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Entreprises familiales : entretien avec Kacem Bennani-Smires et Jalil Benabbes-Taarji

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Dans deux entretiens exclusifs, les dirigeants de l’Institut des entreprises familiales du Maroc (IEF-Maroc), Kacem Bennani-Smires, président de l’IEF-Maroc, et Jalil Benabbes-Taarji, vice-président de l’IEF-Maroc, nous parlent de ces défis, de leurs visions et de leurs ambitions.

Kacem Bennani-Smires : L’État aurait tout à gagner à accompagner les entreprises familiales pour faciliter les transmissions intergénérationnelles

Dans un entretien accordé au «Matin», le président de l’IEF-Maroc, Kacem Bennani-Smires, met en lumière les défis liés à la transmission des entreprises familiales au Maroc et prône l’adoption d’une gouvernance ouverte pour garantir la pérennité de ces entreprises et renforcer leur rôle essentiel dans la création d’emplois et la stimulation de la croissance économique nationale.

Entreprises familiales : entretien avec Kacem Bennani-Smires et Jalil Benabbes-Taarji

Kacem Bennani-Smires.

Le Matin : Pouvez-vous nous expliquer la genèse de l’Institut de l’entreprise familiale Maroc (IEF-Maroc) et ce qu’il prévoit pour soutenir ces entreprises familiales ?

Kacem Bennani-Smires : Lors d’un séminaire sur les entreprises familiales tenu en juillet 2022 à l’ISCAE, plusieurs familles ont pris conscience qu’il n’existait pas au Maroc d’association dédiée à l’entrepreneuriat familial. Pour remédier à cette lacune, nous nous sommes inspirés de l’expérience de l’Institut de l’entreprise familiale espagnole. Grâce à une dizaine de membres passionnés et engagés, nous avons atteint notre objectif. L’Institut de l’entreprise familiale marocaine, ou IEF-Maroc, a pour mission de promouvoir l’importance et le rôle des entreprises familiales au sein du tissu économique marocain. En interne, notre institut soutient la pérennité et la transmission intergénérationnelle en favorisant le partage d’expérience, en encourageant la recherche académique et en préparant les jeunes générations à prendre le relais. En externe, l’IEF Maroc diffuse les meilleures pratiques en matière de gouvernance, de responsabilité sociale et sociétale, ainsi que les valeurs familiales et entrepreneuriales.

La transmission des entreprises familiales est souvent un défi. Pourriez-vous nous en dire plus sur les problèmes clés associés à cette question et sur la manière dont l’IEF-Maroc peut contribuer à les surmonter ?

Les entreprises familiales sont intrinsèquement axées sur la durabilité à long terme. L’objectif ultime est la perpétuation de l’entreprise, sur laquelle repose la famille. Par conséquent, les dirigeants ont tendance à préférer maintenir la gestion au sein de la famille, car cela offre un sentiment de sécurité. Cependant, cette approche, bien que rassurante, peut parfois compromettre la pérennité de l’entreprise en raison de la complexité liée à l’implication de plusieurs générations. La transmission à la génération suivante repose sur la volonté de préserver et de développer l’entreprise, de faire fructifier le patrimoine familial, tout en préservant l’héritage culturel.

L’IEF-Maroc s’efforce de populariser ce sujet, afin qu’il soit abordé de manière sereine dans l’intérêt ultime de l’entreprise. La transmission est une question vitale qui doit être traitée avec ouverture et confiance, en s’appuyant sur la sagesse du fondateur. Trop souvent, les familles attendent le décès du fondateur pour aborder cette question, ce qui peut déclencher des conflits internes mettant en péril l’entreprise.

Au Maroc, deux particularités rendent parfois la transmission difficile. Premièrement, il y a un tabou autour de la mort, et parler de transmission implique également de discuter de l’après fondateur, un sujet souvent délicat au sein de la famille. Deuxièmement, la loi islamique stipule que les garçons reçoivent deux parts d’héritage, tandis que les filles en reçoivent une seule. Cette inégalité engendre fréquemment des conflits qui entravent une transmission paisible et qui, parfois, mettent en danger à la fois l’entreprise et la cohésion familiale.

La mortalité importante des entreprises familiales pose la question de leur gouvernance. Quel regard portez-vous sur ce problème ? Et comment le vaincre selon vous ?

