Santé

Alice et les infidèles : « Après les plans foireux, j’ai décidé de rencontrer des femmes »

Ça y est, je suis dégoûtée des hommes. Depuis l’affaire « Kiko » (lire l’épisode précédent), les mecs me sortent par les trous de nez. Pourtant, jusque-là, mes « dates » Gleeden s’étaient plutôt bien passés. Depuis mon inscription, en novembre, j’ai rencontré des tas de types intéressants, touchants, voire attachants… Mais le fait d’avoir été bernée par un faux profil m’a refroidie. Du coup, je me suis dit que c’était le bon moment pour modifier mes préférences sexuelles… 

Changement radical

En quelques clics, me voilà désormais une femme hétéro et mariée, en quête d’une aventure avec une dame. J’ai mis à jour ma photo et mon texte de présentation afin de maximiser mes chances : « Bien dans ma vie et dans mon couple, je souhaite rencontrer une femme expérimentée pour une escapade sensuelle en toute discrétion… » 

Alexia, une comptable de 45 ans, m’entreprend dans la foulée : « Bonjour, je recherche une femme plus jeune que moi, assez novice, voire totalement inexpérimentée pour l’initier à la soumission, l’éduquer, la dresser… PS : Pas d’hommes, pas de couples et du sérieux. PS 2 : Je peux demander un appel à n’importe quel moment pour vérifier, alors messieurs, n’essayez pas de me la mettre à l’envers ! »

Offre anodine 

En découvrant son message, je me dis qu’on a au moins un point commun, elle et moi. Moi non plus, je n’ai pas envie qu’on me la mette à l’envers. Je me suis déjà fait avoir une fois, pas deux ! Je clique sur sa fiche pour mater ses photos. Je découvre une femme blonde au visage creusé et fermé, comme voilé d’amertume, se tenant debout, en porte-jarretelles, contre un imposant vaisselier rustique.  Sur la gauche, une longue table nappée d’une toile cirée aux motifs provençaux. Je sais d’instinct que notre idylle est vouée à l’échec. Tout dans ce cliché m’emplit de tristesse. Mal à l’aise, je décide d’ignorer son offre.

Le lendemain, Toni, une étudiante de 25 ans, m’interpelle dans ma boîte mail : « Salut ma reine ! Fraîchement arrivée ici, je cherche une partenaire de baise endiablée. J’adore déjà tes poils et tes vergetures. PS : Je ne cherche que des femmes, les hommes ne m’intéresse pas. On en a vu un, on les a tous vus ! Bisou. »

Nouveau paysage

Je souris en lisant son post-scriptum. Là encore, je ne peux qu’adhérer. Les hommes se ressemblent tous plus ou moins. Quel que soit l’âge, le milieu social, le physique, toujours cette même danse du ventre mielleuse. Puis, à partir du moment où l’on a accepté de boire un verre, le durcissement du ton qui signifie ni plus ni moins : fini de rigoler, on nous a rincée, il faut y passer. C’est usant. 

Mais les femmes ? Comment sont-elles, les femmes ? Pour le moment, je n’en sais rien. Je n’ai jamais rien fait avec une personne de mon genre à part quelques roulages de pelle complètement torchée en soirée. En revanche, je suis un peu vexée que Toni m’aborde en me parlant direct de ma pilosité et de mes vergetures. Certes, je ne suis pas une reine de beauté mais j’ai quand même pris soin de sélectionner des photos où je suis à mon avantage. Enfin, il me semble… 

Apparence dissimulée 

Je quitte ma table de travail pour venir me camper devant le miroir de ma chambre. Lentement, je soulève mon pull pour dévoiler mon ventre émaillé de vergetures, « souvenirs » de ma grossesse gémellaire.  Comment a-t-elle pu deviner que j’en avais ? Pure spéculation de sa part ou intuition féminine ? En tout cas, elle a tapé juste. Cette constellation, que je n’arrive toujours pas à accepter, constitue bien l’un des freins dans mon « passage à l’acte » – comprendre l’adultère. 

Et si je dois être tout à fait honnête, il en est peut-être le principal avec, en deuxième, évidemment, mes quelques scrupules à tromper le père de mes enfants. Je redoute en effet que mon ou ma futur.e partenaire soit rebuté.e par l’aspect de mon bidon. Si j’assume auprès de mon mari, qui me connaît par coeur, j’ai très peur de lire dans les yeux d’un.e autre de la déception – comme si je l’avais « trompé.e » sur la marchandise -, voire du dégoût.

