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Booster les exportations via le digital : Recommandations aux PME

La Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) a décidé d’ajouter le digital dans les axes prioritaires de ses programmes d’appui aux PME au Maroc, vu qu’il est devenu un élément essentiel du commerce mondial permettant aux entreprises d’atteindre des marchés éloignés et d’accroître leurs activités à l’international. C’est dans ce cadre que la BERD Maroc vient d’organiser en partenariat avec l’Association marocaine des exportateurs (Asmex) et l’Agence du développement du digital (ADD), une rencontre avec les PME sur l’importance du digital pour booster les exportations, animée par l’experte Silvia Carter, Team Coordinator ESG+D auprès de la BERD. Explications.

Le Matin : La BERD Maroc vient d’organiser, en partenariat avec l’Asmex et l’ADD, une rencontre sur le E-export. Quels en sont les objectifs ?

Silvia Carter : L’objectif de notre séminaire est de permettre aux entrepreneurs marocains, en particulier aux PME, de prendre connaissance de toutes les opportunités que peut offrir le digital afin de développer leur activité à l’international, de la mettre en place ou de la booster. Le but est également de leur permettre de les saisir de la meilleure manière grâce à des conseils d’experts, et à un diagnostic personnalisé pour ceux qui le veulent. Ce séminaire vise en outre à valoriser les PME marocaines et à faire rayonner leurs expertises et leur potentiel à l’international en leur donnant les outils pour mettre en place une stratégie d’export efficace avec le digital.

Quelles sont aujourd’hui les tendances mondiales et au Maroc en termes de e-export ?

Selon les derniers rapports en date, environ 64% de la population mondiale utilise aujourd’hui internet, soit 5 milliards de personnes dans le monde sur une population totale de 8 milliards. De même, près de 5 milliards de personnes sont désormais actives sur les réseaux sociaux, qui sont utilisés non seulement pour se divertir, mais aussi pour acheter et pour avoir des informations sur une entreprise ou un produit. Au Maroc, ce n’est pas moins de 33 millions de personnes qui utilisent aujourd’hui internet et 21 millions d’utilisateurs actifs sur les réseaux sociaux si l’on se réfère au «Digital Report 2023» de «We Are Social». Un ratio internautes/population bien plus élevé que la moyenne globale.
Le digital est donc un domaine porteur, ainsi qu’un moyen inédit de mettre en place une stratégie commerciale efficace à l’échelle internationale, accessible à toutes les entreprises quelle que soit leur taille. C’est à partir de ce constat que la BERD Maroc a décidé d’ajouter le digital dans les axes prioritaires de ses programmes d’appui aux PME en transformant le trinôme stratégique ESG (Environnement, Social, Gouvernance) en quadrinôme ESG+D. Je suis personnellement intervenue dans plusieurs projets financés par la BERD dont le dernier auprès de Benson Shoes : l’objectif était d’optimiser le site e-commerce et, aujourd’hui, l’équipe maîtrise tous les outils numériques pour vendre en ligne sur les marchés étrangers.

Intégrer le digital dans sa stratégie export devient donc primordial pour les entreprises…

On pense souvent que l’export est réservé aux grandes entreprises et aux multinationales. Cependant, l’export n’a jamais été aussi accessible aux PME qu’actuellement grâce au digital, qui offre de larges options pour se différencier des concurrents, et pour se construire une audience internationale.
En ce qui concerne les exportations marocaines, au-delà des leaders dans le phosphate et l’automobile, elles sont soutenues principalement par les secteurs du textile-cuir (vêtements, chaussures, accessoires, etc.) et de l’agroalimentaire (huile d’olive, produits pêche, pâtisserie, etc.) qui ont connu des hausses de plus de 30% et 20% respectivement par rapport à l’année précédente. Ces secteurs se prêtent bien aux deux types de stratégies digitales à l’export, B2B ou B2C ou les deux en parallèle si les ressources de l’entreprise le permettent. Chacune doit passer par l’optimisation du site Web, mais avec la différence que la stratégie B2B nécessite des campagnes d’acquisition et Lead Generation adaptées à la prospection ciblant des professionnels, ce qui est bien différent des campagnes ciblant les particuliers.
Un dernier secteur que je souhaite mentionner et qui est important pour l’export marocain est le tourisme. Dans ce domaine, la stratégie digitale à l’export est différente et s’établit sur une approche B2B2C : les opérateurs doivent captiver les grandes plateformes des revendeurs internationaux, mais aussi séduire et fidéliser les consommateurs afin qu’ils renouvellent leurs futurs achats directement sur leurs sites sans passer par aucun intermédiaire.