Selon les résultats d’une enquête mondiale menée par le Cabinet Deloitte en 2020 sur les entreprises familiales, les ressources humaines (RH) sont ressorties comme l’une des cinq priorités du conseil d’administration. À mesure que les entreprises familiales se développent, elles sont amenées à reconsidérer leur modèle organisationnel qui a largement contribué à leur succès. Cela implique d’intégrer de nouvelles ressources, à la fois familiales et non familiales. L’inclusion de jeunes générations talentueuses apporte un nouveau regard dans la conception et la mise en œuvre des stratégies de croissance.

La vision audacieuse du fondateur de l’entreprise familiale est soutenue par son esprit entrepreneurial, ses valeurs et la culture familiale qu’il partage avec toutes les parties prenantes. Cependant, à mesure que l’entreprise grandit, la voie vers de nouvelles ambitions de croissance exige l’engagement d’un dirigeant ou d’une équipe de direction qui n’est pas nécessairement issu de la famille. Pour les fondateurs, prendre cette décision n’est pas facile. Il est tout à fait légitime de se questionner sur l’efficacité des avantages qu’un gestionnaire externe peut apporter à l’entreprise et sur la création d’une culture de gestion inspirée par les multinationales. Les valeurs et la culture de l’entreprise familiale sont profondément enracinées dans l’histoire de la famille et de l’entreprise.

La disparition d’une entreprise familiale n’est généralement pas le résultat d’une cause unique, mais plutôt d’un ensemble de facteurs, à la fois internes et externes. Parmi les facteurs externes, on peut citer la capacité à anticiper les changements et les évolutions sur les marchés, avec les fournisseurs et face à la concurrence. Les entreprises familiales ont souvent une forte orientation vers les valeurs de fidélité et de confiance, ce qui peut les amener à maintenir des habitudes relationnelles figées. C’est pourquoi une gouvernance ouverte devient nécessaire pour favoriser l’adaptation aux évolutions du marché.

Il est essentiel de souligner l’importance de la préservation des entreprises familiales. Le gouvernement marocain met en place de nombreux outils pour encourager la création d’entreprises, mais il n’y a que peu de soutien spécifiquement dédié aux entrepreneurs familiaux de la deuxième à la troisième génération. Le manque d’accompagnement en matière de transmission finit par compromettre la survie d’entreprises qui détiennent un savoir-faire précieux, une richesse économique significative, sans oublier leur impact sur l’emploi. L’IEF-Maroc s’engage à pallier ces insuffisances en fournissant un lieu propice au partage d’expérience et à l’écoute active.

Pouvez-vous nous expliquer comment l’Institut de l’entreprise familiale Maroc envisage de tirer parti de sa participation à ce Congrès pour promouvoir son objectif de soutien aux entreprises familiales au Maroc ?

L’expérience de notre participation au congrès en Espagne a dépassé largement nos attentes. Une multitude d’entreprises de toutes tailles y ont participé, avec une impressionnante représentation de près de 500 présidents qui ont été assidus tout au long de l’événement. Les débats se sont avérés extrêmement enrichissants en raison de la qualité des échanges et du partage d’expérience.

Une révélation majeure de ce congrès pour moi a été la gratitude exprimée par les représentants du gouvernement espagnol envers les entreprises familiales. S.M. le Roi Felipe, le Président du principal parti politique espagnol et le ministre de l’Économie ont tous tenu des discours extrêmement élogieux envers les entreprises familiales, les remerciant à maintes reprises pour leurs efforts, leur contribution à l’emploi et leurs investissements dans l’économie espagnole.

Je suis convaincu que le développement économique et l’équilibre de notre pays dépendent largement de la préservation des entreprises familiales, qui constituent une part prépondérante de notre tissu économique. L’État aurait tout à gagner à accompagner ces entreprises pour faciliter les transmissions intergénérationnelles. La fragilisation d’une entreprise familiale aux deuxième ou troisième générations entraîne des pertes d’emplois, un déficit d’investissements, la perte du savoir-faire, et une plus grande dépendance vis-à-vis des produits étrangers.

Les entreprises familiales prédominent à l’échelle mondiale, et au Maroc, elles représentent près de 95% des entreprises, qu’elles soient de grande, petite ou moyenne taille. La gouvernance des entreprises familiales joue un rôle central. En Espagne, ce modèle représente 88% des entreprises et contribue à hauteur de 57% du PIB national. L’Institut espagnol de l’entreprise familiale bénéficie d’une longue expérience, d’une influence significative et d’une organisation avantageuse pour ses membres. Nous espérons que l’IFE-Maroc suivra cette voie avec succès.

