Santé

C’est mon histoire : « Le don de mes ovocytes a changé ma vie »

Nous faisons couple, pas famille                                             

Je ne me suis jamais imaginée enceinte. Enfant, je n’ai pas glissé de coussin sous ma robe pour admirer mon gros ventre dans le miroir. Comme si j’avais toujours su. Alors que jouer au poupon, celui dont le corps souple faisait vraiment bébé, ça oui, ça m’enthousiasmait. En grandissant, le désir de grossesse ne s’éveille pas plus en moi. Porter la vie, sentir le bébé bouger, le mettre au monde, c’est merveilleux, je le mesure pleinement. Intellectuellement. Car l’écho se dissout sans résonner intimement en moi. Ce désir-là reste éteint. Abstrait. Sans regrets, ni tabou. Je suis heureuse du bonheur de mes amies enceintes. Mais, à titre personnel, je reste à quai, en terre étrangère. Je n’ai pourtant vécu aucun traumatisme qui pourrait le justifier, si ce n’est l’ordinaire d’une famille dysfonctionnelle, mais comme tant d’autres femmes. Je ne vois pas là de lien. En fait, je crois que, très tôt, j’ai eu une conception non exclusivement biologique de la maternité. Procréer n’est que l’une des façons de devenir mère, mais pas un passage obligé. Depuis la classe de CE1, j’ai des amis qui ont été adoptés. L’amour maternel fait aussi bien avec ou sans patrimoine génétique commun. Et puis, extraire un enfant de son destin cabossé, c’est un rôle bouleversant. Pour autant, adopter n’entre pas dans mes projets immédiats d’adulte. C’est juste dans le champ des possibles. Plus tard peut-être. Dans un futur où je ne me projette pas encore. Naturellement, je tombe amoureuse d’hommes qui ne veulent pas d’enfants. Célestin juge notre monde trop hostile ; Ahmed en a déjà deux, désormais adultes, et il estime être un trop piètre père pour récidiver. Pendant respectivement huit ans et cinq ans, je vis des années lumineuses et épanouissantes. Nous faisons couple, pas famille. Jamais, durant ces treize ans, je ne ressens l’appel de la maternité avec aucun d’eux.

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C’est décidé, je n’aurai pas d’enfants                                                  

Ainsi, lorsque, à 34 ans, je suis à nouveau célibataire, j’ai la ferme conviction que mon utérus restera un nid vide. Je n’aurai pas d’enfants. Je me souviens parfaitement du moment où s’est imposée l’évidence de donner mes ovocytes. Je viens de courir durant une heure sous un crachin de printemps, les endorphines sont à l’œuvre, j’éprouve une paix intérieure sans pareil. Une plénitude qui tranche avec la lucidité froide qui me saisit, comme souvent lorsque l’on approche la vérité : je gaspille mes gamètes. Mes ovaires travaillent pour rien, douloureusement de surcroît, pour livrer chaque mois un ovocyte dont je ne fais rien. Et dont je ne ferai jamais rien. Je les gâche, quand tant de femmes infertiles sont dévastées de ne pas pouvoir tomber enceintes et donner la vie. Comment n’y ai-je pas pensé plus tôt, moi qui suis favorable au don d’organes en cas de décès ? Je suis sonnée. Si mes organes peuvent sauver des vies après ma mort, mes ovocytes peuvent aider à concevoir la vie de mon vivant. Je pense à toutes les femmes qui aimeraient vivre la maternité dans leur corps et qui n’ont d’autre alternative que la procréation médicalement assistée. Des femmes si différentes de moi. Des femmes pour qui vivre une grossesse participe à l’accomplissement de soi. Pour qui mettre au monde un bébé donne du sens à la vie. Cette différence entre nous me touche, car je suis du bon côté du chemin, je ne souffre pas du manque d’enfants, je n’ai pas le deuil d’une grossesse à faire. J’incarne l’injustice. Simplement parce que je ne souhaite pas connaître ce qu’elles désirent tant. Le destin mérite qu’on lui fasse un pied de nez. Et je veux en être. Et plutôt deux fois qu’une ! Si mes ovocytes sont conformes médicalement, je veux en donner le maximum. Pour qu’ils soient utiles à une femme qui rêve de porter son enfant et qui ne le peut pas. Je ne le vois pas comme un cadeau. C’est un geste humain, la mutualisation d’un peu de génétique pour rétablir un peu de justice.

