Je déteste le mec de ma meilleure amie

« À chaque apéro où il débarque, c’est un calvaire », soupire Juliette. « Leur histoire dure depuis un an et je me demande bien ce qu’elle lui trouve », poursuit cette trentenaire, dont l’amitié avec Anne se trouve fragilisée depuis qu’elle est en couple avec Pierre. « Je n’ai rien à lui dire, je le trouve d’un ennui mais je n’arrive pas à l’avouer à Anne de peur de la froisser et qu’on se fâche à cause de lui. » Si Juliette prend sur elle pour le moment, elle rêve parfois secrètement qu’Anne se sépare et tombe amoureuse d’un compagnon avec qui elle s’entendrait cette fois-ci, à merveille. Qu’est-ce qui se joue quand un tiers s’invite dans l’amitié et bouscule le lien établi ? Pour Anne-Laure Buffet, thérapeute et autrice de « L’amitié » (Ed.Eyrolles), « voir entrer quelqu’un dans la vie de son amie, c’est un risque de perdre une place privilégiée. Quand un tiers fait son apparition, cela peut briser ce sentiment d’exclusivité et celui de ne plus être la personne préférée. »  Si Juliette accepte que son amitié se soit transformée, elle n’arrive pas, en revanche, à concevoir que le lien qui l’unit à Anne puisse être fragilisé à cause de Pierre. « J’ai l’impression que le fait de ne juste pas avoir d’affinité avec lui ne soit pas une raison valable pour en parler à Anne », confie cette trentenaire. « S’il avait été malsain ou pervers narcissique, je me serais sentie plus légitime. Mais là comment ne pourrait-elle pas mal prendre le fait que je le trouve inintéressant et que je ne comprenne absolument comment elle puisse être amoureuse de lui ? », poursuit Juliette. C’est cet aspect qui peut être déstabilisant : on pense connaître son amie et face au choix amoureux, on se retrouve ébranlée comme si au final, on ne se connaissait pas si bien que cela. « On découvre une nouvelle facette », décrypte Anne-Laure Buffet. « Le côté âme-sœur de l’amitié va être émoussé. Mais la première question à se poser, c’est pourquoi je n’aime pas son partenaire ? Est-ce par manque d’affinité ? Parce qu’il a un comportement dérangeant ? Parce que notre amie a changé ? Parce qu’il pourrait être toxique ? »

En parler quand l’autre est en danger

Evidemment lorsque l’on sent son amie en danger, il est indispensable d’en parler et de faire part de ses craintes. C’est ce que Manon a fait, troublée par le comportement ultra possessif du compagnon de son amie Morgane. « J’avais depuis le début un mauvais ressenti avec lui. Il avait sans cesse des petites réflexions sur ses tenues vestimentaires, le nombre de cigarettes qu’elle fumait, les amis qu’elle fréquentait… », raconte cette quadragénaire. « Très rapidement, elle n’a plus rien fait sans lui. Il était toujours dans les parages, elle rentrait quand il voulait quitter la soirée. Elle avait l’air très amoureuse mais avait perdu sa joie de vivre », confie Manon.
Après un énième diner où elle perçoit son amie totalement sous l’emprise de son partenaire, elle prend son courage à deux mains. « Je l’ai appelée un midi quand elle était au travail. J’étais donc sûre qu’il ne serait pas dans les parages. Elle s’est braquée quand je lui ai fait part de mes inquiétudes et elle s’est justifiée en m’accusant d’ être jalouse puisque j’étais célibataire à ce moment-là. Je m’en suis voulue de lui avoir parlé, alors que ma démarche était sincère et bienveillante. » Après cet appel, Morgane prend ses distances. « J’ai essayé plusieurs fois de la joindre, je lui ai proposé de se voir mais elle déclinait sans cesse. J’ai fini par arrêter d’insister », avoue Manon. Ce n’est qu’une fois l’histoire terminée que les deux amies renouent. « Elle m’a remercié pour ma franchise, s’est excusée de ne pas avoir été en mesure d’entendre. Ce que je peux évidemment comprendre ! Malgré les mois d’absence, notre amitié s’est renforcée », ajoute la quadragénaire.

Pour la thérapeute, il est indispensable de pouvoir confier ses doutes à son amie, surtout si on la sent en danger. « Si on décèle un comportement toxique chez le partenaire, il faut vraiment le dire, mais il ne faut pas à s’attendre à ce que l’amie rompt sur le champ. Cette confrontation rationnelle se retrouve face à de l’émotionnel. Il faut du temps que les deux s’accordent. » Prévenir son amie, c’est aussi quelque part prendre soin de l’autre. « Il faut prendre le risque de ne pas voir son amie s’enfermer dans une relation toxique », précise Anne-Laure Buffet.

Avouer les non-dits

Si Juliette n’ose pas contrairement à Manon avouer qu’elle n’aime pas le compagnon de son amie, la thérapeute conseille tout de même de ne pas laisser s’installer les non-dits et ce peu importe la raison qui nous pousse à ne pas l’apprécier. « Si on n’ose pas dévoiler ce que l’on pense, cela vient révéler une fragilité dans la confiance en la solidité de l’amitié. C’est une question d’équilibre entre l’honnêteté vis-à-vis de soi-même et de l’amitié. Il vaut mieux oser le dire d’emblée au risque d’une dispute, que plus tard et que ce soit douloureux pour tout le monde. On n’est pas obligée d’aimer ce compagnon et heureusement ! », conclut Anne-Laure Buffet.