Santé

Lâchez du lest : elles racontent comment elles sont sorties de la charge mentale

ET vous, comment ça va la charge mentale ? Depuis qu’elle a été popularisée par Emma et sa bande dessinée « Fallait demander », en 2017, l’expression a rencontré un grand succès. Une immense majorité de femmes s’y sont reconnues, prenant conscience de l’insidieuse fatigue psychologique causée par la gestion des tâches domestiques et familiales, un poids essentiellement porté par la gent féminine. Pour autant, l’inégalité demeure. Selon une enquête Ipsos de 2023, 63 % des femmes se sentent concernées par la charge mentale, contre seulement 36 % des hommes. Et une étude Ifop réalisée en 2022 montre que 34 % des Françaises se disent proches du burn-out parental (car 43 % d’entre elles estiment qu’elles « manquent de soutien au quotidien »). En outre, de nouvelles données sont venues noircir le tableau : la « charge médicale » (68 % des mères s’occupent seules de la santé de leurs enfants) et la « charge numérique » (groupes WhatsApp). Enfin, on évoque beaucoup, depuis quelque temps, le « worry gap » (« écart d’inquiétude »). D’après une étude britannique datant de 2022, les femmes seraient « deux fois plus sujettes à une extrême inquiétude que les hommes ». Pas de quoi se réjouir…

Pourtant, un certain nombre d’entre elles résistent et essaient de se délester autant qu’elles le peuvent de tous ces poids. Soit parce qu’elles ont les moyens d’embaucher une nounou ou un employé de ménage, soit qu’elles ont pris conscience du problème et tenté de changer les choses. Ainsi, l’écrivaine et psychanalyste Corinne Maier vient d’écrire « #Me First ! Manifeste pour un égoïsme au féminin » (Les Éditions de l’Observatoire), un livre percutant où elle invite les femmes à davantage penser à elles-mêmes et moins aux réunions parents- profs, à la machine à laver ou à l’organisation des prochaines vacances…

Mode d’emploi

Mais, concrètement, comment faire ? En premier lieu, cela demande évidemment d’impliquer son conjoint. Comme le dit Stéphanie, 45 ans, directrice d’un centre culturel : « Je ne m’occupe pas du tout de l’éducation scolaire de mes enfants. C’est mon compagnon qui gère tout ça. Je ne connais même pas le nom de leurs profs ou la tête des autres parents d’élèves. Je n’ai pas les codes d’accès de Pronote. Et je m’en trouve très bien ! En fait, on a fait un deal avec mon conjoint. Quand nos enfants étaient petits, c’est moi qui gérais tout et j’ai trouvé ça très pénible. Maintenant que j’ai évolué dans mon travail, je lui ai fait comprendre que, s’il voulait qu’on reste ensemble, il fallait inverser les rôles… » L’implication du partenaire ne se fait pas toujours sans heurts et demande beaucoup de pédagogie. « Avant, mon compagnon m’aidait, mais je devais toujours le lui demander, raconte Virginie, 39 ans, graphiste. Ça m’énervait. Je devais penser à tout. J’avais l’impression d’être la P-DG d’une entreprise où il n’y avait qu’un salarié, qui plus est récalcitrant. Alors, un jour, je lui ai dit qu’on était comme une équipe de basket, que tout ça, c’était du collectif, que chacun devait prendre l’initiative, se faire des passes. “Don’t be a helper, be a partner !” [“Ne sois pas un assis- tant, sois un partenaire !”, ndlr] » Pour bien lui faire comprendre, Virginie a fait la grève du linge et de la vaisselle pendant deux semaines. Et a organisé un Google Agenda aussi serré qu’un agenda de ministre pour un partage des tâches équitable…

Mais pour accepter de déléguer, pour en faire moins, il faut aussi être moins exigeante, sortir du « perfectionnisme domestique », selon l’expression de la psychiatre Aurélia Schneider, autrice de « La Charge mentale des femmes… et celle des hommes » (éd. Larousse). « On obéit toutes à des normes de perfection qui nous stressent et qu’on ne remet plus en cause, résume Corinne Maier. C’est particulièrement vrai aujourd’hui. Regardez l’éducation. Dans une époque obsédée par la compétition et la réussite, les parents, et notamment les mères, passent beaucoup plus de temps qu’autrefois à faire les devoirs avec les enfants. Elles s’épuisent à ça, c’est un apostolat, alors qu’il n’y a rien de plus barbant. C’est du délire ! Il est temps de s’interroger. Est-ce que nos enfants doivent vraiment avoir des super notes et faire les meilleures prépas pour réussir dans la vie ? » Placer la barre moins haut, voilà qui peut alléger la barque des soucis. Samia, 42 ans, explique qu’elle a « toujours été très soucieuse » que ses enfants aient accès à la culture, au point de les emmener sans cesse à des expos, des concerts… Mais, devant la mauvaise volonté grandissante de son fils, elle a laissé tomber, la mort dans l’âme… Et s’est rendu compte, ravie, qu’elle préfère y aller seule. « Tant pis si Barnabé ne découvre pas Rothko à 10 ans ! » Anne, 39 ans, raconte qu’elle habillait ses jeunes enfants chez Decathlon et faisait ses courses chez Picard. Son motus ? « Sim-pli-fier. Ne pas se prendre la tête. » Pourquoi essayer forcément d’acheter les plus jolis habits ou de faire les meilleurs plats ? « Nous autres femmes, il faut qu’on sorte de la spirale du perfectionnisme épuisant. Mais, pour ça, il faut sortir de l’éducation genrée qu’on a reçue et qui nous demande de nous occuper de tout, de tout faire bien. » Il est bon aussi de s’affranchir de quelques stéréotypes. « Les parents d’aujourd’hui pensent trop souvent que l’avenir de leurs enfants dépend entièrement de leur seule action, note Corinne Maier. D’où la pression qu’ils se mettent, les soucis inutiles qu’ils se créent. À la vérité, un enfant grandit de mille manières, sous l’influence des profs, des copains, des modèles vus à la télé et ailleurs. »

Plus vous êtes en empathie, plus vous en recevez en retour

Autre sujet important : la question de l’autorité. Pour alléger la charge mentale, il peut être bon de sortir du système menace-punition. Isabelle Filliozat, la grande papesse de l’éducation positive en France, vient de sortir un nouveau livre, « Éduquer. Tout ce qu’il faut savoir » (éd. Robert Laffont). Elle rappelle les bienfaits d’une approche bienveillante, empathique. « Quand on est dans le conflit, dans l’autoritarisme, on se bagarre contre son enfant, on s’épuise. Au contraire, si vous cherchez à vous connecter à lui, à toujours privilégier le lien, la relation, vous vivez des moments plus apaisés. Plus vous êtes en empathie, plus vous en recevez en retour. » Si ces pistes semblent utiles, il ne faut néanmoins pas s’illusionner. La charge mentale reste une réalité difficile à supporter pour la majorité des femmes, en particulier celles des milieux populaires, qui peuvent moins se faire aider. Comme le dit Isabelle Filliozat : « La première cause, c’est l’isolement. Il faut qu’il y ait une vraie volonté du gouvernement d’aider les mères. Prenez l’exemple du congé maternité. Si les femmes s’inquiètent davantage pour les enfants, ce n’est pas parce que c’est un phénomène naturel. C’est tout simplement parce qu’elles ont passé plus de temps avec eux dans la petite enfance lors de leur congé maternité et sont plus à leur écoute. Si on allongeait le congé des pères, on obtiendrait une plus grande implication de leur part… » La charge mentale, un enjeu politique ?

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