Jalil Benabbes-Taarji : «L’IEF-Maroc préconise une collaboration prometteuse avec le monde universitaire pour la recherche en entrepreneuriat familial»

Jalil Benabbes-Taarji, vice-président de l’IEF-Maroc, évoque les défis majeurs auxquels font face les entreprises familiales au Maroc et explique comment l’Institut s’efforce de les relever en s’appuyant sur des partenariats nationaux et internationaux ainsi que sur l’expérience espagnole.

Entreprises familiales : entretien avec Kacem Bennani-Smires et Jalil Benabbes-Taarji

Jalil Benabbes-Taarji.

Le Matin : Les entreprises familiales du Maroc font face à divers défis. Pouvez-vous nous en expliquer les plus importants et comment l’IEF-Maroc compte les relever ?

Jalil Benabbes-Taarji : Les entreprises familiales marocaines, à l’instar de leurs homologues à travers le monde, font face à des défis en matière de gouvernance, de transmission, de pérennité et d’image quant à leur contribution à l’économie nationale. L’Institut des entreprises familiales (IEF) au Maroc s’est ainsi structuré pour relever ces défis, autour de quatre commissions spécialisées, des partenariats nationaux et internationaux, et sa future adhésion au réseau international «Family Business Network» à Genève. Ces initiatives se traduiront par des services, des études et des conseils rendus à nos membres, ainsi qu’au plus grand nombre d’entreprises similaires. Nous ambitionnons également d’impliquer un grand nombre de membres de familles desdites entreprises, toutes générations confondues. Nous sommes heureux de constater que notre tout premier séminaire en juillet dernier a déjà eu un impact positif sur plusieurs de nos adhérents.

L’IEF-Maroc compte-t-il travailler en collaboration avec des institutions universitaires pour mener des recherches ou des analyses pertinentes pour le développement des entreprises familiales ?

Oui, car le monde universitaire et académique joue un rôle central dans nos projets de partenariat, visant à développer une offre de formation adaptée, à construire une base de données solide et crédible, et à orienter la recherche vers des domaines d’intérêt commun. Il est essentiel de souligner que bien que nos efforts prioritaires profitent à nos membres, nos réalisations et notre production seront mises à la disposition d’un large éventail d’entreprises à travers le pays, quel que soit leur secteur d’activité ou leur région.

Avez-vous déjà envisagé des partenariats internationaux, notamment avec des organisations espagnoles, pour soutenir les objectifs de l’IEF-Maroc ?

Effectivement, l’IEF Espagne a été notre tout premier et précieux partenaire, nous apportant son soutien et ses conseils bien avant notre constitution officielle le 22 juin dernier. Dès septembre, à la rentrée, nous avons établi le contact avec nos homologues français du FBN France. Ces premiers pas marquent le début de notre ouverture à l’international, et nous prévoyons d’étendre notre réseau en Afrique et au Moyen-Orient dans un avenir proche. Nous avons l’ambition de développer un modèle maroco-marocain, sans négliger de nous inspirer des meilleures expériences et pratiques internationales.

Pourriez-vous nous donner un aperçu de votre participation au XXVIe Congrès national de l’entreprise familiale à Bilbao en Espagne, qui s’est déroulé du 22 au 24 octobre 2023 ?

Notre expérience et notre ressenti ont dépassé nos attentes, tant sur le plan du contenu avec un programme riche sur 48 heures que sur la méthode et l’organisation de très belle facture. La séance d’ouverture a été présidée par le Roi d’Espagne, qui a prononcé un discours réservant toute sa place au Maroc. Quatorze membres de l’IEF-Maroc ont assisté à cet événement, tandis que le président et moi-même avons participé à une table ronde animée par notre directrice, Houda Benghazi, une hispanophone accomplie. Cette table ronde portait sur le rôle des entreprises familiales marocaines en tant que moteur de l’économie nationale. Ce congrès s’est avéré extrêmement inspirant, et nous revenons avec une multitude d’idées et d’ambitions, tout en restant modestes et conscients que nous sommes dans une logique d’apprentissage continu.


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