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Troublant miroir des maux sociaux et économiques [INTÉGRAL]

Entre compassion et gêne, entre angoisse et rejet, la mendicité suscite des émotions contradictoires qui peuvent décourager la générosité des Marocains. Un récent avis publié par le CESE, titré « Pour une société cohésive exempte de mendicité », dévoile les enjeux de ce phénomène et reflète la diversité des réalités individuelles qui mè¬nent à cette pratique.

Elaboré sur la base d’une approche participative, l’avis en question est le résultat de visites de terrain effectuées par la commission du CESE au Centre social « Aïn Atiq » à Témara et au Complexe social régional « Dar Elkheir » à Tit Mellil. Il s’est également basé sur une consultation lancée sur la plateforme digitale de participation citoyenne « ouchariko.ma » durant la période du 7 au 28 juin 2023.

 

Première contrainte : Un bug dans les chiffres 

La mendicité, comme pratique et phénomène social, gagne en visibilité et semble s’accroître au sein de la société marocaine, selon les perceptions exprimées par les citoyens. « 83,6% des participants à une consultation lancée par le CESE ont jugé le phénomène très omniprésent ». Pourtant, l’absence d’études et de données actualisées sur la mendicité au Maroc constitue un frein majeur à l’élaboration d’une action publique capable de lutter efficacement contre ce phénomène. En effet, selon la dernière enquête nationale, datant de 2007, le nombre de personnes se livrant à la mendicité était estimé à environ 200.000, rappelle le Conseil. Une enquête régionale réalisée bien avant en 2003 avait estimé ce nombre à 500.000 à l’échelle nationale.

 

Qui fait la manche ?

Il n’existe pas de profil type de la personne qui mendie dans la rue : les parcours, pratiques et attitudes divergent : personnes démunies, arnaqueurs, « mendiants professionnels », mendiants occasionnels, hommes et femmes adultes, enfants, malades souffrant de troubles psychiatriques et/ou d’addiction, personnes en situation de handicap, individus désœuvrés, citoyens marocains et étrangers.

Par ailleurs, la mendicité peut s’exercer selon différentes modalités et dans plusieurs lieux (carrefours, mosquées, cimetières, marchés, etc.). Aujourd’hui, on parle carrément de mendicité électronique.

Selon le CESE,  la mendicité résulte de l’exposition des personnes à plusieurs facteurs de risques, individuels, socio-économiques et culturels, dont les effets souvent conjugués vulnérabilisent les personnes à des degrés divers, ce qui explique l’hétérogénéité des profils des « mendiant(e) » s. Le Conseil cite à cet égard la pauvreté, les difficultés d’accès au marché du travail, le veuvage, particulièrement des femmes, le divorce, l’abandon familial, le bas niveau d’éducation et de formation, le déclin de la société solidaire, l’état sanitaire (état de santé – physique et mentale, handicap), la prédisposition culturelle à faire de la charité, etc.

 

Que fait l’Etat pour contrer le phénomène ?
 

En 2022, près de 44.260 personnes ont été interpellées par la police dans le cadre de la lutte contre la mendicité, tel que cela ressort du même avis. Néanmoins, il y a lieu de relever que le nombre de poursuites judiciaires reste faible par rapport aux personnes interpellées par les services de police. Par exemple, sur 28.597 personnes interpellées en 2021, seules 10.899 personnes ont été poursuivies par le parquet. Selon la DGSN, « malgré le nombre relativement élevé d’interpellations opérées annuellement, la garde à vue n’est appliquée que lorsque la pratique de la mendicité est accompagnée de l’usage de la violence, de port d’arme blanche, d’utilisation de la drogue, où dans d’autres cas graves ». Ceci étant dit, les personnes pratiquant la mendicité ne sont pas poursuivies pour la pratique de mendicité mais plutôt pour la commission d’autres actes délictuels ou criminels.

