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L’amour impossible d’Alice, 27 ans : « Notre amour a été une fondation pour notre amitié »

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Les traces de cet amour de jeunesse sont indélébiles. Mais curieusement, les souvenirs peinent à rejaillir au moment de reconstituer notre histoire. C’était comme si j’avais volontairement effacé de ma mémoire ce pan de ma propre existence. Quand notre relation s’est terminée, il me semble que mon cerveau a brouillé indifféremment les bons comme les mauvais moments. Ce premier amour aurait pu détruire beaucoup de choses. Je devais absolument cesser d’aimer Junie*. Arrêter à tout prix de penser que je ne pourrais aimer qu’elle… C’était un élan de protection envers moi, un cadeau que je me faisais.   

Pourquoi notre amour était-il impossible ? Sans doute parce que nous n’avions pas les mêmes désirs, elle et moi. Junie rêvait de liberté, moi d’exclusivité. Junie était bisexuelle, moi lesbienne. Nous étions surtout toutes les deux très jeunes, pas forcément prêtes à assumer le regard des autres. En tout cas, nous ne pouvions pas nous comporter comme tous les petits couples du lycée. Le poids de la honte a beaucoup pesé sur cette romance adolescente. Dans mes souvenirs, notre première rencontre a eu lieu au premier étage du CDI de notre lycée de centre-ville, un samedi matin du mois d’octobre 2013. Entre deux rayons de livres, nos regards se sont croisés. Ensuite, les images sont presque floues.  

Je ne sais plus très bien de quoi nous avons parlé… Sans doute de cinéma. Le même jour, elle était allée voir « La vie d’Adèle ». Je ne sais pas si elle avait glissé cette information dans la discussion pour me dire qu’elle avait compris. Du haut de mes 16 ans, je savais déjà, au fond de moi, que mon truc, ce n’était pas les garçons. Je n’avais encore jamais vécu d’histoire d’amour, juste quelques fantasmes sur des filles inconnues. Mais cette fois, c’est réel. Le rire de Junie, sa liberté, son charisme, son parfum aussi… Je me souviens avoir ressenti quelque chose de très fort en la regardant. Sur le moment, j’étais happée par sa présence qui semblait prendre tout l’espace autour de nous. Aujourd’hui, je peux le dire… j’ai vécu ce que certains appellent le coup de foudre.   

« Aimer aussi violemment pour la première fois n’est jamais simple, mais, dans ces conditions, c’est autrement plus difficile » 

C’était à la fois physique, intellectuel… Elle est devenue mon obsession, à cet instant. Chaque jour, je ne pensais qu’à elle. Mon attirance pour Junie me permettait de m’avouer définitivement mon homosexualité. Je ne traversais pas une phase passagère. La révélation n’était pas facile pour autant. Aimer aussi violemment pour la première fois, ce n’est jamais simple. Mais dans ces conditions, c’est autrement plus difficile. Quand j’ai confié pour la première fois à une copine que j’étais tombée amoureuse d’une fille, j’ai fondu en larmes. « Est-ce que tu veux toujours être mon amie ? », lui ai-je demandé, inquiète. « Mais oui, évidemment ! », m’a-t-elle répondu en essayant de me rassurer. Le dire à quelqu’un d’autre est déjà une épreuve, alors comment lui dire à elle ?   

Dans mon travail actuel, je n’ai plus aucun mal à dire qui je suis. Tout le monde sait que j’ai une copine et cela ne pose aucun problème… Mais à l’époque, nous somme quelques mois après le mariage pour tous. Les choses ne sont pas aussi évidentes, surtout quand on est une lycéenne de 16 ans. Est-ce que Junie ressentait ce bouillonnement intérieur, elle aussi ? La question tourbillonnait dans ma tête pendant les trois premiers mois de notre relation, sans que je puisse dire un mot à ce sujet. Alors, une période de flirt s’est instaurée entre nous. Nous avons construit discrètement les bases d’une amitié amoureuse assez ambigüe, faite de regards fugaces, d’attractions silencieuses et de lourds sous-entendus. Un jour, elle m’a écrit un message. « Alice, il faut que je te parle… » Fini de jouer aux devinettes. Mon cœur battait à mille à l’heure.   

Un amour caché par crainte d’homophobie 

Pendant ce rendez-vous, elle a essayé de m’embrasser. J’ai tourné la tête au dernier moment. Mais à force de patience, notre amour clandestin a débuté. Même au sein de notre classe, on préférait se cacher, comme si on avait honte de dire notre amour haut et fort. De même, il n’était pas question d’en parler à mes parents. Pendant les récréations, on s’enfermait dans les toilettes pour s’embrasser à l’abri des regards… Une logique d’invisibilisation qu’on s’appliquait méthodiquement. Au restaurant, au bar, au lycée, nos étreintes ne s’épanouissaient que dans la pénombre. C’est comme si on s’enfermait de notre propre volonté dans le placard.   

« On enchaînait les stratagèmes pour ne jamais être repérées, ni par les professeurs, ni par nos amis » 

Pendant les voyages scolaires, on enchaînait les stratagèmes pour ne jamais être repérées, ni par les professeurs, ni par nos amis. Le soir, on se glissait dans les draps de l’autre en silence. Sous les couvertures, on s’embrassait fougueusement en faisant attention de ne réveiller personne dans la chambre d’hôtel. Cette notion d’interdit rajoutait sans doute quelque chose de romanesque.  Entre nous, c’était tellement intense que je ne voyais pas de fin possible. J’avais tort, évidemment. Mais dans mon esprit, il n’y avait qu’elle… Les autres ne m’intéressaient pas. On passait notre temps à s’écrire des poèmes. Je dessinais son visage sur des carnets… Nous avions en commun le goût du beau. Je n’ai jamais été aussi inspirée par une autre personne. Même son portrait était au-dessus de mon lit. 

