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Fabrice Midal relit les contes de notre enfance pour nous aider à affronter le monde

Magic Midal est de retour ! Le philosophe, aux nombreux best-sellers sur le bonheur, nous livre sa propre interprétation des contes de fées dans « Les princesses ont toujours raison » (éd. Flammarion/Versilio). Avec sa sensibilité et son humour habituels, avec aussi sa finesse de pensée, il nous montre que « Le Petit Poucet », « Le Petit Chaperon rouge » ou « Le Vilain Petit Canard » peuvent encore nous aider à affronter les tracas de l’existence. Et il y a toujours cette touche Midal, irrévérencieuse et rafraîchissante. Une vulgarisation jamais vulgaire. Qui d’autre pourrait intituler un chapitre « Thésée ou l’art de sortir du labyrinthe des emmerdes » ? Qui penserait à faire de Narcisse une victime du burn-out ? On lui a demandé le secret de sa formule magique.

ELLE. Pourquoi écrire un livre sur les contes de fées en 2023 ?

FABRICE MIDAL. Les interprétations psychanalytiques dont on dispose, comme celles de Bruno Bettelheim, me semblaient un peu datées et parfois contestables. Par exemple, pour Bettelheim, le Petit Chaperon rouge a un problème avec la masculinité de son père, incarné par le loup. Moi, il me semble que c’est d’abord un conte qui exalte notre désir d’inconnu, d’aller à la rencontre de ce qui nous fascine et nous fait peur en même temps. Je trouvais intéressant de remettre ces histoires en perspective avec nos problématiques modernes.

ELLE. Avec leur morale traditionnelle, ces contes peuvent pourtant paraître vieillots…

F.M. Mais ils ne sont pas vieillots ! Ils abordent des questions que nous nous posons tous: comment affronter le mal, l’inquiétude, le désespoir, la trahison. Ils ont une force archétypale extrêmement puissante. Il y a en eux une sagesse très ancienne mais aussi très actuelle, qui peut nous éclairer. Prenez l’exemple du « Petit Chaperon rouge ». En poursuivant mes recherches, j’ai découvert qu’il existait des dizaines de versions de ce conte, certaines très anciennes. Notamment des versions où le Petit Chaperon rouge piège le loup et arrive à s’enfuir! Ce n’est qu’avec Charles Perrault, au XVIIe siècle, qu’on va avoir une réécriture du conte dans une visée moralisatrice, le Petit Chaperon rouge devenant l’exemple de l’enfant qui est puni pour n’avoir pas écouté sa mère. En fait, les contes ont une puissance de vie extraordinaire. Ils nous montrent des personnages confrontés à des épreuves et posent toujours la même question : par où la force de vie va-t-elle se manifester ? C’est pourquoi j’ai écrit ce livre maintenant : je trouve qu’il règne dans notre époque une ambiance de découragement. Je voulais un livre qui donne du courage, de l’allant, de la joie. 

Quand nous assumons notre singularité, nous sommes toutes et tous des princesses.

ELLE. D’après vous, les contes et légendes exalteraient aussi la puissance du féminin…

F.M. Oui, on a beaucoup dit que, dans les contes de fées, les femmes jouaient un rôle mineur. Il n’en est rien. C’est même tout le contraire. Dans « Hansel et Gretel », quand le frère et la sœur sont faits prisonniers par la sorcière, Hansel ne fait que se goinfrer de sucre dans la maison, et c’est Gretel, qui, de façon très intelligente, trouve des ruses pour tromper la sorcière. Dans « Les Six Cygnes », les six frères ont reçu un sort et c’est leur sœur qui, avec détermination, tisse des tuniques d’orties pour les libérer. Enfin, dans un conte merveilleux comme « La Belle et la Bête », il est frappant de voir que la Bête, qui est toute-puissante physiquement, qui possède l’argent, le pouvoir, la noblesse, se soumet à la Belle. Bien que prisonnière, celle-ci repousse chaque jour ses demandes en mariage. Elle est le personnage actif de l’histoire. Ce rôle du féminin, dans les contes, n’est pas un hasard. On sait que ce sont essentiellement les femmes qui racontaient les histoires à la veillée. Et ce sont des femmes, comme la formidable Madame d’Aulnoy, au XVIIe siècle, qui ont popularisé les contes. C’est une littérature de femmes, où une force de libération est à l’œuvre. D’où le titre de mon livre : « Les princesses ont toujours raison ».

ELLE. Pensez-vous vraiment que les contes invitent à se retrousser les manches et affronter le réel?

