Santé

Témoignage : « J’ai été victime d’un stalker au travail »

« A la fin de l’année 2017, j’ai 24 ans et je quitte toute ma vie à Paris pour m’installer à Londres afin de rejoindre un prestigieux cabinet de conseil. Étant Française, je ne connais pas grand monde dans cette ville et je crée l’essentiel de mes relations via mon job. Dès mon arrivée, on me confie un dossier avec un client important. Après une année à travailler pour ce client, j’assiste à une réunion durant laquelle je rencontre Viktor, un jeune Hongrois expatrié à Londres lui aussi et qui travaille avec mon client. Après cette réunion, il m’ajoute sur Facebook.
Je trouve ça un peu étrange parce qu’on a à peine parlé et on s’est vus dans un cadre très professionnel avec plein d’autres personnes. J’aurais moins tiqué s’il m’avait ajouté sur un réseau professionnel comme Linkedin par exemple. Je ne l’accepte pas sur Facebook, puis je n’entends plus parler de lui.

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Début 2020, juste avant le confinement en France, je gère une crise pour mon client et on passe toute une semaine à faire de multiples rendez-vous avec d’autres personnes dont Viktor*. Nous ne sommes jamais seuls tous les deux mais à la fin de la semaine, il me propose d’aller boire un verre. Rien d’anormal : à Londres, c’est très commun de networker, surtout dans mon milieu. Ma boss m’encourage même à aller boire des verres avec mes clients. Je ne suis pas contre d’ailleurs car il est plutôt sympathique et il a plus ou moins mon âge. Je me dis pourquoi pas, on ne sait jamais aussi s’il peut me plaire ?
 
Le verre se passe bien. Nous nous rejoignons à 18h30, dans un bar où il y a tous les consultants, lobbyistes, députés de Londres etc., dans un quartier où les gens se retrouvent très souvent pour parler boulot. Nous avons une conversation assez banale sur nos hobbies, les voyages qu’on a faits, nos métiers, le sport mais rien de très personnel.
Je ne sais pas comment l’expliquer mais pendant le verre, je sens qu’il m’aime bien. De mon côté, à ce moment-là, je sais que ce n’est pas le cas et qu’il n’y aura rien de plus. Il me demande si je veux dîner avec lui, je décline mais lui, commande un plat. J’attends donc qu’il finisse de dîner et au moment de rentrer, nous marchons dans la même direction, il me propose d’aller dans un restaurant libanais la prochaine fois, je lui réponds « Oui, on verra ! » en essayant de tempérer pour qu’il comprenne que je ne suis pas intéressée pour qu’il y ait une prochaine fois.

Le premier email

Le lendemain, Viktor m’envoie un email. Il n’a pas mon numéro de téléphone, nous ne sommes pas connectés sur les réseaux sociaux car je n’ai pas accepté son invitation Facebook. Le seul moyen de me contacter est donc ma boîte de mails pro. Il me dit qu’il a passé une super soirée et il ajoute un tweet avec une vidéo de koalas dans un zoo en Italie, qui était déjà confinée. Nous en avions vaguement parlé lors du verre. Je lui réponds d’une façon assez fermée en lui disant : « Oui, c’était un plaisir de boire une bière après cette semaine de rendez-vous. Bonne journée. » J’essaye de le remettre dans un contexte professionnel pour qu’il comprenne qu’il n’y aura rien entre nous.
 
A partir de ce moment-là, pendant dix jours, il m’envoie quotidiennement par mail un tweet sur le covid ou sur les koalas avec un commentaire comme « Haha, ça m’a fait penser à toi » ou « Je vais devenir comme ça à force de rester chez moi ».
Je ne réponds pas ou alors très froidement. A ce moment-là, je commence à me dire qu’il est quand même très lourd. Je me moque un peu de lui en transférant ses mails à mes amis en leur faisant comprendre que je suis encore tombée sur un sacré énergumène. Je ne m’inquiète pas plus que ça, d’autant que je viens de rentrer à Paris pour me confiner avec ma famille et que lui est resté à Londres.
Mais en parallèle, il a des comportements bizarres sur les réseaux sociaux. Nous ne sommes pas abonnés l’un à l’autre sur Instagram mais il commence à mettre un like sur mes photos. Il regarde toutes mes stories dans les premières minutes où elles sont publiées.
Et chaque semaine, j’ai une notification sur Linkedin pour voir les personnes qui ont regardé mon profil et il y a un profil anonyme qui fait partie de son entreprise…
 
