Santé

Allô, Giulia ? « Mon couple peut-il survire a une tromperie ? »

« Chère Giulia,

Quand j’ai rencontré Solveig, il y a huit ans, on avait toutes les deux beaucoup morflé. On avait essayé le couple hétéro, l’une comme l’autre, au lycée, et, vraiment, ce n’était pas notre truc.

On a découvert le milieu lesbien un peu en parallèle, au début de nos années d’études, et ça peut être assez joyeux, assez festif, surtout dans une grande ville… Mais le côté boîte de nuit / draguer / choper / repartir… Ni elle, ni moi, ça ne nous parlait. Là encore, on se sentait en décalage. Donc, on peut dire qu’on s’est trouvées, avec la même envie d’engagement, le même côté un peu fleur bleue… Et le même fantasme de la robe blanche : pour fêter nos trente ans, on s’est mariées.

Pour nous, c’était important. Comme le fait d’avoir des enfants. On se l’est toujours dit, et, sans que ça devienne urgent, l’idée vague est devenue un projet sérieux il y a quelques mois. Professionnellement, on était bien lancées l’une et l’autre, c’était le moment. On ne parlait presque que de ça, on était raccord sur tout. Enfin, je croyais. Les premiers temps, en tout cas.

Et puis j’ai senti Solveig un peu la réserve. Et même un peu fuyante, dès qu’on abordait le sujet. On s’est toujours tout dit, là, je sentais qu’elle me cachait des choses. Mais quand j’essayais d’ouvrir la discussion, elle se fermait comme une huître, ou alors, elle s’énervait. Elle s’est mise à me dire qu’elle avait besoin de plus d’espace, elle rentrait plus tard le soir, et quand elle rentrait ivre, elle me jurait qu’elle m’aimait, et qu’elle n’aimait que moi… Bon, vous avez compris, je suppose ? Moi, j’ai mis un peu de temps. Je crois que j’ai voulu fermer les yeux très fort sur ce qui risquait de me péter au nez. Mais un jour, j’ai craqué. On était parties en week-end, sur son initiative – elle disait qu’elle avait besoin de verdure et de me retrouver. Sauf qu’elle faisait la gueule… Alors, j’ai explosé. Et elle a avoué : elle avait eu une aventure, elles s’étaient vues quelques fois, sur quelques semaines, et ça venait de se terminer.

C’était elle qui avait tout arrêté, parce qu’elle m’aimait, que j’étais la femme de sa vie, qu’elle regrettait, qu’elle se sentait hyper mal etc. Elle pleurait, et ça aurait dû me toucher. J’aurai dû, même, peut-être, la prendre dans mes bras. J’en étais incapable : j’étais figée. J’avais l’impression que la terre s’était ouverte sous mes pieds et que j’allais sombrer. Comme un automate, j’ai rassemblé nos affaires, tout remis dans la voiture, et décidé qu’on rentrait. Sur le trajet, je n’ai pas desserré la mâchoire et Solveig n’a pas cessé de pleurer – un peu trop tard, pour les larmes, non ? C’était il y a trois jours.

Depuis, entre nous, ça n’a pas beaucoup bougé. Elle a tout foutu en l’air. Toutes les promesses qu’on s’était faites, elle les a pulvérisées. Je n’ai plus confiance. Je n’aurai plus jamais confiance en elle. Comment on peut construire un avenir avec ça ? Et en même temps, l’avenir, il était avec elle. Je parle de l’enfant, évidemment, mais il n’y a pas que ça… Je me dis que je devrais la quitter – pour moi, une tromperie, ça a toujours été le point de non-retour. Mais imaginer ma vie sans elle, je ne peux pas. Est-ce qu’il faudrait juste que je me donne un peu de temps avant de rompre ? Pour que ce ne soit pas trop brutal, peut-être… » – Mathilde, 37 ans.

« Chère Mathilde,

Vous pouvez prendre le temps de rompre, comme celui de décider de rester. Mais, pour que ce temps soit un vrai temps de réflexion, n’en décidez pas l’issue maintenant. Laissez-vous porter par le flou, par l’inconnu, et par cette foule de sentiments contradictoires qui vous agitent – comme ils agiteraient n’importe qui dans votre situation.

