Santé

Allo, Giulia ? : « Je ne parviens pas à faire le deuil du décès de ma grand-mère »

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« J’adorais ma grand-mère.

Et j’aime beaucoup ma mère, mais avec elle, les relations étaient un peu chien/chat, alors ma grand-mère faisait tampon. Elle était d’une douceur, d’une chaleur infinie, toujours gaie, toujours positive, extrêmement bienveillante – et je pourrais continuer comme ça des heures, puisque de toute façon, je suis en boucle, sur elle, depuis qu’elle n’est plus là. Oui, parce que ma grand-mère adorée nous a quittés il y a plus d’un an, maintenant, et je ne m’en remets pas. Comme si un bout de moi était parti avec elle, je coule.

Moi qui ai toujours été ultra-dynamique, à deux mille à l’heure, avec sept cents projets en même temps, je n’ai plus envie de rien. Même mes deux enfants, que j’adore, me pèsent. Attention, je m’en occupe hyper bien. Je suis là pour le petit-déjeuner, aucune affaire n’est jamais oubliée dans leur sac, et je me débrouille toujours pour être là à la sortie d’école – en même temps, quand je suis en arrêt maladie, c’est plus facile… Ruben, mon mari, a toujours été super présent, avec eux, depuis le début. Et c’est vrai que depuis le décès de ma grand-mère, il fait encore plus à la maison. Mais je croyais qu’il comprenait. C’est quelqu’un de très sensible, très à l’écoute, et il s’entendait très bien avec ma grand-mère. Il m’a beaucoup consolée, beaucoup écoutée, et puis, c’est normal, il a fini par en avoir un peu marre, je crois. C’est vrai que je ne suis pas vraiment la plus drôle des compagnies, en ce moment ! Mais de là à péter un câble comme il a fait…

L’autre soir, il rentre, et direct, dans ses yeux, je vois de la colère : évidemment, vu comment j’étais habillée et (pas) coiffée, il a compris tout de suite que je n’étais pas allé travailler. Il n’a pas dit un mot, jusqu’à ce que les petits soient couchés, et là, il m’a balancé, en gros : « je te préviens, je ne te laisserai pas nous entraîner dans ton trou, les gosses et moi. Soit tu vas voir un psy et tu en sors, soit je me tire ». Et il a replongé le nez dans son bouquin. J’ai tenté d’argumenter un truc, mais j’étais scotchée… Comment il peut me dire ça à moi ? Est-ce que j’ai arrêté de faire tourner la baraque ? Est-ce que les petits vont mal ? Je ne crois pas… Et moi, ben, je ne sais pas, mais il y a un truc qui s’appelle le deuil, non ? C’est comme s’il m’interdisait d’être triste et je trouve ça très dur de sa part, en fait. Et puis, mis à part le fait que je n’ai pas le temps, et qu’on n’a pas les moyens de s’offrir un psy, j’aurais l’air de quoi, moi, si j’y vais juste parce que ma grand-mère est morte ? Sauf que je lui ai promis, le lendemain matin, de réfléchir sérieusement à son idée. C’est pour ça que je vous écris, je me dis que peut-être, vous pourrez m’aider. » – Faïza, 37 ans.

« Chère Faïza,

Je ne connais pas une personne qui ait sauté de joie quand on lui a dit : « tu sais, il faudrait que tu ailles voir un psy ». Parce qu’on se sent diminuées, tout à coup, comme si on était plus capables de gérer seules. Parce qu’on croyait réussir à donner le change, et que nos souffrances nous pètent à la gueule. Et parce qu’on ne s’est pas tout à fait débarrassés de l’idée qu’il faut être complètement timbré pour consulter. Évidemment, rien de plus faux.

Mais c’est assez pratique pour ne jamais y foutre un pied : il y aura toujours plus malheureux que soi, alors, dans un geste qu’on veut noble et altruiste, on lui cède notre place. Et alors oui, c’est vraiment très très gentil, sauf qu’il y a suffisamment de psys, et de séances par psy, pour couvrir toute l’étendue de nos névroses, donc rassurez-vous, chère Faïza, vous ne prenez la place de personne. Et personne n’a décrété qu’il fallait avoir survécu à un attentat en pleine chimio, pour avoir le droit d’aller se faire aider. Un événement, en lui-même, n’est rien, en dehors de la résonance qu’il provoque en chacun de nous, et qui va varier en fonction du vécu, de l’éducation, de l’environnement de tous.

Bien sûr, vous avez droit au deuil. Et vous avez raison, on est, aujourd’hui, dans une logique d’efficacité et de rendement tels que la tristesse est regardée d’un sale œil, comme si, au fond, elle n’était qu’un frein à la compétitivité. Maintenant, si la mort de votre grand-mère, un an après, vous éloigne chaque jour un peu plus de la vie, alors oui, il y a matière à s’interroger – j’ai dit « s’interroger », pas « juger »… Comprendre ce qu’elle représentait réellement pour vous, quelle était, au fond, la nature de vos liens, quel est votre rapport à l’enfance, à votre mère, à la séparation… Ce genre de questions là, oui, seul un ou une professionnel.le de l’écoute pourra vous aider à vous les poser, et à trouver des réponses. Ruben a pu vous consoler, un peu, du mieux qu’il a pu, mais autant vous pourriez lui demander un Doliprane pour un mal de tête, autant, le jour où vous avez un bras arraché par un éclat d’obus, (pardon), vous préférerez aller voir un chirurgien pour vous amputer – du moins j’espère.

Pouf pouf, chère Faïza, c’est une image : aucune horreur ne se cache derrière la porte du cabinet d’un psy, et encore moins dans vos souvenirs. Vos douleurs, mêmes anciennes, sont là, et au fond, vous les connaissez bien. Le travail que vous pourriez faire avec un thérapeute consisterait simplement à les faire remonter à la surface, pour pouvoir les regarder en face, les considérer, les formuler… Et c’est la condition sine qua non pour les faire disparaître. Question : si une limace s’introduit chez vous, vous éteignez la lumière, parce qu’au moins, à vos yeux, elle n’existe plus, ou bien vous la gardez allumée pour mieux pouvoir la chasser ?

Je pense que vous connaissez la réponse. Et je pense que vous méritez de vivre sans tous ces trucs gluants qui nous collent à la peau et nous empêche de vivre. C’est, je crois, tout ce que Ruben a voulu vous dire : on mérite mieux, tu mérites mieux. Faïza, je vous crois sur parole : vos enfants ne manquent certainement de rien. Mais vous êtes suffisamment aimante pour savoir qu’il sera toujours plus simple, pour eux, de grandir avec une maman qui a envie de se marrer, plutôt que de couler, non ? Oui, un psy, ça coûte cher. Oui, ça demande du temps, de l’énergie – et la plus redoutable de toute : de l’énergie psychique. Mais oui, aussi, vous en valez la peine. »

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