté aux multiples vertus. « C’est juste immonde », je lui fais. Elle se marre. 

Alors, si je la suis, peu importe que je sois mariée et mère de famille, si je rencontre quelqu’un qui me plaît, je dois foncer ? Ai-je bien entendu ? Notre coach passe devant nous en leggings et brassière. Clara la complimente sur son cours avant de se pencher vers moi pour me souffler :

« J’y suis aussi. »

« Hein ? »

« Sur Glee. »

La poupée russe

Décidément, cette matinée prend un tour tout à fait inédit. « T’es sur Gleeden aussi ? » je crie presque. Clara se lève du banc où l’on se trouve assises à califourchon, et m’entraîne à l’extérieur du studio. Grand soleil. Tout en descendant la rue Étienne Marcel, tapis de yoga sous le bras, Clara me confie son secret dont j’ignorais tout jusqu’à présent. Elle me raconte qu’elle s’est inscrite sur la plateforme violette il y a pile dix ans alors qu’elle était en couple avec Seb, son ex.

Après trois ans de relation, elle hésitait à s’engager mais quelque chose la retenait. Elle avait encore envie de profiter de la vie. Gleeden lui est alors apparu comme la solution parfaite pour « faire un dernier tour de piste » avant de « baisser définitivement le rideau », selon ses termes. Je suis ébahie par son pragmatisme mais n’en laisse rien paraître.

Au gré de ses recherches, elle finit par tomber sur « Loup », son âge, parisien comme elle et papa d’un bébé de quelques mois. La connexion, entre eux, est immédiate. À côté de son boulot de consultant, Loup tient un blog cinéphile où il publie des critiques de films et des articles sur la Nouvelle Vague. Clara, qui voue un culte à Rohmer, Godard et Truffaut, est subjuguée par son intelligence, sa culture. Les amants virtuels décident de créer une boîte mail rien qu’à eux qu’ils abondent, chaque jour, de dizaines de messages. Si Clara brûle de le rencontrer en vrai, Loup se montre plus empêché.

J’étais à l’aise avec l’idée que l’on ne se verrait jamais, même si j’étais accro à ses messages

Depuis son accouchement, sa femme est enferrée dans une sévère dépression post-partum. Il lui est déjà arrivé de la tromper avant mais là, il se sent obligé de rester sage pour l’aider à refaire surface. Lui-même a du mal à accepter sa paternité. L’enfant, né grand prématuré, a besoin d’énormément de soins. Parler avec Clara l’aide à traverser cette période compliquée. Leurs échanges, parfois tendres, parfois enflammés, lui redonnent confiance en lui.

De son côté, Clara décide de quitter Seb, mais sans en informer Loup. Elle ne veut surtout pas faire peser sur lui la responsabilité de la fin de son couple. Loup a été l’élément déclencheur de la rupture mais elle ne se fait aucun plan sur la comète, elle voit bien que leur entente tient surtout du fantasme. « Loup a plus agi comme un révélateur. Finalement, j’étais à l’aise avec l’idée que l’on ne se verrait jamais, même si j’étais accro à ses messages » me dit-elle en reprenant une gorgée de kombucha.

Une rencontre mélodieuse

Un soir, Clara s’incruste à l’anniversaire d’une vague connaissance. Dans le salon, elle flashe sur le DJ : Antonin. « Je vois ce grand mec dégingandé qui passe du William Sheller et je me dis que je dois rentrer avec lui. » Ils se roulent des pelles à 5 heures du matin parmi les cadavres de bouteilles avant de finir la nuit chez lui. Clara est amoureuse. Tellement amoureuse qu’elle zappe Loup : « À la seconde où j’ai rencontré Antonin, mon cerveau a switché et je ne me suis plus jamais reconnectée ni à Gleeden, ni sur la boîte mail. »

Les tourtereaux emménagent ensemble au bout de deux mois. Ils font beaucoup la fête, voyagent énormément, retardent le plus possible le moment de fonder une famille. « Au début, on était assez raccord sur l’idée que faire un enfant dans le monde actuel était un peu une folie. Mais j’ai changé d’avis durant le confinement. J’ai subitement eu envie d’avoir un bébé, et puis je venais de fêter mes 35 ans… »

L’ombre du Loup

Clara met au monde une petite fille en juin dernier : Paula. Juste après la naissance, Antonin part pour une mission humanitaire de trois semaines en RDC, la laissant seule avec le bébé, sans aucune aide extérieure. Clara tourne en rond dans l’appartement, déprime sec. Un jour où elle s’ennuie, elle se reconnecte à la fameuse boîte mail. « Là, je découvre que Loup n’a jamais cessé de m’écrire. Au début, il est paniqué par mon silence et puis, progressivement, il se laisse aller à m’écrire de longs textes dans lesquels il me raconte sa vie, ses joies, ses peines avec sensibilité et humour… tout en sachant que je ne les reçois plus. Ça m’a tellement émue ! »

