Santé

« Je ne veux pas de deuxième enfant » : témoignages de femmes qui n’ont pas aimé être enceintes

La sage-femme Elise Destannes se souvient d’une journée particulière : trois patientes qui, coup sur coup, confient ne pas aimer être enceintes. « Le propos revient souvent, mais ce jour-là, j’ai compris combien il était fréquent mais aussi tabou : toutes étaient gênées de leur révélation et ressentaient de la culpabilité », déroule la professionnelle.

Si Instagram et la une des magazines nous abreuvent régulièrement de photos de femmes enceintes rayonnantes, au ventre joliment arrondi, la réalité est différente pour d’autres, qui ne décrochent pas nécessairement la médaille de l’épanouissement et du tout-sourire. La faute aux changements corporels, psychiques ou organisationnels, qui ôte toute magie à l’expérience. Une magie à laquelle on continue de nous faire croire et qui pèse sur les femmes pour qui la gestation n’a rien d’extraordinaire.

Un état particulier

La grossesse n’est pas une maladie, mais elle est un état particulier. Le corps se réorganise pour fabriquer un être humain. Si certaines pathologies sont susceptibles de se développer et d’alourdir l’expérience – hyperémèse gravidique, placenta prævia, etc. –, la grossesse est aussi rythmée de « petits maux » qui, minimisés jusque dans l’appellation, ne sont pas à l’abri de perturber. Nausées, jambes lourdes, ballonnements… Les femmes sont freinées. « Je ne peux plus faire ce que je veux comme je le veux, j’ai mal au dos, je fais des insomnies, j’ai du mal à marcher, je suis très fatiguée, plus aucune libido… J’envie ces femmes qui s’épanouissent enceinte, et je suis curieuse de savoir où elles puisent cet épanouissement », confie Justine, 34 ans, qui attend son troisième enfant et se sent « diminuée ».

Dans certains cas, on échappe aux petits maux de la grossesse ou les tolèrent plutôt bien. Ce qui complique alors la tâche ? L’absence d’un quotidien ordinaire. L’alimentation est contrôlée, l’alcool exclu, et la vie professionnelle parfois ralentie. « J’ai eu le sentiment d’être privée de ma normalité », exprime Camille, 37 ans, qui garde alors un souvenir libérateur de l’accouchement : « Quand mon fils est sorti, j’ai éprouvé un soulagement, un relâchement, une libération physique et mentale très nette. » Apolline, 31 ans, a pour sa part accouché deux fois prématurément : « Je crois que mon corps a fait ce qu’il fallait, parce que je n’en pouvais plus », lâche-t-elle.

Un corps qui appartient à d’autres

Marine, 37 ans, s’est elle aussi sentie dépossédée de son corps. Mais contrairement à Camille et Justine, Marine a plutôt souffert de « devenir un espace public ». Son corps, elle le reconnaissait et il ne l’empêchait pas de vivre. Seulement, elle était lasse des inconnus qui, à la caisse d’un supermarché, la questionnaient sur la date de son terme. Le fameux : « C’est pour quand ? ». « C’est sans dire que tout le monde voulait toucher mon ventre, me parlait du bébé… J’étais niée ! », s’exclame-t-elle.

Pour Manon, 40 ans, ce sont plutôt ses émotions qui ont été niées : « Mon mec était déjà papa. Moi qui rêvais de cette grossesse et la voyais comme une expérience de multiples premières fois à découvrir ensemble, j’étais seule dans mon extase. Tellement que j’ai fini par moins m’extasier, j’avais peur de ne pas créer de lien avec mon bébé et je sollicitais des échographies supplémentaires à une amie, en cachette, pour vivre des moments précieux », raconte-t-elle.

La culpabilité, toujours dans les parages

« Les mère sont sans cesse jugées et sans cesse culpabilisées. Pour cette raison, celles qui n’aiment pas être enceinte l’avouent difficilement », observe la sage-femme Elise Destannes. Hélène confirme : « Une femme enceinte qui se lamente sur sa grossesse quand tout va bien, c’est mal vu ! Je n’ai jamais osé dire que la sensation des coups dans le ventre n’était pas agréable… Je trouvais ça rassurant que mes bébés bougent, certes, mais ça me gênait, c’était bizarre… », dit-elle.

« La grossesse est beaucoup idéalisée et fantasmée : ventre qui grossit, premiers mouvements du bébé, investissement du partenaire quand il y en a un… Résultat, quand les femmes ne ressentent pas ces frissons, elles culpabilisent », remarque la sage-femme. La culpabilité peut naître en comparaison à d’autres femmes qui, de leur côté, accusent des difficultés, mais aussi dans le regard – réel ou projeté – de ceux qui estiment que porter la vie est une chance, voire une expérience incroyable. Être enceinte, on devrait aimer ça, et d’autant plus qu’on l’a souhaité. De là, la culpabilité inspire souvent la peur d’être une future mauvaise mère : « Les femmes imaginent qu’elles ne vont pas aimer leur bébé, or, ne pas apprécier la grossesse n’a rien à voir avec l’amour : c’est simplement ne pas apprécier l’état de la grossesse », rassure l’experte. Un distinguo à faire. Marine l’a bien compris : « La maternité est une histoire d’amour et d’avenir… Si faire avec l’état transitoire de la grossesse est obligatoire, l’aimer et le chérir ne fait heureusement pas partie du contrat », partage-t-elle.

Remettre le couvert malgré tout ?

« J’ignore si je changerais d’avis, comme on adore me le faire croire, mais pour moi, l’expérience de la grossesse et du post-partum ont été épuisantes, je ne veux pas de deuxième enfant », affirme Charlotte, 38 ans. Pour d’autres, faire un deuxième enfant est envisageable – ou déjà fait : « Il était évident, depuis le départ, qu’on aurait plusieurs enfants, explique Hélène. Je savais à quoi m’attendre pour ma deuxième grossesse, et une fois dedans, je répétais qu’il n’y en aurait pas de troisième… Aujourd’hui, je me dis que je ne suis pas à l’abri de craquer : on n’oublie pas la teneur des neuf mois, mais l’idée d’avoir un enfant peut être plus forte. »

Le désir de maternité n’est pas le désir de grossesse : on peut vouloir être mère sans désir être enceinte. D’après la sage-femme, le fait d’être informée aide à remettre le couvert : « On sait que pendant neuf mois, on ne va pas consumer sa vie comme d’ordinaire, et le savoir permet de le supporter. C’est exactement la même chose avec le post-partum : maintenant qu’on en parle, les femmes l’abordent différemment… Oui, il peut y avoir de la fatigue, des clashs avec le partenaire… L’information casse les mythes », dit-elle. Reste donc à tuer les mythes qui perdurent autour de la grossesse. Si le post-partum a tiré son épingle du jeu, les neuf mois qui précèdent le peuvent tout autant.


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