F.M. Oui, car les contes ne sont pas du tout « victimaires ». On n’y voit jamais un personnage se plaindre de son sort mais plutôt agir pour résoudre un problème. En cela, ils rejoignent toutes les recherches scientifiques actuelles sur le trauma, qui montrent l’importance de ne pas rester dans le ressassement, mais de s’appuyer sur le pouvoir de l’action. C’est cela qui nous fait sortir de l’enfermement. Par exemple, le Petit Poucet n’est pas tétanisé quand ses parents l’abandonnent, lui et ses frères, dans la forêt. Il essaie de faire quelque chose. D’abord, il sème des cailloux blancs. Puis quand cela échoue, il prend des miettes de pain. Face à un nouvel échec, il grimpe en haut d’un arbre. Il ne se décourage jamais. 

ELLE. Faut-il, comme dans les contes, affronter les difficultés, « traverser la forêt » pour enfin être soi-même ?

F.M. C’est une idée qui est au centre de tous mes livres. Je crois que ce qui rend heureux dans la vie, c’est de faire face aux obstacles. C’est pourquoi je dénonce l’idéologie actuelle du bien-être, le piège du confort et d’un hédonisme un peu idiot qui nous enferme dans la passivité. L’être humain ne se construit qu’en relevant des défis. Comme le Petit Poucet, qui, parce qu’il va affronter des épreuves, découvrira les bottes de sept lieues et deviendra le messager du roi, ce qui lui procure une grande satisfaction. Dans notre travail, dans notre rapport aux autres, nous affrontons des choses qui nous paraissent, sur le moment, difficiles. Mais c’est parce que nous allons y arriver qu’il va se passer quelque chose de plus grand. C’est cela être humain. Je m’oppose à l’idée d’un bonheur où l’on resterait passif. Une des images que l’on nous propose, c’est celle d’un couple jeune et beau, au bord de la piscine, et qui ne connaît aucun souci. Une jolie image qui nous fait culpabiliser car nous n’atteignons jamais cet état paradisiaque. Il vaudrait mieux que l’on nous aide à aimer la singularité de notre vie avec ses difficultés.

ELLE. Vous faites une interprétation très personnelle de « La Princesse au petit pois ». Pouvez-vous nous en dire plus ?

F.M. Une lecture superficielle pourrait donner l’impression que cette princesse est une pimbêche capricieuse, qui fait des chichis pour rien. Mais je n’en crois rien. Elle est pour moi l’incarnation d’une personne hypersensible, et qui l’assume. Elle n’essaie pas de faire semblant de ne rien ressentir pour faire comme tout le monde. Ce petit pois la gêne pour dormir et elle le dit. En fait, elle ne se laisse pas diriger par les apparences : elle se présente comme elle est. Ce conte raconte d’abord la force et le courage de ceux qui échappent aux normes. D’ailleurs, dans le conte, l’aveu de sa faiblesse devient le signe de sa noblesse. La reine reconnaît qu’elle est une princesse parce qu’elle a eu le courage de dire que le petit pois la gênait. En ce sens, quand nous assumons notre singularité, nous sommes toutes et tous des princesses. 

ELLE. Que pensez-vous de l’affaire Roald Dahl ? Dans les pays anglo-saxons, la maison d’édition qui le publie a décidé de supprimer de ses livres pour enfants les termes qui pourraient être jugés offensants…

F.M. Cela me paraît absurde de vouloir éviter aux enfants tout ce qui pourrait les heurter. Il existe une brutalité de la vie à laquelle ils vont être de toute façon confrontés. Ce n’est pas leur rendre service. Ensuite, récrire ainsi les textes pose un vrai problème, d’un point de vue éthique. Si chaque époque récrit les textes du passé, nous ne pourrons plus savoir comment les gens sentaient et disaient les choses. On enlève aux lecteurs la possibilité de voir que le temps passe, que chaque époque a ses forces et ses points aveugles. Il aurait mieux valu contextualiser les textes avec des notes ou une préface.

ELLE. Et que pensez-vous de la polémique, dans le domaine de l’éducation, entre Caroline Goldman et Isabelle Filliozat, entre les tenants d’un « retour aux limites » et les partisans de l’éducation positive ?

F.M. J’ai l’impression qu’on fait un mauvais procès à Isabelle Filliozat et aux défenseurs de l’éducation positive. Ils n’ont jamais dit qu’il ne fallait pas mettre de limites. Il suffit de lire leurs textes. D’ailleurs je ne vois pas très bien qui serait « contre » les limites. Il me semble que l’on n’apprend pas à quelqu’un à grandir en lui laissant tout passer. La vraie question dans cette affaire, c’est plutôt : peut-on poser des limites non pas par la brutalité, par le dressage, mais dans le cadre d’un projet éducatif qui fasse sens ? Comment arriver à faire preuve d’autorité sans basculer dans l’autoritarisme ?

« LES PRINCESSES ONT TOUJOURS RAISON. LA SAGESSE DES CONTES ET LÉGENDES POUR DÉJOUER LES PIÈGES D’AUJOURD’HUI », de Fabrice Midal (éd. Flammarion/Versilio).

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