Savoir qu’on a été trahie, imaginer l’autre dans d’autres bras que les nôtres, comprendre qu’il ou elle nous a menti, et se sentir, au fond, abandonnée, personne n’adore ça – à part pour quelques sociopathes certainement, mais je ne pense pas que ce soit votre cas. À partir de là… Chacun va suivre un chemin différent et prendre une décision qui lui appartient. Parce que si l’amour suivait les mêmes règles pour tout le monde, ça se saurait – et il n’y aurait ni chanson d’amour, ni film d’amour, ni roman d’amour. On l’écrit, l’amour, on le célèbre, et on le filme, justement parce qu’il est mystérieux et qu’il échappe à toute règle – « l’amour est enfant de bohème que nul ne peut apprivoiser », ça vous parle ? Big up à Carmen, qui nous rappelle l’essentiel : celui ou celle qui pourrait mettre l’amour-en-cage n’est pas encore né.

Alors c’est vrai, ça pourrait sembler plus reposant. Et plus rassurant. Se dire qu’il y a des boutons on/off sur lesquels on peut appuyer pour décider du moment où on tombe amoureuse, et de celui où tout s’arrête. Se dire qu’il y a des dates clés, et des routes bien balisées pour entamer une histoire, se marier, et faire un enfant. Se dire qu’il y a des raisons inébranlables pour se mettre ensemble et des motifs de rupture indiscutables. Oui, si l’amour avait la gentillesse d’obéir à certaines règles définitives, absolues et universelles, on dormirait mieux. Parce que vous ne m’écririez pas. Mais alors, je ne vous lirai pas. Je n’aurais pas le plaisir (intense) de me creuser la tête, avec vous, pour tenter de comprendre cette fascinante bestiole qu’est le cœur humain. Et je me priverai de celui de vous répondre des choses comme ça : non, une tromperie n’implique pas forcément une rupture. Ça peut ne pas. Ça dépend des contours de la tromperie, du moment où elle survient, de l’endroit où en sont les concernés, sur leur chemin amoureux, et surtout de ce qu’ils vont/peuvent/veulent en faire.

Parfois, on trompe parce qu’on est de sales égoïstes dévorés par le besoin de séduire. De temps en temps, on le fait parce que quelque chose ne va pas, en soi, ou dans le couple, et qu’on a trouvé que ce moyen-là pour le dire. Entre les deux, il y a une infinité de causes possibles qui méritent, toutes, d’être discutées. À deux. Avec Solveig – et sans épée de Damoclès sur la tête. Par exemple, elle a pu avoir, au départ, très très envie de cet enfant. Et puis quand le projet se concrétise, tout à coup, il vient réveiller une peur, une angoisse, une blessure… Et elle n’ose pas vous en parler, pour ne pas vous décevoir – vous êtes censées être en osmose sur tout, non ?

Mais les semaines passent, et l’échéance approche, et l’angoisse prend le dessus… Et là, elle met les doigts dans la prise. Elle fait exactement ce qu’il faut pour que ce projet tombe à l’eau, sans avoir besoin de vous affronter sur le sujet. Attention, Mathilde, ça n’est qu’une hypothèse : c’est vous qui m’écrivez, pas Solveig. Mais c’est juste pour vous dire que, non, Solveig ne vous a pas trompée forcément parce qu’elle se foutait de vous, qu’elle ne vous aimait plus, ou qu’elle voulait vous faire du mal. À elle de vous le dire. À vous deux d’y réfléchir. Ensemble. Et de voir ensuite ce que vous pouvez faire de cet épisode, pas le plus glorieux, ni le plus joyeux, de votre vie à deux. Mais je vous promets que vous pouvez en faire quelque chose. Bâtir une relation plus profonde encore, allez savoir…

N’oubliez pas, Mathilde : les contes de fées, c’est dans leur version « pour adultes », qu’ils sont le plus intéressants. Avec leurs zones d’ombre, avec leur relief, avec leurs singularités. Je vous embrasse, toutes les deux. »

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