Comment aujourd’hui les opérateurs économiques marocains peuvent-ils exploiter le digital pour conquérir des marchés et booster leurs exportations ?

L’une des meilleures manières de tirer parti des opportunités qu’offre le digital est d’adapter sa stratégie au contexte local des pays ciblés. Les entreprises marocaines ont deux options géographiques majeures à proximité : l’immensité du continent africain et l’Europe. Dans le premier cas, il faut bien mesurer la maturité digitale dans les pays ciblés en Afrique, car souvent les canaux numériques ne sont pas très utilisés. Afin de pouvoir pénétrer de nouveaux marchés dans ce contexte, il faudra déployer une stratégie multicanale dans laquelle l’adaptation du contenu existant et sa traduction dans une autre langue peuvent suffire, mais à condition d’être accompagnées par des actions de prospection de terrain en suivant une approche export plus traditionnelle.
Cependant, on sait que cette méthode ne fonctionne pas dans des pays avec une maturité digitale élevée comme en Europe. Ici, les acheteurs en ligne sont à la recherche d’une expérience client personnalisée, qu’ils soient en B2B ou en B2C. Dans ce cas, il est essentiel de bien étudier le marché du pays visé afin d’adapter la stratégie digitale à la langue, à la culture et aux habitudes des consommateurs, mais aussi de ne négliger aucun des canaux de vente, qui sont très nombreux dans l’écosystème digital européen. Dans un premier temps, il est donc nécessaire d’adapter sa stratégie de vente en ligne transfrontalière (ou cross-border) en optimisant son site e-commerce, ainsi qu’en choisissant les bonnes marketplaces internationales. Ensuite, il faut que les entreprises marocaines prêtent attention à leur stratégie web marketing multilingue en englobant les réseaux sociaux, le social selling, l’inbound marketing, l’e-marketing, et le marketing automation. C’est en adaptant tous ces leviers multicanaux aux contextes spécifiques à l’étranger que les entreprises marocaines réussiront à exploiter le digital de la meilleure manière afin de vendre à l’international.

Quels sont les secteurs porteurs, qui réussissent le plus le e-export ?

La dimension digitale de l’export (à ne pas confondre avec la transformation digitale de l’export) est devenue un élément essentiel du commerce mondial permettant aux entreprises d’atteindre des marchés éloignés et d’accroître leurs activités à l’international. Certains secteurs ont connu plus de succès que d’autres dans ce domaine en raison de facteurs tels que la demande du marché, la maturité technologique, la concurrence, la réglementation et les coûts.
Voici quelques exemples :

  • La mode et les accessoires sont les produits les plus prisés en ligne, c’est un phénomène répandu dans le monde entier. De nombreuses marques ont réussi à établir leur présence en ligne sur les marchés internationaux. Les plateformes e-commerce ont permis à ces entreprises de se connecter directement aux consommateurs dans leur pays et à l’étranger, leur offrant ainsi une visibilité qui aurait autrement été inaccessible.
  • Tous les produits techniques, non seulement les smartphones, les ordinateurs portables ou les écrans 4K Ultra HD, mais aussi les produits de fitness, de bricolage (qui est l’une des catégories les plus en tendance selon Shopify) et tous les accessoires connexes, sont très demandés dans le monde entier. Les entreprises de ces secteurs ont été parmi les premières à adopter l’e-commerce cross-border, en utilisant leur site de commerce électronique et les marketplaces pour vendre leurs produits à l’étranger.
  • Les produits de beauté et de soins personnels ont également connu une croissance rapide dans la vente en ligne transfrontalière ces dernières années, notamment avec les produits innovants liés au yoga, au yoga du visage ou encore à la bio-cosmétique ! Les produits de ce secteur ont été parmi les premiers à être vendus en ligne à l’étranger, car ils offrent un ratio valeur unitaire/frais de gestion très favorable.
  • Le secteur alimentaire avec des produits de consommation courante, qui sont très demandés dans le monde entier. Les entreprises de ce secteur ont commencé à utiliser le digital pour atteindre de nouveaux marchés et répondre à la demande croissante des consommateurs, notamment pendant la crise sanitaire de la Covid-19.

