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Abira, la voyageuse qui reconsidère le Haïk et la Jellaba [Portrait]

Pendant plusieurs décennies et surtout durant les années 1950, au pic de la résistance contre le Protectorat français au Maroc, de nombreuses femmes ont porté le haïk, ou la jellaba assortie au niqab traditionnel. Ce sont ces aspects vestimentaires ancestraux qu’Abira, 29 ans et native de Casablanca, tente de visibiliser en les adoptant elle-même et en les mettant en avant à toutes les occasions. Tout a commencé en 2013, lorsque la jeune femme a opté pour cet habillement, afin de contribuer à préserver et à mettre en valeur cet aspect du patrimoine culturel marocain.

«J’avais l’habitude d’aller souvent à la Médina. Dans certains quartiers de la ville, je voyais des femmes porter la jellaba et le haïk à la manière traditionnelle marocaine. J’ai beaucoup aimé leur apparence, d’autant que cette coutume commence à s’éteindre», confie-t-elle à Yabiladi. «Ce qui a accentué mon intérêt et mon admiration sont surtout quelques photos et films datant de l’époque de la résistance, où les femmes jouaient alors un rôle important aux côtés des hommes pour l’indépendance du pays, sans oublier que le niqab les aidait en quelque sorte à se déplacer d’un lieu à l’autre, sans que l’attention des agents et des collaborateurs ne soit portée sur elles», ajoute-t-elle.

Peu hésitante dans la prise de décisions, Abira a facilement franchi le pas pour adopter cette manière de s’habiller, ce qui a cependant surpris ses proches. Cela dit, sa famille ne s’est pas opposée à ce changement d’apparence du jour au lendemain. Férue de voyage depuis ses seize ans, la jeune femme a par ailleurs parcouru plusieurs villes marocaines, en compagnie de ses amis.

Découvrir de nouvelles destinations en jellaba et niqab marocain

Curieuse de découvrir d’autres cultures mais en dehors des sentiers battus des destinations vers le Nord, Abira décide en 2019 de se rendre en Mauritanie et au Sénégal. Son voyage a été ponctué d’auto-stop. «J’ai choisi de voyager de cette manière, car c’est peu coûteux et cela me permet de découvrir les choses et les gens autrement. Je ne me suis jamais inquiétée ; dès que je quitte Casablanca, j’oublie le sens de la peur et plus rien ne m’arrête pour partir à l’aventure», affirme-t-elle. La voyageuse retourne au Maroc, une semaine avant la fermeture des frontières en raison de crise sanitaire de 2020.

Aventurière, Abira n’a cependant pas informé sa famille qu’elle se rendrait en Mauritanie. «J’étais à Dakhla, lorsque j’ai décidé de prendre le cap vert la Mauritanie. Peu avant de traverser le passage frontalier d’El Guerguerate, j’ai appelé ma mère pour lui en parler, mais elle ne m’a pas cru. Je lui ai envoyé alors une photo. J’ai toujours été encouragé par mes proches et mes parents ne se sont jamais mis en travers de mon chemin», se souvient-t-elle.

Durant tous ses voyages à travers le monde, Abira tient à porter la jellaba et le niqab marocain, ce qui donne lieu à des échanges enrichissants avec les personnes qui vont vers elles, curieuses d’en savoir plus sur son habit. La jeune femme les informe volontiers, en y voyant un moyen de promouvoir et de faire connaître des aspects ancestraux de son pays ailleurs. L’échange culturel se fait dans les deux sens, ce qui pousser Abira à revenir parfois dans certains lieux qu’elle a déjà visités.

L’année dernière, elle a ainsi passé l’Aïd al-Adha au Sénégal. Elle s’en rappelle comme d’un «moment agréable», qui lui a permis de renforcer les liens avec les amis rencontrés là-bas en 2019 déjà. Contrairement à d’autres destinations, c’est en Tunisie que la jeune voyageuse s’est confrontée à quelques difficultés, notamment au regard des gens ainsi qu’un certain rejet. «On me regardait d’une manière étrange, à cause de mes vêtements, ce qui m’a surpris au début. Je ne savais pas que je serais exposé à cette situation dans un pays arabe», confie-t-elle.

Le voyage, vecteur des traditions vestimentaires et palliatif sur le plan mental

Sur le plan personnel, Abira nous confie avoir traversé aussi quelques difficultés. En 2016, elle s’est fait diagnostiquer une bipolarité. Depuis, elle a suivi scrupuleusement les prescriptions médicales qui lui ont été faire. Mais à son retour au Maroc peu avant la crise sanitaire, elle a découvert que son traitement était finalement le voyage. A chaque fois que l’occasion le lui permet ou qu’elle se sent mal, elle dit prendre son sac et partir vers une nouvelle destination. «De temps en temps, j’essaie aussi de sensibiliser certaines personnes et de les éclairer sur cette maladie, d’autant que je connais plusieurs personnes souffrantes qui ont mis fin à leurs jours», nous confie-t-elle.

«A un certain stade, j’ai découvert que j’étais plutôt devenue accro aux médicaments, sans aucune amélioration. Le voyage m’a fait accepter ma maladie et m’a permis d’en reprendre le contrôle. Contrairement à la situation dans laquelle je me trouvais, j’ai commencé à accepter chaque étape de ma pathologie et à la vivre telle qu’elle est, que ce soit dans la phase dépressives ou hypomaniaque.»

Abira

Chez son médecin, Abira fait connaissance avec plusieurs patients venus de différentes villes marocaines. «Lors que je leur demandais depuis combien de temps ils étaient sous traitement, les réponses variaient et certains disaient qu’ils en étaient à leur quinzième année. Choquée, je m’étais demandée si j’allais rester comme ça pour le restant de ma vie», nous confie encore Abira. Selon elle, les médicaments lui ayant été prescrits l’ont souvent rendue léthargique et isolée, alors que le voyage lui a été d’une thérapie qui lui a permis de reprendre confiance en elle, de s’ouvrir au monde et de mieux contrôler la situation, ce qui n’est cependant pas systématiquement le cas pour toutes les personnes atteintes de bipolarité.

Abira, elle, souhaite continuer ses voyages et se rendre dans d’autres pays. «Je n’ai pas planifié mes départs ou mes destinations. Je n’aime pas le faire. Je préfère les belles surprises», confie-t-elle. Il y a environ un an, la voyageuse s’est elle-même lancée dans la conception des jellabas et des niqabs marocains, qu’elle propose à la vente en ligne, avec toujours l’idée de maintenir en vie les traditions vestimentaires qu’elle chérit tant.


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