Santé

En corps heureux : « J’ai peu à peu renoncé à mon moi fantasmé »

J’ai longtemps gardé un corps menu – peu de hanches, des petits seins. Ma première grossesse a bouleversé mon corps et l’image que j’en avais. Enceinte de ma fille, j’ai pris vingt kilos. Ça n’a pas été un sujet : j’étais affamée alors je mangeais à ma faim, j’étais ronde et lourde mais j’étais habitée. Après avoir accouché, j’étais heureuse de me retrouver enfin seule dans ma peau mais je ne la reconnaissais pas. Mes rondeurs n’avaient soudain plus de sens. J’ai quand même accepté le changement, vendu les jeans trop petits en pensant que ça passerait… Puis je suis tombée enceinte de mon fils – Mia venait de fêter ses 1 an. Cette grossesse-là est passée vite : j’avais un enfant en bas âge, je travaillais et j’avais repris des études. Mon corps fonctionnait bien puisqu’il fabriquait, sans que j’y prête attention, un enfant. Quand mon fils est né, puis les mois qui ont suivi, je crois avoir été avalée puis mâchée avant d’être recrachée. 

À LIRE ÉGALEMENT >>  Notre corps : le docu bouleversant sur les patientes en gynécologie

LE CORPS D’AVANT

Pendant des mois,  j’étais épuisée, sans cesse sollicitée. Je n’avais ni le temps ni l’espace mental pour soigner mon corps, il est devenu le cadet de mes soucis. Je culpabilisais vaguement de ne pas retrouver « mon corps d’avant » mais, quand j’avais envie de me faire plaisir, je mangeais quelque chose de bon, de doux, de sucré souvent. Pour prendre soin de moi, je m’habillais : je choisissais des vêtements dans lesquels je me sentais bien telle que j’étais. Nue, c’était un peu plus compliqué… Le premier confinement m’a arrêtée net et, pour meubler ces journées, pour sortir du domestique, j’ai fait du sport dans notre salon. Ça n’a pas modifié drastiquement mon corps mais ça m’a permis de revenir vers lui. Après la naissance de mon fils, j’ai arrêté la contraception hormonale (commencée à 18 ans) et j’ai redécouvert mes cycles, la douleur intense les premiers jours  et le SPM. C’est un sujet que nous abordons beaucoup entre amies ! Quelle découverte ! Je m’agace toujours de constater que ma crise existentielle de la veille était due à mes hormones… Ça me ramène parfois violemment à cette dimension corporelle, de « nature » que l’on retrouve dans les discours essentialisants. Je n’ai d’ailleurs pas le souvenir d’avoir « attendu mes règles » à l’adolescence. Elles ont débarqué en vacances dans le Sud de la France, fini les baignades ! Je me sentais un peu honteuse, très encombrée par les bandes hygiéniques. Je découvrais aussi cette douleur-là et je me demandais comment j’allais tenir jusqu’à la ménopause… En revanche, j’avais guetté avec anxiété l’apparition de mes seins. Les garçons, à cet âge-là, sont sans pitié : les filles plates ne les intéressent pas. Et je n’ai pas oublié la douleur physique et l’encombrement que l’arrivée de ma poitrine a provoqués. J’aimais mon corps d’enfant, élastique, plat, menu et, brusquement, je me retrouvais affublée de deux petits monts douloureux.

COMPENSER PAR LE CHARME

Petite, j’étais plus cérébrale que physique, même si j’aimais faire du vélo et grimper aux arbres. Je portais des lunettes, j’étais menue, très appliquée en classe. Ça m’a valu toutes sortes de surnoms (« serpent à lunettes », « l’intello », « schtroumpf à lunettes »…). Je me souviens avoir pensé qu’il faudrait que je compense mon manque de beauté par une bonne dose de charme et d’intelligence. À 15 ans, j’ai vu « La revanche d’une blonde » et je me suis dit que si Elle Woods pouvait prouver qu’elle était intelligente, je pouvais devenir jolie. Du jour au lendemain, je n’ai plus porté de lunettes, j’ai changé de style, découvert le pouvoir transformateur du vêtement. Et ça a fonctionné.  À 17 ans, j’étais forte de ce changement, forte du regard des autres garçons – même si, avec du recul, je pense que cela m’a rendue un peu plus dépendante de leur validation. Mon premier petit copain, le premier à m’avoir vue entièrement nue, m’a dit en regardant une photo de moi : “Tu as un pli là…” Je me souviens avoir balayé cette remarque, confiante dans mon corps. Mais tout de même, presque vingt ans plus tard, sa petite phrase résonne encore. Et, après ma première grossesse, elle a pris une autre dimension. 

