Santé

Comment la philosophie peut aider à mieux vivre sa sexualité

Vous trouvez que votre vie manque de sexe ? Ou, au contraire, qu’il y en a trop (cas de figure moins fréquent) ? Vous souffrez des affres d’une passion torride ? Ou d’une disparition du désir dans votre couple ? Tournez-vous vers les philosophes ! Platon, Aristote, Spinoza… ces grandes têtes pensantes – quoique rarement suractives sur le plan sexuel (on ne peut pas être au four et au moulin) – nous ont laissé des pistes qui peuvent nous aider à mieux vivre notre sexualité. C’est ce que montre avec brio le nouvel ouvrage de Frédéric Lenoir, « Le Désir, une philosophie » (éd. Flammarion). L’écrivain de 60 ans, bien connu pour ses best-sellers consacrés à la recherche du bonheur, a convoqué les grands auteurs pour qu’ils nous aident à penser le désir sous toutes ses formes, dans toutes les dimensions de l’existence, et notamment la dimension sexuelle. Un livre clair et accessible, optimiste et revigorant, loin des clichés. À l’aide des philosophes déjà cités, mais également d’Épicure, de Bouddha, de Nietzsche ou de Bergson, il tente de répondre à cette question fondamentale : « Comment apprendre à orienter nos désirs vers des choses, des activités ou des personnes qui nous font grandir et nous mettent dans la joie ? » Nous avons imaginé quelques situations types de notre vie sexuelle et demandé à Frédéric Lenoir de les commenter, avec l’aide des grands philosophes, bien sûr. Explication de sexe…

Votre sexualité vous navre                                                     

Le constat Vous venez de lire dans un journal que les Français font l’amour 1,5 fois par semaine, ce qui ne représente pas exactement les chiffres que vous atteignez avec votre conjoint. Inquiétude. Faut-il s’en alarmer ? Considérer que votre vie de couple est ratée ? Aïe…   

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La solution Ignorez ces chiffres et rejetez l’idée d’une norme ! « Dans la vie en général, mais plus encore en matière de sexualité, il ne faut pas se comparer, rappelle Frédéric Lenoir. Comme le dit Sénèque : “Si tu veux être malheureux, compare-toi.” C’est absurde et dépourvu de sens. Tous les philosophes, de Sénèque à Spinoza, nous rappellent que chacun d’entre nous a une nature unique, singulière, avec des envies spécifiques qui ne sont pas celles du voisin. Certains ont besoin de rapports sexuels très fréquents quand d’autres vivent très bien dans la chasteté. En outre, le désir sexuel varie selon les circonstances de notre vie, selon les époques, les rencontres. Avoir des rapports sexuels peu fréquents dans un couple n’a rien en soi de problématique. Cela le devient seulement quand l’un des deux en souffre. »

Votre ado vous inquiète                                               

Le constat Il passe de longs moments avec sa copine, dort fréquemment chez elle, mais, d’après ce que vous croyez en comprendre, leur vie sexuelle paraît très calme, voire inexistante. Ce n’est pas que vous vouliez qu’il devienne un acteur X, mais cela vous étonne un peu…              

La solution Rassurez-vous, votre ado est dans l’air du temps, comme le montre une étude de l’Ifop de 2022, qui révèle que 43 % des 15-24 ans n’ont eu aucun rapport sexuel en 2021. « Freud a montré que le désir sexuel est lié à l’interdit, lequel suscite des fantasmes, nourrit l’imagination, commente Frédéric Lenoir. Une des raisons de la baisse du désir chez les jeunes, c’est qu’il n’y a plus d’interdits. La sexualité est là, facilement accessible, exposée, montrée, notamment grâce au porno. Par ailleurs, le porno est inséparable d’une idée de performance. Les corps sont parfaits, les positions acrobatiques… Autant d’images qui écrasent les jeunes, leur donnent l’impression qu’ils ne seront jamais à la hauteur. Du coup, ils préfèrent ne pas se hâter, privilégier la tendresse, ne pas avoir forcément des rapports. En cela, ils redécouvrent la “philia” chère à Aristote. Le philosophe disait que pour qu’une relation amoureuse s’épanouisse vraiment, elle ne peut pas s’appuyer seulement sur l’éros, l’amour passion, mais aussi sur la “philia”, une complicité d’amitié qui demande du temps pour connaître l’autre, pour partager des choses ensemble. »

Vous avez la tentation lesbienne                                           

Le constat Votre nouvelle collègue de bureau, rieuse et charmante, provoque en vous un certain émoi. Comme beaucoup de femmes hétérosexuelles, vous vous demandez si l’on peut devenir lesbienne d’un simple claquement de doigts, comme l’affirment les jeunes féministes d’aujourd’hui. Peut-on choisir sa sexualité à la carte ?                

