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Interview avec Amani Abou Zeid « Notre objectif est que l’Afrique parle d’une seule voix sur l’hydrogène et l’Intelligence Artificielle »

– Les pays africains, et notamment le Maroc, subissent de plein fouet les chocs externes. La crise du Covid-19, la guerre russoukrainienne et l’inflation internationale, les ont visiblement affectés. Pourtant, il semble qu’il y a une réponse collective à ces défis. Comment y parvenir ?

– D’abord, permettez -moi de rappeler que l’Afrique est un continent en pleine expansion à tous les niveaux. N’oublions pas que c’est la partie du monde qui a les taux de croissance les plus élevés, et un potentiel commercial prometteur avec la zone de libre-échange (ZLECAf). Tout cela montre que l’Afrique a été en dynamique avant la pandémie. Concernant les réponses collectives auxquelles vous faites allusion, l’Afrique a fait tout de même preuve de solidarité. L’élément illustratif est que, lorsque le transport aérien s’est arrêté au niveau mondial, les compagnies aériennes africaines ont continué à sillonner l’espace aérien des différents pays pour acheminer les produits médicaux et ceux de première nécessité. J’en cite ici, à titre d’exemple, Royal Air Maroc, dont l’engagement a été un modèle. Je rappelle aussi la plateforme numérique commune pour faciliter la mobilité entre pays africains. C’est un projet africain commun.

De 2020 à 2021, il ne vous a pas échappé que l’Afrique a négocié collectivement les prix des vaccins dans le cadre d’un achat collectif. Autant d’exemples qui montrent la capacité du continent à mener des actions collectives avec succès.

Concernant les crises suivantes, la guerre russo-ukrainienne a montré certaines fragilités. On s’est rendu compte que nous sommes si indépendants de l’extérieur que la crise a failli provoquer une menace alimentaire et la hausse du coût du transport à cause de l’interruption des chaînes d’approvisionnement.

Il y a deux façons de voir les choses : soit continuer de se plaindre des injustices ou être acteur de son destin et faire des crises une opportunité. Je privilégie la seconde option. Prenons le défi énergétique en exemple. Nous avons toujours plaidé pour les financements adéquats et pour le transfert de technologies afin d’avancer. Nos partenaires y sont réceptifs. Pour ce qui est du développement des énergies renouvelables, l’Afrique a du potentiel puisqu’elle recèle 40 à 50% des matériaux rares dont dépendent les technologies d’énergie verte. Encore faut-il avoir les instruments financiers pour forger de véritables industries locales, surtout dans les batteries.

En gros, notre priorité est d’aller dans cette lancée afin de réduire, ne serait-ce qu’en partie, notre dépendance excessive. Pareil pour la numérisation qu’il faut généraliser plus audacieusement. Actuellement, il y a des pays plus avancés que d’autres. Maintenant, il faut passer à la vitesse supérieure puisque la pandémie a montré à quel point l’internet et la dématérialisation du travail sont indispensables. Il y a tout un travail au niveau de l’Union Africaine qui est en train de se faire avec les Etats afin d’accélérer la cadence.

– En matière d’énergie, prenons le cas du Maroc, qui s’est lancé dans des projets monumentaux d’énergie solaire, ce sont des projets nationaux qui sont menés avec des partenaires extra-africains. Quel est le rôle de l’UA et notamment le vôtre, puisque vous êtes la Commissaire chargée de l’énergie, de faciliter des projets communs purement africains ?

– D’abord, je rappelle qu’il y a le plan africain de développement des infrastructures qui fonctionne. Nous travaillons selon des plans décennaux. Maintenant, nous sommes dans un nouveau plan qui s’étend jusqu’en 2030 après l’échéance du précédent en 2020. Nous choisissons des projets d’envergure régionale ou continentale, dont de nombreux sont mis en œuvre. Nous avons ensuite changé les critères de sélection en étant plus sélectif. Nous donnons désormais plus de priorité aux nouvelles technologies et aux critères de durabilité…etc. Environ 69 mégaprojets ont vu le jour en 2021 et sont exécutés sous la supervision de l’Agence compétente qu’est la NEPAD. Grâce à cela, il y a eu des corridors, des interconnexions entre pays africains…etc. Toutefois, il subsiste quelques défis, tels que le financement et l’harmonisation des réglementations. Cela requiert des efforts gigantesques.

– On parle souvent d’intégration par l’énergie, comment y aboutir en Afrique ?

– Il existe des pôles énergétiques en Afrique qui permettent à plusieurs pays de se partager entre eux de l’électricité. Il y a des pôles qui regroupent près de 4 ou 5 pays. J’en cite le cas de l’Egypte qui partage l’énergie avec ses voisins, dont le Soudan. Idem pour le Maroc avec la Mauritanie. Cette interconnexion électrique est nécessaire dans le cas de l’énergie solaire que le Maroc a développée remarquablement. L’interconnexion avec les pays voisins permet, par exemple, de rentabiliser les centrales solaires.

– Pendant que nous parlons d’énergie solaire, qu’est-ce qui empêche les pays africains d’investir dans des projets communs avec financements purement africains ?

– Même en cas de financement africain, il faut faire appel au secteur privé. Malheureusement, les pays africains ont du mal à accéder au financement à l’international qui demeure très cher pour le continent considéré comme une région à risque. Cela complique la quête de la liquidité pour investir. Aussi, la question de la rentabilité pose-t-elle problème puisque de tels projets énergétiques ne sont rentables qu’à long terme. Ce sont les investisseurs qui se montrent parfois réticents. Pour remédier à cela, l’UA a mis en place les « Facilités de préparation de projets ». Il s’agit de subventions destinées à faciliter le lancement des projets. Il existe aussi des plateformes d’investissement comme « Africa 50 », installée à Casablanca, dont la mission principale est de mobiliser des financements publics et privés pour les projets d’infrastructures.

Il est évidemment nécessaire que les fonds publics doivent aider le secteur privé à se lancer dans les grands projets d’infrastructures de façon générale. Raison pour laquelle toutes les institutions financières de l’Union Africaine accordent une préférence aux projets dans lesquels les entreprises africaines sont impliquées dans le cadre de l’attribution des financements. Il est important que les entreprises africaines se regroupent pour qu’elles puissent avoir la capacité de prétendre à des contrats de grande ampleur.

– L’Afrique a un potentiel en matière d’hydrogène vert. Le Maroc s’apprête à créer une offre 100% nationale, d’autres pays se sont lancés dans ce domaine. Que peut faire l’UA pour stimuler cet élan ?

– Il existe une stratégie spécifique pour aboutir à une approche commune de développement de l’hydrogène vert à l’échelon de l’Afrique. Certes, chaque Etat a ses projets propres à lui, mais l’enjeu est de parvenir à des initiatives partagées. Pour l’instant, c’est une stratégie en cours de développement. Idem pour l’Intelligence Artificielle, la cyber-sécurité sur laquelle on veut parler d’une seule voix. A cet égard, je rappelle qu’il y a une convention africaine avec une approche commune concernant la protection des données à l’échelon du continent. Il en est de même pour les entités numériques. Tout cela pour dire qu’un travail énorme est fait même s’il n’est pas très visible.

– Concernant le marché africain unique pour le transport aérien, où en est-on ?

– Jusqu’à présent, 37 pays, dont le Maroc, y ont adhéré. Il a fallu faire des efforts extraordinaires pour concevoir l’architecture juridique et permettre le fonctionnement du marché le plus harmonieusement possible. 

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