CORPS OUVERT ET VULNÉRABLE

Mon ventre est au cœur de mes complexes : pas assez plat, trop mou, souvent barré d’un (ou plusieurs) plis. Je crois que ce complexe est également lié à comment je vis avec ce ventre à l’intérieur : beaucoup de douleurs et de gêne, de la honte aussi, avant qu’on ne me diagnostique  un SII, un syndrome de l’intestin irritable. Pendant très longtemps, les douleurs au ventre étaient quotidiennes. Ça m’a forcée, je crois, à me montrer attentive à ce que mon corps a à me dire. Longtemps, j’ai détesté qu’un homme touche mon ventre. Je le supporte mieux désormais. En dehors des contextes intimes, ce n’est pas tant le fait d’être nue que celui de me sentir « à la merci » d’une autre personne qui peut me perturber. Mon souvenir le plus marquant est celui de mon premier accouchement – un accouchement difficile. Mon corps nu, ouvert, me semblait être un objet que l’on peut manipuler sans ménagement. Que ce soit chez le gynécologue ou chez le dentiste, je n’aime pas cette position qui me rend vulnérable – corps ouvert dans lequel on entre. 

MOI FANTASMÉ

Cela fait quelques mois que j’ai retrouvé le poids que je pesais avant de tomber enceinte de ma fille. Il a fallu cinq ans à mon corps pour retrouver sa forme. C’est dû, je crois, à plusieurs facteurs : un régime alimentaire restrictif dû à mon SII, une pratique plus régulière – et joyeuse ! – du sport et une meilleure santé mentale. Après avoir expérimenté beaucoup sur le plan vestimentaire, cherché ce qui me plaisait, constaté les effets que certaines pièces produisent sur les autres, les hommes, j’ai peu à peu renoncé à “habiller mon moi fantasmé”, pour rester au plus près de moi. Je sais à quel point la couleur, les motifs peuvent me porter, soutenir ma joie, habiller ma peine. Le rapport intime que nous entretenons toutes et tous avec nos vêtements me passionne. Je l’explore beaucoup à travers  mes textes. En hiver, je laisse mon corps disparaître sous des couches de vêtements – je suis plutôt frileuse. Contre ma peau, j’aime porter des matières douces comme la soie ou la laine mérinos et j’évite les soutiens-gorges. Sous mes pulls, mon corps est plus libre. Côté beauté, je me maquille peu et ne porte jamais de fond de teint : j’aime que ma peau soit nue. Et reporter des lunettes, dont j’ai besoin depuis deux ans, me trouble beaucoup. Derrière elles, en public ou en photo, j’ai l’impression de m’effacer. L’été, ma relation avec mon corps se complique un peu. Puisque je dévoile ma peau, je me sens plus exposée aux regards et aux jugements. Bien sûr, le regard le plus dur est celui que je porte sur moi-même, sachant que je prends mon corps en photo depuis l’adolescence. 