Comme un vol spatial de la Nasa                                             

Mon entrée dans l’univers du don, au CHU, me donne l’impression de préparer un vol spatial de la Nasa ! Je n’ai jamais fait autant d’examens : check-up médical, exploration génétique, bilans et échographies gynécologiques, entretien avec une psychologue. Cinq mois après le début du protocole, j’ai le feu vert pour dix jours de stimulation hormonale ovarienne, afin d’obtenir la maturation d’un maximum d’ovocytes, au lieu d’un seul lors de l’ovulation naturelle. Le jour de la ponction, neuf ovocytes sont prélevés. Le jackpot ! Je suis franchement heureuse. À partir de là, je ne sais plus rien, car l’anonymat du don s’instaure. En théorie, mes ovocytes ont été partagés entre deux femmes, car j’ai décliné l’offre d’en conserver et d’en vitrifier quelques-uns pour moi, comme la loi de bioéthique l’envisage lorsque la donneuse n’est pas encore mère, au cas où elle connaîtrait un souci de fertilité par la suite. Toujours en théorie, deux bébés au maximum sont susceptibles de naître de chacune de ces femmes. Mais j’ignore combien d’embryons ont pu être implantés à l’issue des fécondations in vitro et combien de nidations ont tenu et sont devenues des bébés. J’aurais aimé le savoir. C’est juste un chiffre. Après tout, pour le don d’organes, la famille du donneur décédé peut savoir si les greffes ont réussi. Dans les mois qui suivent, le don sort peu à peu de ma tête, pour refaire surface quelques mois plus tard. Je me dis alors qu’un bébé est peut-être en train de naître de mon don, car les embryons sont implantés quelques jours après la ponction. J’ai même un flash d’une femme en salle de travail, et je m’entends dire : « Je vous souhaite une belle vie ensemble, soyez heureux. » Ça me fait chaud au cœur, mais pas une seconde je n’ai le sentiment d’avoir un bout d’enfant à moi quelque part. Jamais ! Sa mère, c’est la femme qui l’a porté, qui l’aime et qui veille sur lui. Mes gamètes ont été de la génétique utile, c’est tout. À l’époque, l’anonymat des dons est total. Depuis, la loi de bioéthique permet aux enfants nés de dons de gamètes d’avoir accès à leurs origines, et j’y suis favorable. Pas pour connaître l’enfant issu de mes ovocytes, ni pour qu’il me connaisse, mais au cas où il aurait besoin, pour se construire et s’épanouir, de savoir qui a donné un gamète à sa mère, et pourquoi. Si je peux aider à éclairer l’horizon, je serai là. La loi n’est pas rétroactive, mais la commission d’accès aux origines peut me contacter pour savoir si j’accepte de lever l’anonymat.

Cela m’a aidée à dissiper certaines peurs                                                  

Avoir fait ce don m’apporte beaucoup, aujourd’hui encore. Je suis musicienne, et c’est en jouant que je m’en rends compte. Le bruit de fond qui m’habitait, nourri de questionnements et de doutes, n’interfère plus avec ce que je veux exprimer. Je me sens plus libre avec mon instrument. Que mon passage sur Terre m’ait permis de faire quelque chose de bien dissipe certaines peurs. Dans ma vie amoureuse aussi. Un an après le don, j’ai rencontré Mathieu. Il élève seul ses trois enfants. Leur mère, sa compagne, a été tuée par un chauffard. Le petit dernier, Gabriel, n’avait que 7 mois. Mathieu et moi, on s’est longtemps vus en cachette, avant de sauter le pas et que j’emménage chez lui. Un jour, en arrivant dans la crèche, Gabriel a levé les bras vers moi, en m’appelant « maman » pour la première fois. J’ai été émue et, en même temps, cela m’a semblé naturel. C’est mon petit dernier. Comme les deux grands sont mes deux grands. L’été dernier, l’aîné, qui est ado, m’a dit qu’il aimerait, « au cas où papa et toi vous vous quitteriez », que je l’adopte « en vrai, avec les papiers ». Avec eux, j’ai rencontré la mère en moi. Et, je le savais, ça n’a rien à voir avec la génétique.

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