Ce ne sont que quelques exemples, mais ce qu’il faut retenir c’est que tout secteur peut réussir dans l’e-export. Bien que la demande du marché, la maturité digitale, la concurrence, la réglementation et les coûts jouent un rôle important, ce n’est qu’avec une stratégie solide, une bonne compréhension du marché et des consommateurs locaux, ainsi que des capacités technologiques et logistiques adaptées qu’une entreprise peut réussir dans le commerce électronique cross-border, peu importe son secteur.

Justement, quels sont les aspects pratiques de l’e-export ?

Qu’on l’appelle e-export, e-commerce cross-border, export digital ou encore vente en ligne transfrontalière, la chaîne de valeur de cette forme de commerce international comporte des aspects pratiques bien spécifiques :

  • La logistique est l’un des aspects les plus importants de l’e-commerce cross-border. Il est essentiel de trouver des transporteurs fiables et compétents pour expédier les produits dans les délais impartis à l’étranger. La gestion des stocks est également importante pour éviter les ruptures et les retards de livraison. La meilleure solution est de faire appel à des sociétés spécialisées dans le «fulfillment cross-border», aussi nommées 3PL, ou en anglais Third-Party Logistics providers. Ces sociétés offrent des solutions de distribution adaptées à n’importe quelle géographie. On leur confie du stock en consignation et elles s’occupent de tout, y compris de la «Reverse Logistics» c’est-à-dire la logistique des retours.
  • Le service client est un autre facteur crucial pour les clients étrangers qui peuvent avoir des questions sur les produits ou les services avant, pendant et après leurs achats. Il est important de proposer un service client multilingue pour répondre aux besoins des clients de différents pays et cultures. Les canaux de communication tels que le chatbot, l’e-mail, la messagerie instantanée et les réseaux sociaux doivent être pris en compte. Ici, la Best Practice est d’utiliser le 3PL, car souvent ce type de prestataires dispose des ressources multilingues pour gérer ce service au nom de leurs clients. Si on considère que la plupart des appels des clients concernent le suivi des commandes ainsi que les retours, que ce soit sur le plan local ou international, on comprend facilement pourquoi les 3PL sont plus à même d’assurer un service client efficace.
  • La réglementation, qu’il s’agisse de la TVA, des douanes, des certifications ou encore de la protection des données, peut être complexe dans la vente en ligne transfrontalière. Les règles varient d’un pays à l’autre, et juste pour la TVA, il y a près de 170 systèmes différents dans le monde. Rassurez-vous, il n’est pas nécessaire de les connaître tous. Il faut simplement comprendre les exigences réglementaires des différents pays que l’entreprise cible. La bonne pratique dans ce cas est de travailler avec des experts juridico-fiscaux et directement avec les douanes, pour s’assurer de la conformité de l’entreprise. Une fois ce point validé, la complexité est maîtrisable grâce à la mise en place de procédures claires et régulières.
  • Les systèmes de paiement peuvent parfois être une source de friction dans l’e-commerce cross-border. Les clients étrangers ont des préférences de paiement différentes de celles des clients nationaux. Il est important de proposer une variété d’options de paiement, notamment les cartes de crédit, les cartes prépayées, les virements bancaires, les paiements par mobile, PayPal, etc. Les solutions pour proposer des systèmes de paiement adaptés aux habitudes locales sont nombreuses et certaines très simples à déployer, notamment celles qu’offre l’intégration via des plugins sur un CMS comme WooCommerce, WordPress ou Shopify.
  • Le référencement naturel et payant est aussi des facteurs essentiels de la chaîne de valeur de l’e-export. Pour attirer des clients étrangers sur leur site web, les entreprises doivent s’assurer qu’il est optimisé pour les moteurs de recherche utilisés par leurs prospects à l’étranger. Cela inclut non seulement la traduction des textes et des mots-clés du site, mais aussi l’adaptation de tous les contenus utilisés pour le SEO on-page. Ces techniques sont souvent redoutées par les entreprises, car elles ont des difficultés à comprendre leur fonctionnement et les bénéfices qu’elles apportent. De ce fait, les sites Web avec du mauvais référencement naturel multilingue seront mal positionnés dans les résultats des moteurs de recherche à l’étranger. Quelle est alors la solution pour que ces sites gagnent les premières positions dans les moteurs de recherche à l’étranger ? Le référencement payant ! C’est-à-dire Google Ads, Facebook Ads, etc. Notons qu’ici, le budget est beaucoup plus élevé que pour le référencement naturel.