Depuis son divorce, il a décidé d’entamer une thérapie 

On s’assied sur des chaises en métal dans le jardin des Tuileries. Clara reprend le fil de son histoire. Sans attendre, elle écrit simplement à Loup : « Je suis là. » Ce dernier lui répond quelques minutes plus tard : « Alors viens déjeuner à la maison ! » Clara s’amène le lendemain avec son nourrisson en écharpe. Elle toque à la porte le cœur battant. Loup lui ouvre en tablier de cuisine avec un grand sourire : « J’ai fait des lasagnes ! » Ils se voient pour la première fois.

Repas heureux, dessert capricieux

Autour de l’îlot de cuisine, ils partagent leur repas qu’ils arrosent d’un vin des Pouilles. « On ne fait que parler et rire, sans s’arrêter, c’était incroyable. » Loup lui apprend que sa femme l’a quitté juste avant la pandémie. Elle a fini par griller qu’il l’avait trompée avec un nombre incalculable de filles. Depuis son divorce, il a déserté Gleeden et décidé d’entamer une thérapie.

Au moment du dessert, il est clair qu’ils ont très envie l’un de l’autre. Paula dort à poings fermés sur le canapé. Loup regarde Clara avec des yeux brillants. Il l’embrasse doucement, puis la prend par la main pour la guider jusqu’à la chambre où ils font l’amour tendrement. Leur étreinte est stoppée par les pleurs de Paule. Elle a faim. Clara va la chercher pour lui donner le sein. « Pendant que ma fille tète, Loup me regarde avec un regard infiniment doux, et là, je sens comme une vague d’amour monter en moi. »

Nostalgie quand tu nous tiens…

À ces mots, je suis prise par une émotion qui me dépasse. Ma gorge se noue. Je me revois soudain, seule, en plein hiver, sur un banc du boulevard Saint-Germain, avec sous mon pull l’un de mes jumeaux au sein. L’autre en train de hurler dans la poussette double – il avait vomi dans sa combi. Je me rappelle cette vieille dame, l’air pincé dans son vison, qui s’était arrêtée pour nous regarder comme si elle était au zoo. Elle était repartie en sifflant que je n’avais rien à faire là. Deux bébés en plus ! Avec ce froid ! J’étais totalement cinglée ! Je m’étais mise à pleurer à chaudes larmes. Ma doudoune était trempée.

Ils continuent de coucher ensemble dans le lit conjugal

Je cligne des yeux vers Clara. J’ai du mal à masquer mon émotion. Mon amie me dit qu’elle continue à voir Loup, plus que jamais même. Que lorsqu’Antonin n’est pas là, elle l’invite chez elle et qu’ils couchent ensemble dans le lit conjugal. Qu’ils projettent de partir en week-end ensemble avec leurs enfants respectifs. « Je sais que c’est ultra-glauque dit comme ça mais je ne ressens aucune culpabilité. C’est mal, tu crois ? »

J’aimerais lui dire que non, que c’est humain, que je la comprends. Mais je n’arrive pas à articuler la moindre parole tant je suis bouleversée. Je n’avais encore jamais fait le lien entre les conséquences de mon accouchement – vécu comme un traumatisme – et mes envies d’aller voir ailleurs.

Tromper mon mari achèvera-t-il de me réparer ou au contraire de m’abîmer un peu plus

Je fixe l’eau qui jaillit de la fontaine devant moi. Tout semble limpide à présent. Si je fantasme de m’envoyer des troupeaux d’humains, c’est parce qu’à Necker, mon corps a été profané, outragé, saccagé. Même quatre ans après, les violences obstétricales que j’ai subies entre ces murs n’ont pas encore été digérées. La cicatrice de la césarienne – pratiquée en urgence au bout de 36 heures de travail – est encore à vif. 

Mais dois-je voir ces pulsions sexuelles comme des pulsions de vie ou du mort ? Tromper mon mari achèvera-t-il de me réparer ou au contraire de m’abîmer un peu plus ? Une chose est sûre, il faut absolument que j’en parle à ma psy à la prochaine séance. 

Je prends une dernière gorgée de kombucha pour me donner la force de me lever. Clara me lance, la main en visière : « Alors, tu vas le voir, Sayed ? » Je m’éloigne dans le soleil du printemps le sourire aux lèvres.

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