Après m’avoir envoyé de courts emails quotidiens, il commence à m’en envoyer un très long, comme une lettre. Dans son premier paragraphe, il me pose 11 questions. Sur ma famille, sur l’arrondissement de Paris où je suis confinée, il demande comment va ma sœur alors que je l’ai à peine mentionnée durant notre verre… Puis, il commence à me détailler ses journées et à m’envoyer des photos de ses balades au parc. Il termine le mail en me demandant si j’ai des suggestions à faire sur sa coupe de cheveux.
Là, je commence à trouver ça bizarre. Je ne comprends pas qu’il ne voie pas les signaux que j’envoie prouvant que je ne suis pas du tout intéressée. Le vrai problème pour moi, c’est qu’en parallèle, le dossier avec le client en question est en train d’exploser. Nous avons des boucles de mails ensemble toute la journée donc il sait que je suis connectée. Et je n’ai pas envie de me mettre en difficulté vis-à-vis de mon client ni de mon cabinet donc je réponds à son long email de manière très succincte et en éludant ses 11 questions. Je lui réponds deux phrases pour lui dire que tout va bien et que je lui souhaite bon courage pour le confinement. Je me dis qu’il va bien finir par comprendre, mais non.

« Je commence à me demander ce que je suis réellement pour lui »

Viktor continue à m’envoyer de très longs emails en avril et en mai, plusieurs fois par semaine, sans aucune réponse de ma part. Plus les emails passent, plus l’on rentre dans des détails flippants : après m’avoir envoyé des photos de ses voyages passés en Inde et au Niger, il commence à m’envoyer des photos de chez lui, de son appartement ; il me demande s’il peut venir me voir à Paris quand le confinement sera terminé.
Ses emails font plusieurs pages mais il commence l’un d’eux en écrivant : « avant toute chose, désolé d’envoyer seulement des emails courts, j’espère que tu n’es pas fâchée », un autre débute par : « tu as été très silencieuse récemment. Est-ce que tout va bien ? Fatiguée ? Fâchée ? Trop de koalas ? Pas assez de koalas ? ». Il m’en envoie un autre en débutant par « aujourd’hui, c’est mon anniversaire ».
Je commence à comprendre que je fais partie de sa vie, il me raconte ses journées comme si l’on était proches et comme si l’on avait un échange alors qu’il est seul dans son délire. Aussi, chaque fois qu’il écrit « Toi », il le met avec une majuscule. Ce détail me fait froid dans le dos et je commence à me demander ce que je suis réellement pour lui…
 
En parallèle, je le bloque d’Instagram pour qu’il ne puisse plus voir mes stories mais des faux comptes se mettent à me suivre alors que je n’en ai jamais eu auparavant. L’un d’entre eux s’appelle VIK2020. Je décide de passer mon profil en privé et de tous les bloquer. Je ne veux plus qu’il sache ce que je fais alors que nous ne sommes même pas confinés dans la même ville mais le fait qu’il me parle de venir à Paris dès que les restrictions seront levées me fait peur.