Selon votre expérience, quels sont les challenges vécus, quels retours d’expérience ?

L’export digital offre de nombreux avantages aux entreprises, notamment en permettant d’élargir leur base de clients potentiels à l’international. Cela implique également de relever plusieurs défis et de mettre en place une stratégie solide pour réussir. En tant qu’experte, j’ai pu constater plusieurs principaux challenges
D’abord, la concurrence : le marché de l’e-commerce est très concurrentiel tant sur le plan national qu’international. Par conséquent, il est difficile de se faire une place face à des entreprises étrangères déjà établies, et disposant d’une notoriété de marque dans les pays visés sans avoir une stratégie claire et les ressources adéquates par rapport aux objectifs à atteindre.
Ensuite, les différences culturelles et de réglementation sont un vrai challenge. Chaque pays a sa propre culture, ses propres pratiques et ses propres règles et normes en matière d’e-commerce. Il est donc important pour les entreprises de comprendre ces différences, afin d’adapter leur offre et leur stratégie de vente en ligne.
Enfin, il ne faut pas oublier les challenges logistiques. La livraison de produits à l’étranger peut être compliquée, notamment en termes de délais, de frais de transport, de droits de douane et de retours. Aussi, il est fondamental de bien anticiper ces problématiques pour ne pas décevoir les clients, tout en maîtrisant les coûts associés.
Parmi les retours d’expérience que j’ai pu observer, celui qui domine est la combinaison entre connaissance des marchés étrangers et capacité d’adaptation. Les entreprises qui réussissent ont une connaissance approfondie des marchés étrangers qu’elles ciblent. Cela inclut donc la compréhension de la culture, des habitudes des consommateurs, des lois et des réglementations en vigueur. Mais l’adaptation de la proposition de valeur est aussi importante : les entreprises qui réussissent dans l’export digital sont celles qui sont capables de personnaliser leurs offres en fonction du contexte local, pour répondre aux besoins et préférences des consommateurs étrangers. Cela implique souvent de fournir des informations sur les produits et services dans leur langue, d’adapter les prix et les promotions pour tenir compte des différences de change, et de s’adapter aux habitudes d’achat locales.

À la lumière du contexte international actuel, quels conseils prioritaires recommandez-vous aux exportateurs marocains ?

Pour les entreprises marocaines, j’ai des conseils génériques, qui concernent les PME de n’importe quel pays, ainsi que des conseils spécifiques pour le Maroc.
Pour ce qui est des conseils génériques, je vous suggère d’établir une stratégie d’e-export claire, de définir votre marché cible, de valider les objectifs, de développer un plan d’action pour y arriver et de donner tous les moyens à votre présence en ligne pour qu’elle soit professionnelle dans tous les pays que vous ciblez. Les entreprises qui vendent à l’export par opportunisme, sans stratégie ni ciblage, en répondant à des sollicitations peu pertinentes, peinent à rentabiliser leur activité à l’étranger de façon pérenne.
Aussi, soyez prêt à investir du temps et de l’argent. Le digital à l’export peut prendre du temps et nécessiter un investissement financier conséquent. Assurez-vous d’avoir suffisamment de ressources pour soutenir votre entreprise tout au long du processus de développement. Dans ce cas, il est important que vous exploriez les opportunités de financement offertes par les institutions locales et internationales pour soutenir votre entreprise (par exemple, le programme d’appui aux PME de la BERD).
En ce qui concerne les conseils spécifiques au Maroc, je vous suggère de vous concentrer sur la qualité. La production marocaine bénéficie d’une excellente réputation en termes de qualité. Elle est essentielle pour réussir sur le marché international, surtout pour les produits de niche. Les produits de qualité sur des niches spécifiques avec une valeur ajoutée élevée sont ceux qui se vendent le mieux en ligne à l’international.
Dernier conseil, faites appel à des experts en stratégie digitale multicanale à l’export ! Si vous n’êtes pas à l’aise avec ces techniques, envisagez de faire appel à des professionnels avec une expertise confirmée dans le digital à l’international pour vous guider tout au long du processus. Faire appel à ce type d’experts, c’est un investissement qui vous permettra de prendre de l’avance sur vos concurrents à l’international, ou de rattraper rapidement votre retard le cas échéant.

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