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«Nous avons besoin que les jeunes s’intéressent au cinéma» [interview]

Dans son dernier opus cinématographique, «The Eternal Daughter», la réalisatrice britannique Joanna Hogg raconte l’histoire de Julie, accompagnée de sa mère âgée, les deux incarnées par l’actrice écossaise Tilda Swinton. Elles prennent quelques jours de repos dans un hôtel dans la campagne anglaise, où la jeune femme, réalisatrice, espère trouver de l’inspiration. Entre ces quatre murs, sa mère trouve plutôt l’occasion de redonner vie à de lointains souvenirs. La nuit tombée, Julie explore les lieux, avec l’impression qu’un secret les hante.

Membre du jury de la 20e édition du Festival international du film de Marrakech (FIFM 2023), qui se tient du 24 novembre au 2 décembre, Joanna Hogg a fait sa première venue à la grand-messe de cinéma l’année dernière, accompagnée de son amie de toujours, qu’elle met en avant dans cette œuvre émouvante et captivante à la fois. Tilda Swinton, qui prend part également à ce FIFM, déclare à Yabiladi qu’elle trouve dans ce double-rôle la meilleure illustration de la phase artistique qu’elle apprécie de vivre actuellement.

Le film de Joanna Hogg résonne avec différents aspects de la vie personnelle de son autrice, qui se confie à cœur ouvert à Yabiladi sur le rapport mère-fille, sur la mort et sur l’expérience humaine que permet le septième art.

Vous avez été ici l’année dernière, pour présenter votre film «The Eternal Daughter», quelques mois avant sa sortie. Vous y dirigez Tilda Swinton, qui est d’abord votre amie d’enfance. Comment le fait de travailler ensemble s’est enrichi de cette complicité artistique, forte de plus de 40 ans d’amitié ?

Nous avons cette belle complicité artistique dans le cinéma et au-delà, puisque dans nos vies, globalement, nous nous connaissons depuis tant d’années. Ma vie et mon travail – j’ai du mal à le qualifier comme tel, car le cinéma est un plaisir pour moi et pouvoir le faire est un privilège –, sont très connectés l’un à l’autre. Tilda Swinton, en tant qu’amie d’enfance, est dans ma vie. Pouvoir travailler avec elle alors que nous nous connaissons depuis l’âge de dix ans, lui avoir fait interpréter le double-rôle de mon film «The Eternal Daughter», me procurent une immense joie.

Joanna Hogg et Tilda Swinton au FIFM 2022 / Ph. FIFM

Je dois me pincer à chaque fois pour réaliser que nous avons eu tout ce parcours ensemble, où j’ai eu le privilège de jouer avec une personne, avec qui j’ai littéralement joué quand nous étions enfants. Le faire aujourd’hui, tout en travaillant aussi sur des sujets qui font l’objet de profonds questionnements comme la mort, les rapports familiaux – il s’agit de la relation entre une mère et sa fille dans ce film – est intimement et intensément particulier pour moi.

Le fait que Tilda Swinton et moi nous connaissions depuis presque toute notre vie nous a d’ailleurs permis de creuser ces thématiques en allant très loin, au fur et à mesure du processus créatif, pour nous questionner sur qui nous sommes.

Votre film est sorti il y a près d’un an. De quelle manière avez-vous été impactée par l’expérience de façonner une œuvre, en interconnexion intime avec des aspects de votre vie, pour ensuite la montrer au public à travers le monde ?

Je pensais que «The Etenrnal Daughter» aurait un effet positif sur moi, lors du décès de ma mère. Elle était encore en vie, lorsque je faisais le tournage. Sans griller l’histoire du film, disons qu’il aborde notamment la thématique de la mort et de la séparation. J’ai finalement réalisé que j’avais imaginé quelque chose qui avait fini par se passer réellement. Ma mère est décédée, lorsque j’étais en phase de montage de ce long-métrage. En devant traverser ce processus de deuil, en plein processus créatif, je suis arrivée à l’idée que le cinéma ne saurait remplacer une expérience de la vie réelle.

L’écrivain irlandais Oscar Wilde dit : «toutes les femmes finissent par ressembler à leur mère : c’est leur drame. Jamais les hommes ; c’est le leur». Votre long-métrage traite justement de la complexité des rapports mère-fille. Cette idée résonne-t-elle avec ce que vous retenez de «The Eternal Dughter», de sa préparation à sa sortie ?

Ce qu’a écrit Oscar Wilde serait en dialogue avec ce que je raconte dans «The Eternal Daughter», dans le sens où il s’agit ici des filles qui essayent de comprendre leurs mères, plus que celles qui finissent par leur ressembler. A travers la tentative de cette compréhension, elles pourraient mieux comprendre qui elles sont, car il existe une superposition entre les figures de la mère et de la fille. Je ne pense pas que ce soit quelque chose d’évident à solutionner.

Après avoir perdu ma mère, dans la vie réelle, je me rends compte à quel point je me sens liée à cette idée d’Oscar Wilde. Je désire de devenir ma mère, d’une certaine manière, par confort. Je me trouve à porter certains de ses vêtements. Je conserve très précieusement des objets qui lui ont appartenu, comme ce collier que vous me voyez porter maintenant. Je le lui avais offert lorsqu’elle était en vie. Elle l’aimait tout particulièrement, alors je l’ai repris lorsqu’elle est décédée, pour le garder toujours avec moi, là où je vais.

Ces éléments, dont ces objets, sont très importants pour moi, afin de préserver mon lien avec ma défunte mère.

Le cinéma s’enrichit des œuvres novatrices de différentes générations de réalisateurs. Vous avez marqué le septième art par les vôtres, inspirées d’une démarche expérimentale au début, puis marquées par une maîtrise délicate de la mise en scène, en plus d’un minutieux travail d’orfèvre sur les aspects techniques. Que vous inspire aujourd’hui l’évolution de la création cinématographique ?

Joanna Hogg avec les autres membres du jury du FIFM 2023 / Ph. FIFMJoanna Hogg avec les autres membres du jury du FIFM 2023 / Ph. FIFM

Je trouve que ce qui se passe avec les plus jeunes générations est très encourageant. Elles s’intéressent de plus en plus au cinéma. Elles sont très curieuses de vivre l’expérience d’être en salle et de regarder un film collectivement, avec d’autres spectateurs. Je commence à le voir de manière récurrente et dans différents pays. C’est donc une tendance positive et salutaire.

Nos jeunes sont passionnés de ce que le septième leur fait découvrir et ils veulent pérenniser ce qui s’opère grâce à cela. J’ai l’espoir que ces générations contribueront beaucoup à maintenir le cinéma en vie. Nous avons besoin qu’ils s’y intéressent.


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