Désir d’exclusivité, contre désir de liberté  

Une lune de miel qui ne durera que quelques mois, en définitive. L’attention de Junie finissant par se disperser. Prise d’une soudaine boulimie relationnelle, elle s’est tournée par la suite vers les garçons. Sur le moment, elle me confiait son envie de tout expérimenter… sans pour autant mettre formellement fin à notre histoire. De toute manière, nous n’avions jamais posé le mot « couple » sur cette relation. Est-ce que j’étais vraiment légitime pour lui dire quoi que ce soit ? Je me suis donc contrainte à l’idée qu’il fallait que j’accueille son désir de liberté pour continuer mon chemin avec elle. Mais plus le temps passait, plus je finissais par comprendre que nous ne formerions jamais un couple. À l’époque, je vivais son besoin de multiplier les relations comme l’aveu que je n’étais pas suffisante. Elle prenait un chemin avec plusieurs branches. J’étais une de ces branches, mais pas l’arbre tout entier.    

Même si la situation me déchirait, je n’étais pas jalouse des garçons qu’elle fréquentait. Je ne gardais aucune rancune ni contre elle, ni contre eux. Une fois, elle m’a même appelée parce qu’elle pensait être tombée enceinte de son autre amoureux. Elle était désemparée, ne sachant trop à qui s’adresser. Aussitôt, je me suis empressée de lui répondre et de la soutenir. D’autres fois, elle me laissait être la spectatrice de ses nouvelles conquêtes. Des épisodes qui nourrissaient à chaque fois mon désarroi… Pour autant, il était impensable de l’abandonner. Surtout, je ne voulais pas l’empêcher d’être libre, même si cette liberté entravait mon propre bonheur. « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans. » Rimbaud avait raison. Mon amour pour elle était trop intense, trop viscéral.  

« Je souffrais de ne pas avoir la reconnaissance que les garçons pouvaient avoir auprès d’elle »

Pendant tout ce temps, je souffrais de ne pas avoir la reconnaissance que les garçons pouvaient avoir auprès d’elle. J’étais son amour de l’ombre. Pourquoi ne pouvions-nous pas être ce couple hétéro dont tout le monde parlait au lycée ? Je n’en pouvais plus de voir mes sentiments aussi peu légitimés. Pour une première relation, on rêve juste de pouvoir dire à tout le monde qui est sa copine. Mais, je n’en avais pas le droit… C’était comme si je n’existais pas. Je n’étais que de passage, alors que je voulais être bien plus à ses yeux. En tout, cette relation aura duré deux ans… Deux ans de montagnes russes incessantes qui auront pris fin avec une lettre, celle que Junie m’a écrite à la fin de notre année de terminale.  

Une lettre de rupture avec une promesse 

Sur un banc, j’ai lu ses mots. « Je ne regrette rien, mais la douleur a fait son temps. Ne crois-tu pas ? », me demandait-elle en préambule. J’avais peur de continuer à lire. Depuis toutes ces années, j’ai gardé cette lettre dans mes cartons. Il me semble qu’elle porte encore son parfum. « Je préfère garder un doux souvenir de toi. Nous étions rentrées dans un cercle vicieux dont les rouages nous broyaient. Il fallait cesser ça, sinon cela finirait par devenir faux. Or, il ne le faut pas. » Elle terminait par la possibilité de me revoir un jour. « Je ne veux pas que tout redevienne comme avant, comprends-le. Je pense que c’est mieux. Comme je te l’ai dit, je t’aimerai toujours. Certes différemment, mais sincèrement. J’aimerai éternellement l’innocente jeune fille qui avait peur de m’embrasser un soir d’hiver. Je t’embrasse encore. Junie. » J’étais effondrée.  

Peu de temps après, elle est partie faire ses études ailleurs. La distance nous a fait du bien, mais il n’y a jamais eu de rupture nette. Je ne sais pas si je peux mettre le mot « rupture » sur cette histoire. Comme cette relation ne m’appartenait pas, je me sentais tout autant dépossédée de sa fin. Même si on ne se parlait plus autant qu’avant, chaque discussion avec elle réveillait mes souvenirs. Je me demandais souvent si cet amour allait s’arrêter un jour… C’est finalement Junie qui m’a aidé à tourner la page, paradoxalement. Un jour, elle a arrêté de me parler après avoir repoussé mes avances. Son silence a duré quelques mois, le temps que j’abandonne définitivement l’idée de la séduire. Plus tard, elle m’a confié qu’elle avait fait ça pour me permettre de tirer un trait sur elle, au moins amoureusement.   

Dans sa lettre, elle m’avait fait la promesse qu’elle continuerait de m’aimer… mais différemment. Elle a tenu parole. Notre relation s’est transformée. Progressivement, on a appris à se regarder autrement. Aussi fou que cela puisse paraître, nous avons construit une relation amicale solide, profonde… Nous n’avons jamais coupé ce lien puissant qui nous unissait. Son amour n’était pas celui d’une compagne, mais comme elle m’en avait fait le serment, il était gratuit, inconditionnel… Il me semble que cette première rencontre marquante entre nous a renforcé le lien qu’on a entretenu par la suite. Notre amour a été une fondation pour notre amitié. Ce que nous avons vécu ensemble était tellement fort que cela me rappelle toujours pourquoi j’aime cette personne. Maintenant, cela fait dix ans que Junie fait partie de mes meilleures amies.   

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