VIVRE DE L’INTÉRIEUR

Je m’interroge sur l’aspect narcissique de ces autoportraits mais, en même temps, je constate ce qu’ils m’apportent : des images que j’aime, dans lesquelles je me reconnais. J’aime mes jambes, longues et plutôt fines, “des jambes de danseuse” disaient mes grands-mères. Et j’apprends à aimer mon corps changeant, j’essaye de ne pas m’attacher à une image, à ce qu’il est aujourd’hui parce que je sais qu’il changera encore. J’essaye de le regarder avec justesse, de le vivre de l’intérieur plutôt que de l’extérieur, de me concentrer sur ce qu’il me permet de vivre. Ce qui suppose de me concentrer sur tout ce qui me ravit : les odeurs, les couleurs, la lumière, les goûts et bien sûr le mouvement. J’aime danser seule, librement, que ce soit dans mon salon ou dans un bar. J’aime grimper au cerceau aérien, une révélation ! C’est la première fois que je prends autant de plaisir à “éprouver” mon corps, après m’être tant ennuyée en cours de danse classique. Tous mes muscles semblent au travail, fonctionnent ensemble. Quand je peine à accomplir une figure, à soulever mon propre poids, à me tenir en équilibre, la perspective de travailler encore me remplit de joie. J’aime que tout ce travail soit au service de quelque chose de beau. J’aime même les bleus que le cerceau laisse sur mes bras et mes jambes : je les vois comme des petits bijoux. J’aime la fatigue que tous ces mouvements apportent. Et puis j’aime tenir, contre mon corps, le corps de mes enfants. Plus ils grandissent, plus je prends conscience que c’est un privilège qui disparaîtra avec le temps. Je chéris toutes les expériences de toucher, dans l’intimité aussi. Caresser et être caressée, sentir ma peau contre sa peau, sentir le poids de son corps sur le mien. Même si spontanément je répondrais que ma zone la plus érogène c’est le cerveau. Plus je cherche à comprendre mon désir, plus je prends conscience que c’est là que mon excitation prend sa source. Dans les mots de l’autre, dans son odeur, ses gestes. Ma nuque, sous les baisers et les caresses, devient un endroit d’excitation et de plaisir. Et puis, j’aime qu’on me touche les cuisses, les fesses, le sexe. Je crois que, finalement, c’est plus une question de geste que d’endroit.

RUINES EN FLEURS

Ma mère et mon amoureux me disent que je suis belle. Mes amies aussi parfois. Sinon, je reçois peu de commentaires – et c’est tant mieux ! J’essaye, moi aussi, d’en faire le moins possible, sauf si c’est quelque chose de doux et seulement si je suis sûre que l’autre a envie d’entendre ce que j’ai à dire. 

Si j’ai commencé à me prendre en photo à l’adolescence, dans le miroir de ma chambre, les mots sur mon corps sont venus plus récemment. Je parle du corps à travers le vêtement et puis j’écris au sujet de ma peau, de ma chair. Quand j’écris, je me concentre sur ce que j’expérimente de joyeux, de frustrant, de tendre ou de dur. Quand j’ai partagé ces textes sur  Instagram, j’ai souvent reçu des commentaires et des messages de femmes, y compris d’amies très chères, qui partagent les mêmes impressions ou se reconnaissent dans mes doutes, mes errances. Je trouve ça très fort. Au boulot, j’en parle peu, quelques collègues me suivent mais pas ma direction ni les parents de mes élèves – je suis institutrice en école maternelle. Je sais qu’il y a un risque que l’un d’eux tombe dessus mais j’estime que cet espace m’appartient, que j’y suis libre tant que je n’offense personne. Je ne resterais pas dans un boulot qui me contraindrait à arrêter. Ou je passerais en mode privé. Personne ne me reprocherait d’être en bikini sur la plage, alors je choisis d’être à moitié nue sur Instagram ! Un jour, ma mère a réagi vivement à l’un de mes textes, outrée que je parle de mes “ ruines en fleurs” à propos de mon corps de mère. Elle était choquée que je puisse poser ce regard sur moi. Je la comprends : j’ai des enfants et je les trouve merveilleux tels qu’ils sont. Je pense lui avoir répondu que c’est pourtant comme ça que je vivais les choses, qu’une ruine pleine de fleurs c’est une image que je trouve belle, un peu mélancolique mais lumineuse. D’ailleurs, j’ai depuis fait graver dans ma chair une pivoine, du pavot, des cosmos et des anémones. Un éternel printemps.


Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page