Santé

« Femmes, soyez égoïstes ! »

« L’égoïsme peut être un chemin de libération ! », lance Corinne Maier, écrivaine et psychanalyste, dans son dernier ouvrage « Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin » (Editions de L’Observatoire ». De quoi s’agit-il de se libérer avant tout ? De la charge mentale, bien sûr, ce poids psychologique insidieux causé par la gestion des tâches domestiques et familiales et qui pèse avant tout sur les femmes (selon une enquête Ipsos de 2023, 63% des femmes se sentent concernées par la charge mentale contre seulement 36% des hommes). Comme dans « No Kid » (J’ai Lu), ou « Tchao, la France. 40 raisons de quitter votre pays », on retrouve ici le ton Meier, narquois, rentre-dedans, provocateur. Les détracteurs de l’autrice de 60 ans lui reprocheront, comme souvent, de ne pas faire dans la dentelle. Pourtant, force est de constater que son ouvrage fait mouche. Il déculpabilisera toutes celles et ceux qui se font trop de soucis au sujet des devoirs des enfants ou de la préparation de plats bio irréprochables. Il les fera rire aussi. Ce qui n’est pas une mince réussite vu la morosité habituelle des livres dédiés à la parentalité, souvent d’un sérieux à faire fuir.  Interview d’une empêcheuse de repasser en rond.

 ELLE. –  « No Kid », « Tchao La France ! », « #Me First ! » : vos livres sont toujours un peu provocateurs. Pourquoi ?

Corinne Maier. – J’aime bien essayer d’aborder les faits de société par des biais négatifs. On croit toujours qu’il faut affronter les problèmes en s’armant de bons sentiments. Mais si on use de mauvais esprit, ça me paraît plus drôle, plus léger, plus efficace. On évite les leçons de morale.

ELLE. – Qu’est-ce qui vous a amené à écrire ce livre, qui défend « l’égoïsme au féminin » ?

C. M. – Je me suis interrogée sur tout ce que j’avais fait pour les autres dans ma vie, pour ma famille, mes enfants, mon conjoint, et j’ai trouvé que c’était beaucoup trop ! Je me suis fait avoir ! Etait-ce raisonnable de se dévouer autant ?  Nous les femmes, on obéit à des normes de comportement qui se sont cristallisées depuis toujours et qu’on n’interroge plus. Prenez ce que j’appelle « l’arnaque de l’amour », ce cliché selon lequel les femmes seraient plus aptes à aimer, et donc à s’occuper des autres, à se consacrer à eux. Cela a donné la philosophie du « care », qui, sous des aspects positifs, est une menace insidieuse pour l’indépendance des femmes, puisqu’elle les astreint à se dévouer aux autres. Rappelons que les femmes accomplissent 75% du travail de soin et d’accompagnement non rémunéré dans le monde, qu’elles consacrent en moyenne quatre fois plus de temps que les hommes à s’occuper des enfants, trois plus de temps aux tâches domestiques.

ELLE. – Vous dites que les femmes doivent être « égoïstes ». C’est un terme un peu péjoratif, non ?

C. M. – Attention, je ne parle pas de l’égoïsme de compétition, qui est avide, qui veut écraser les autres, qui vise à maximiser son bien-être au détriment de l’autre et qui est souvent… masculin. Je défends un égoïsme sain, raisonné, celui de s’affirmer, de vivre pour soi, de prendre du temps pour soi, en cherchant sa liberté. L’égoïsme peut être un chemin de libération.

ELLE. – Vous critiquez les stéréotypes qui empoisonnent la vie des femmes et dont elles doivent se défaire. Quels sont-ils ?

C. M. – On agit toutes selon des normes de perfection qui nous stressent et dont on ne s’aperçoit même plus. Regardez l’éducation des enfants. Dans notre société obsédée par la compétition et la réussite, les parents, et particulièrement les mères, passent beaucoup plus de temps qu’autrefois à faire les devoirs avec les enfants. Elles s’épuisent à ça, c’est un apostolat, alors qu’il n’y a rien de plus barbant. C’est du délire ! Pourquoi est-ce qu’on s’inflige ça ? Il est temps de remettre en question notre vision de l’existence. Nos enfants doivent-ils vraiment avoir des super notes et s’inscrire aux meilleures prépas pour réussir dans la vie ? Faire Bac + 12 et afficher un parcours d’excellence est-il vraiment le meilleur moyen d’être heureux et épanoui ? Si ce n’est pas le cas, ne nous mettons pas autant de pression sur l’école…

ELLE. – Vous nous proposez d’être laxiste en somme !… Mais si on n’incite pas les enfants à rechercher l’excellence, ne risque-t-on pas de gâcher leurs chances de réussite ?

C. M. – Mais non ! Les parents d’aujourd’hui pensent trop souvent que l’avenir de leurs enfants dépend entièrement d’eux et d’eux seuls. C’est se mettre un poids énorme sur les épaules. D’où les soucis qu’ils se créent. Mais à la vérité, un enfant grandit de milles manières, sous l’influence des copains, des profs, des éducateurs, des modèles extérieurs, un oncle, un chanteur, un sportif. Et puis rien n’est plus utile pour un enfant que de voir son parent épanoui, qui fait des choses qui l’intéressent. Ca peut mieux lui permettre de grandir qu’un parent qui fait la gueule tout le temps parce qu’il se force à aider son gamin le soir à réviser son DST de maths… Enfin, comme le savent tous les psys, on échoue toujours en tant que parent, quels que soient les efforts qu’on fait… Quitte à échouer, autant prendre un peu de plaisir en route !

ELLE. – Avez-vous l’impression que les femmes d’aujourd’hui arrivent à être plus égoïstes qu’autrefois ?

C. M. – Oh oui, heureusement ! Il y a des signes que ça change. On le voit chez les jeunes couples où la répartition des tâches est plus équitable, où parfois même, la femme en fait moins que l’homme*. Ca c’est un progrès ! C’est normal. Les jeunes femmes gagnent mieux leur vie qu’avant, elles ont davantage de diplômes. Cela leur donne une vraie légitimité face à leur conjoint. Elles peuvent lui dire : « Pourquoi mon travail serait moins important que le tien ? Pourquoi ce serait à moi de passer l’aspirateur et de faire les courses ? ». On assiste aussi à une prise de parole des grands-mères qui refusent de passer leur retraite à faire la baby-sitter. Et puis il y a des petites choses qui me réjouissent. Comme cette «  tradwife » américaine repentie, Enzita Templeton, une mère de quatre enfants, qui a quitté son mari après dix ans de vie commune et qui explique aujourd’hui qu’elle était une « esclave domestique ».

*« En matière de participation aux tâches domestiques, l’égalité progresse lentement » Enquête Cereq auprès des jeunes couples de 2021.

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