Santé

Allô, Giulia ?« Mon indépendance fait peur aux hommes »

« J’ai toujours rêvé d’être guide touristique.

Mon père bossait dans la marine, je pense que c’est de lui que me vient mon goût (immodéré) du voyage… Et donc je suis guide touristique.

Avec une petite spécialisation sur le Proche et Moyen-Orient, une région du monde qu’aujourd’hui, je connais comme ma poche mais qui continue de me surprendre, de m’émerveiller, même, année après année. Entre deux voyages, je pose mes valises à Paris. Elles sont hyper légères, je ne suis ni super sédentaire (vous l’aurez compris) ni très attachée aux choses matérielles. Je gagne tout à fait correctement ma vie, et si ça coince, à un moment ou à un autre, je me démerde – je mets mon appartement en location, je fais un peu de traduction en free lance, bref, je suis un couteau suisse, comme disent mes amis… Ah ! Eux, voilà, le cœur de ma vie.

J’ai la même bande depuis toujours, et je tiens à chacun comme à la prunelle de mes yeux. Je les ai vus tomber amoureux, se séparer, retomber amoureux, se marier, faire des enfants et j’ai toujours trouvé ça génial. Sauf depuis quelques années, si je dois être tout à fait honnête. Parce que ça, moi, ça ne m’arrive pas. Et je commence à croire que ça ne m’arrivera jamais… Je collectionne les petits cons, les filous, les nazes et les courants d’air : ils s’installent rarement très longtemps dans ma vie, il y a toujours un moment où ça part en cacahuète. Avant, ça me faisait marrer, mais à mon âge, nettement moins, à cause de cette satanée d’horloge biologique, qui commence à bien me polluer l’existence… J’en parlais avec ma mère, le week-end dernier, et je n’ai pas compris pourquoi, mais elle est sortie de ses gonds : « mais tu leur fais peur, aussi, aux mecs, avec ta façon d’être indépendante, de toujours tout démerder, de n’avoir besoin de personne ! Voilà pourquoi tu es toute seule, tu les fais flipper, évidemment ! »

À la réflexion, peut-être qu’elle, elle flippait aussi – principalement, de ne pas avoir encore de petits enfants : les enfants sont toute sa vie, elle en a eu quatre, et elle a très vite arrêté de bosser pour s’occuper de nous. C’est mon père qui gérait tout – mon père, qui, donc, si je suis sa logique, n’avait pas peur d’elle… Vous croyez qu’elle a raison ? Que je fais peur aux hommes ? Mais du coup, je fais quoi, moi, pour qu’ils arrêtent de flipper ? » – Elise, 37 ans.

« Rien, chère Elise, vous ne faites rien.

Et surtout, vous laissez l’orage maternel passer. Votre mère est visiblement de cette génération où les espaces étaient encore bien délimités : l’intérieur (le foyer) pour les femmes, l’extérieur (la chasse au mammouth) pour les hommes. Sauf que les femmes ont fini par se sentir un peu à l’étroit, dans leur tablier de ménagère, alors elles ont poussé les murs, pour pouvoir respirer.

De haute lutte, elles ont obtenu le droit de travailler, et le droit de toucher leur salaire sans demander l’autorisation de leur mari. Mais à l’époque, comme aujourd’hui – et comme à chaque vague féministe d’ailleurs, on a voulu tirer sur la corde de l’infirmière qu’on s’est toutes vues tresser au premier cri poussé : les hommes perdaient leur place, alors les hommes avaient peur, alors il fallait les rassurer. Les consoler, la mettre en sourdine, et, gentiment, retourner à la cuisine – oui, je force (un peu) le trait, mais vous voyez l’idée…

Le pire, c’est que ça marche : on a rarement trouvé mieux comme poutrelle métallique à mettre dans les roues de celles qui auraient osé la liberté de mouvement. Comme vous. Vous, vos ailes, vous les avez largement déployées, et aucune frontière ne semble pouvoir vous arrêter. Mais ça, Elise, il y a des hommes que ça séduit. Vraiment. Vous le direz de ma part à votre mère, mais certains sont suffisamment sûrs de ce qu’ils sont pour ne pas se sentir oubliés dans le tourbillon de votre indépendance. Pas tous, certes, mais ils existent. Toute la question est de savoir pourquoi vous, vous « tombez » sur les autres. Pardon pour ce manque crucial de romantisme, mais je ne crois que très peu au hasard amoureux. Je crois qu’on se sent. Je crois qu’on se choisit. Je crois que ceux avec qui vous partagez un bout de chemin sont justement ceux qui ne termineront pas la route avec vous – vous aimez voyager léger, c’est bien ça ?

Plutôt que de vous auto-flageller, Elise, prenez le temps de vous interroger : cette vie que vous avez choisie, que vous avez construit, laisse-t-elle, véritablement, la moindre place à la rencontre, à l’amour, ou au lien ? Vos amis, votre travail, votre voyage vous comblent. Bravo ! Regardez autour de vous : vous en trouverez peu, capables d’en dire autant… Et qui a dit que la réussite, ou l’épanouissement personnel se mesure à la présence d’un homme dans notre vie ? Certainement pas moi. Je crois qu’il y a des phases de la vie. Des phases où on vit avec soi. Des phases où on vit avec l’autre. Prenez-les toutes, pleinement.

Vous en êtes heureuse, alors goûtez-les. N’écoutez pas celles ou ceux qui pensent à votre place. Leur vie n’est pas la vôtre, parce que vous n’êtes pas les mêmes. Point. Pas en ce moment, du moins. Et le jour où vous en aurez marre du décalage horaire, vous le trouverez, et sans le chercher, cet homme qui n’a pas peur de vous. Mais vous avez le temps : l’horloge biologique est bien moins tyrannique que ce que l’on veut nous faire croire. Et la fertilité a au moins autant à voir avec ce qu’on a dans les ovaires, que ce qu’on a dans la tête, dans le cœur, ou dans les bagages. Je vous embrasse Elise – et moi, vous m’épatez. »

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