La solution Et si vous vous laissiez tenter ? « Depuis quelques décennies, nombre d’auteurs, dont la philosophe du genre Judith Butler, ont démontré à quel point la sexualité dépendait des normes sociales et culturelles, souligne Frédéric Lenoir. À partir du moment où, dans les séries, dans les romans, dans les médias, on voit beaucoup plus de couples gay et lesbiens, cela ouvre le champ des possibles. La norme sociale change et certaines personnes vont s’autoriser des désirs et des expériences auxquels elles n’auraient même pas pensé autrefois dans un univers exclusivement hétérosexuel. C’est notamment vrai pour celles qui peuvent être insatisfaites de leurs rapports avec les hommes. D’une certaine manière, cela vérifie la théorie mimétique du philosophe et anthropologue René Girard. Celui-ci a très bien expliqué que la plupart de nos désirs étaient mimétiques, déterminés par les désirs sociaux dominants. Il ne le dit pas négativement, c’est juste un constat. Et heureusement qu’il y a des désirs mimétiques. L’enfant se construit comme cela, par exemple. »

Vous êtes atteinte de frénésie sexuelle                                            

Le constat Depuis votre rupture, vous vous éclatez sur Tinder. Vous multipliez les coups d’un soir et vous n’avez jamais été aussi carnassière sexuellement. Ça fait du bien ! Seule ombre au tableau, vous avez l’impression, parfois, de tourner un peu en rond et qu’il va être difficile de se remettre en couple… C’est grave, docteur ?                

La solution « Ce genre de situations illustre parfaitement la vision du désir qu’a Platon comme manque, note Frédéric Lenoir. Pour Platon, nous désirons ce qui nous manque. Mais, dès lors que nous possédons la chose désirée, notre désir s’émousse. Et il faut donc aller voir ailleurs pour recommencer à désirer… Ainsi, le désir est comme le tonneau percé des Danaïdes, impossible à remplir. Et nous risquons de tomber dans une perpétuelle insatisfaction. C’est la figure du libertin, qui a besoin de toujours plus de plaisirs et de nouveautés. Face à cette impasse, on peut s’inspirer du discours de Spinoza, qui nous propose de réorienter nos désirs et de chercher ce qui nous met vraiment en joie et augmente notre puissance. Dans le domaine sexuel, par exemple, cela peut nous amener à dire non à un plaisir facile, à une relation d’un soir, qui pourrait peut-être, ponctuellement, combler un manque, mais qui ne nous nourrirait pas profondément et qui irait, au contraire, plutôt aviver notre frustration. Il semblerait que la sexualité ne puisse être réduite à une simple satisfaction physique et biologique, sinon on s’en lasserait très vite. Nous avons également besoin de tendresse, de compréhension, de partage. Spinoza nous dirait sans doute qu’il faut réorienter nos désirs vers des choses, des personnes qui nous font grandir dans toutes les dimensions de notre être, et pas simplement dans celle du corps. »

Vous ne désirez plus votre partenaire                                            

Le constat Depuis quelque temps, avec votre compagnon, les rapports sexuels ne sont plus ce qu’ils étaient. Vous avez perdu votre envie, vous ne le désirez plus. Est-ce une fatalité ? Comment faire pour retrouver le désir ?              

La solution « C’est la grande problématique contemporaine, nous explique Frédéric Lenoir. Il suffit de voir le nombre de films et de romans qui, aujourd’hui, abordent ce thème. Autrefois, la question ne se posait pas, car les mariages étaient bien souvent arrangés. En cas de disparition du désir dans le couple, l’épouse était alors condamnée à la chasteté, et son mari prenait une maîtresse ou fréquentait les maisons closes. L’infidélité était institutionnalisée. Mais nous vivons maintenant à l’ère du mariage d’amour, et l’infidélité est vécue comme une trahison. Dès lors, face à un désir qui s’étiole, chaque couple se débrouille comme il peut. Certains essaient de ranimer le désir à coups de jeux érotiques, d’autres s’accordent une grande liberté réciproque, ou bien essaient l’échangisme. Et puis il y a les gens qui se séparent, ce qui est la majorité des cas. Face à ce problème insoluble, on ne peut qu’évoquer encore la “philia” d’Aristote. Pour qu’une relation amoureuse dure, selon le philosophe grec, il faut qu’à éros succède la “philia”, que l’on passe de l’amour passion à un amour basé sur la tendresse, la complicité spirituelle. Le désir sexuel n’est plus lié à des fantasmes érotiques, qui s’épuisent vite, mais il repose sur l’attachement profond qu’on a pour quelqu’un. Ainsi, on peut même atteindre le stade d’“agapè”, l’amour don. Le désir prend alors de nouveaux visages et on atteint une sorte de vibration d’âme qui nous relie à l’autre et qui n’est plus liée au simple plaisir sexuel. »

Vous vivez une dangereuse passion                                            

Le constat Vous êtes embarquée en ce moment dans une histoire amoureuse dévorante avec un partenaire qui vous comble. Mais votre relation, torride, s’accompagne aussi de jalousie, d’un sentiment de manque quand il n’est pas là… La passion doit-elle toujours être douloureuse ?            

La solution « La psychanalyse a montré que, dans la passion amoureuse, il y a tout un tas de choses inconscientes qui se jouent, note Frédéric Lenoir. Selon Freud et Jung, nous projetons sur l’autre un ensemble de fantasmes, d’attentes, de transferts qui n’ont rien à voir avec lui, mais qui remontent à notre enfance, à notre modèle parental. D’où le fait que dans une relation on éprouvera un manque ou un besoin de réparation, d’être dans la revendication, voire parfois dans la vengeance. Ces sentiments violents souvent nous échappent et nous font souffrir. Seule la prise de conscience, la lucidité, le travail sur soi, comme celui que l’on fait chez le psychanalyste, peuvent nous aider à comprendre ces mécanismes névrotiques et à les apaiser. Mais certaines personnes ne le souhaitent pas. Elles vous diront qu’elles adorent éprouver la passion amoureuse avec tout ce qu’elle a d’extraordinaire, mais aussi de destructeur. C’est seulement si une telle relation vous fait souffrir que le travail psychanalytique sur soi va être utile. »

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