Il en ressort également une augmentation du nombre d’affaires liées à l’exploitation des enfants dans la mendicité d’année en année. Ainsi, 127 cas ont été enregistrés en 2022 contre 88 cas en 2017, soit une augmentation d’environ 45%, selon les chiffres de la présidence du Ministère public.

 

Quid des politiques publiques ?

Les politiques publiques adoptées dans le cadre de la lutte contre la mendicité au Maroc agissent, en effet, sur trois fronts. Elles fournissent une réponse indirecte, de nature préventive, à travers les programmes sociaux de lutte contre la pauvreté et la précarité. Une réponse directe de prise en charge sociale et une réponse répressive à travers la pénalisation « de la mendicité et du vagabondage » aux articles 326 à 333 du Code pénal en tant qu’acte portant atteinte à la sécurité publique.

Sur le premier volet, plusieurs mécanismes et programmes visant la lutte contre la pauvreté et la réduction des disparités sociales et territoriales ont été adoptés. Il y a lieu de rappeler à cet égard le fonds d’appui à la protection sociale et à la cohésion sociale : le régime AMO, le programme « Tayssir », le programme d’assistance aux personnes aux besoins spécifiques et celui d’aide directe aux femmes veuves en situation de précarité ayant à charge des enfants orphelins (DAAM). 

Mais, en dépit des importantes sommes mobilisées et des efforts déployés, « ces programmes ne parviennent pas à compenser de manière suffisante et pérenne les effets négatifs de la pauvreté et de la vulnérabilité sur les populations les plus démunies, qui restent souvent en dehors de leur champ d’intervention », déplore le CESE. C’est notamment pour ces raisons et, suites aux Orientations Royales, qu’il a été procédé au lancement de la réforme du système de protection sociale.

S’agissant du deuxième volet d’intervention, il est assuré par les centres sociaux relevant de l’Entraide nationale et à travers le plan d’action national pour lutter contre l’exploitation des enfants à des fins de mendicité (lancé fin 2019) et le plan d’action national pour lutter contre l’exploitation des enfants à des fins de mendicité. En 2022, seulement 500 enfants ont été pris en charge dans près de sept préfectures et provinces couvertes par ce plan national.

Le Maroc dispose aussi de 1246 centres sociaux destinés à accueillir différentes catégories de personnes en situation de précarité, dont 15 dédiés aux personnes en situation de mendicité et de vagabondage, selon les chiffres du ministère de tutelle.

Sur le volet répressif, la mendicité est traitée dans la Section V du Code pénal. Cette section incrimine la mendicité et le vagabondage aux articles 326 à 333. Ainsi, l’article 326 dispose « Est puni de l’emprisonnement d’un à six mois, quiconque ayant des moyens de subsistance ou étant en mesure de se les procurer par le travail ou de toute autre manière licite, se livre habituellement à la mendicité en quelque lieu que ce soit ».

Comment faire cesser ce phénomène, selon le CESE ?

Sur la base de cette radioscopie, le CESE a préconisé un ensemble de mesures structurées autour de quatre axes complémentaires et déclinés en 14 actions. Il est impératif, aux yeux du CESE, d’éliminer toute forme de mendicité des enfants, d’assurer la protection des personnes vulnérables contre l’exploitation dans la mendicité, de réhabiliter et réinsérer les personnes en situation de mendicité et, finalement, de prévenir la mendicité. Au sujet de la réinsertion, le Conseil appelle à la révision du dispositif juridique, de telle sorte à « mettre fin à la pénalisation de la mendicité face à la difficulté de déterminer la capacité de la personne à subvenir à ses besoins et étant donné que les infractions criminelles, qu’elles soient individuelles ou collectives, associées à cette activité, sont déjà prises en compte dans de nombreuses dispositions du code pénal ». S’agissant de la prévention, le CESE juge essentiel de renforcer la résilience socio-économique des ménages par la réduction du chômage, la lutte contre la pauvreté et les inégalités sociales et spatiales, l’amélioration de l’accès aux soins, l’amélioration de l’accès à l’éducation, à la formation et à l’emploi.

 

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