« Dans sa tête, nous avons une relation »

Le confinement se termine, je vais devoir rentrer à Londres dans mon appartement seule et j’en ai la boule au ventre. J’ai arrêté de penser qu’il était simplement lourd et maladroit, je commence à me dire qu’il a un vrai problème psychiatrique et que dans sa tête, nous avons une relation. Il sait plus ou moins où j’habite et il sait où je travaille, je suis inquiète pour ma sécurité. Je décide alors d’en parler à ma boss pour la première fois. En lisant les dizaines d’emails et en voyant les photos de ses balades ou de son appartement, elle est sous le choc. D’autant que durant nos échanges pro et nos réunions en visio, il avait été complètement normal donc personne ne peut alors se douter qu’il m’envoie des lettres de quatre pages en parallèle. Elle prend l’affaire très au sérieux et fait remonter toutes les informations aux RH ainsi qu’au directeur de mon cabinet. Elle m’encourage à lui faire un email pour lui demander d’arrêter de me contacter de cette façon, chose que je n’avais pas osé faire jusqu’à présent car je craignais de me mettre en difficulté dans mon travail.
Je lui écris : « je pense qu’on ne souhaite pas la même chose, je ne souhaite pas qu’on continue à se parler de cette façon. Évidemment, il n’y a pas de problème au niveau du travail. »
J’espère avoir fait le nécessaire pour qu’il comprenne. Viktor répond : « Ouch mademoiselle ! C’était un KO technique sans pitié dès le premier round. Un coup dans l’estomac suivi d’un coup de pied à la mâchoire, tu es une très bonne karatéka ! » J’ai mentionné que je faisais du karaté lors de notre unique verre… Il poursuit : « Je suis un peu triste, j’aimerais quand même beaucoup qu’on puisse en parler en personne un jour quand Tu es de retour à Londres ou en juin à Paris car je prévois d’y aller. Dans tous les cas, je te promets que je ne t’enverrai plus de photos de koalas, de girafe au Niger ou d’enfant indien ».
 
Par la suite, il continue à regarder mon profil sur Linkedin toutes les semaines (ainsi que celui de mes amis) mais plus d’email. Je respire enfin !
Au mois de juin 2020, j’ai une présentation en visio avec mon client et lui pendant deux heures. Nous n’avons pas d’échange particulier mais ça semble lui donner envie de me parler à nouveau car il me renvoie deux emails beaucoup plus courts et plus amicaux. Je ne réponds pas, il ne me renvoie rien de tout l’été.

L’email de trop

En septembre, on a une nouvelle réunion et après ça, il m’envoie un email avec pour objet « été ». Il commence en me disant : « Toutes ces semaines de planche à voile en Grèce m’ont fait penser à Toi. Ce serait vraiment trop bête si toute l’histoire s’arrêtait ainsi. Comment était ton été ? J’espère que Tu vas bien. »
 
Ça a été l’email de trop. Il n’avait définitivement pas compris qu’il n’y avait pas d’histoire entre nous. Je l’ai montré à ma boss qui l’a transféré à notre directeur. Il a pris les choses en main et a décidé d’en parler au fameux client avec qui Viktor travaille. Je n’étais pas dans les échanges mais ils ont fait une réunion avec Viktor et le directeur lui a interdit de rentrer en contact avec moi à nouveau et il a mis un mot sur ce que je taisais depuis le début : il voulait que le harcèlement s’arrête.
Après quoi, on m’a retiré le dossier et je n’ai plus jamais eu à travailler avec lui. Heureusement, je n’aimais pas du tout ce dossier donc j’étais plutôt contente d’en sortir mais ça aurait pu mettre un vrai frein à ma carrière. J’ai tout de même trouvé ça injuste que ce soit à moi de quitter le dossier alors que finalement, c’était lui le fautif.
 
Je n’ai plus du tout eu de nouvelles de Viktor, j’ai décidé de quitter mon travail et de rentrer définitivement à Paris. J’ai attendu deux ans pour me remettre en public sur Instagram, il est toujours bloqué aujourd’hui mais ça m’arrive encore de voir une personne de son entreprise qui a regardé mon profil Linkedin.
Aujourd’hui, je reste persuadée qu’il a arrêté uniquement parce qu’il a vu que ça remontait aux oreilles de personnes avec qui il travaillait et qu’il avait beaucoup d’ambition. Mais je ne pense pas qu’il ait arrêté par prise de conscience.

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