Je baisse mon pull et vais me rassoir à mon bureau pour répondre à Toni : « Salut, merci pour la prise de contact. Si tu aimes les vergetures, alors tu vas être servie 😉 Je serais ravie de te rencontrer autour d’un verre. À bientôt, Alice. » Cet aveu me fait un bien fou. Alors que je m’évertue depuis des mois à paraître la plus séduisante possible auprès des hommes, assumer tout de go mes complexes physiques me libère d’un poids énorme. 

Prise de panique 

Je consacre le reste de ma journée à terminer d’écrire un article urgent sans retourner sur Gleeden. Le lendemain matin, je me connecte pour relever le courrier. Bonne surprise, Toni m’a ouvert son album privé. Je m’empresse de cliquer, avide de découvrir ma potentielle première amante. Campée jambes écartées sur son lit king size, mains sur les hanches à la manière d’une catcheuse sur son ring, une brune de grande corpulence me toise en fronçant les sourcils. 

Je dois dire que je suis quelque peu désarçonnée par ce que je vois. Pile à ce moment-là, elle m’envoie une salve de messages sur le tchat : 

« – Slt ! 

– Dispo ?

– Tu aimes ce que tu vois ?

– Timide peut-être lol :))

– Un verre ce soir ? 

– T où ?? Call sinon ? » 

Je réfléchis rapidement à une réponse. D’un côté, j’apprécie son côté badass, de l’autre, son physique imposant et son empressement m’effraient. Je choisis lâchement de la bannir.  

Je suis comme un homme en chien, finalement

Je continue mon exploration de la gente féminine online. Force est de constater qu’elles sont peu nombreuses, les lesbiennes ou bis, sur Gleeden. 

Je me dis qu’elles sont peut-être ailleurs, sur une autre plateforme, moins hétéro-normée, dont j’ignore le nom. Je me sens soudain très conne d’être là, à scroller, comme une zinzin, à la recherche d’un regard, d’une chevelure, d’un galbe qui pourrait me convenir. Comme un homme en chien, finalement.

Effervescence des sentiments

Soudain, la cambrure d’Alexia, cadre sup’ de 38 ans, se prélassant topless dans un bain à remous posé au-dessus de la Méditerranée, me happe. J’ai bien du mal à détacher mes yeux de son fessier mis en valeur par un string ficelle noir. Mes tempes se mettent à cogner. Mes doigts, à trembler. Mon bas-ventre, à fourmiller. 

Je me surprends à lui écrire que j’aimerais bien la rejoindre dans son jacuzzi. Quelques minutes plus tard, elle me répond que ça lui plairait beaucoup et que ses tétons sont déjà tout durs rien qu’à l’idée de frôler les miens. C’est bête à dire mais dès les premiers échanges, je ressens cette connexion très spéciale qui pousse à faire les plus grosses bêtises. Je lui propose illico de se rencontrer. Mais elle s’est déjà déconnectée.

La semaine passe sans que je reçoive de nouvelles d’Alexia. Je finis par me dire qu’elle a dû trouver mieux ailleurs. Dans la chambre, j’évite le miroir. Trop peur d’apercevoir mes marques violacées. Le matin, je m’habille comme un sac pour aller déposer mes enfants à l’école puis je rentre chez moi pour écrire, la tête rentrée dans les épaules. En gros, je me sens moche. Un peu comme après l’affaire « Kiko ». Comme quoi, mec ou meuf, c’est kif-kif bourricot.

Et puis vendredi soir, alors que je fais les courses chez Monoprix, elle refait surface. Elle s’excuse d’avoir disparu, me dit qu’elle aimerait beaucoup me rencontrer pour faire tout ce qu’on a dit qu’on ferait mais qu’elle a un secret. Et qu’elle a peur qu’en me le confiant, je refuse de la voir. Intriguée, je tente de la mettre à l’aise en blaguant : « Laisse-moi deviner… Tu es en couple ! » Elle m’envoie un emoji qui pleure de rire avant de renchérir : « Certes, mais c’est d’autre chose qu’il s’agit… »

Personnage invraisemblable  

En fourrant mes Skyr dans mon cabas, je cogite à ce qui peut bien la freiner. Elle est peut-être handicapée ou atteinte d’une maladie génétique rare ? Je repense à mes vergetures et me demande si je ne devrais pas, moi aussi, lui préciser que je suis abîmée. Alexia semble si belle, elle… 

Dans la queue des caisses automatiques, je me ravise et me contente de lui proposer un verre. Vers 21 heures, rue Daguerre ? À ma grande joie, elle accepte sur le champ. Sur le chemin de la maison, je textote mon mari pour lui dire que je sors avec une amie. J’imagine que tu vas me bloquer mais si tu le souhaites, je suis là.

J’arrive à La Chope à l’heure dite. Personne. Je m’assois en terrasse pour l’attendre. Au bout de dix minutes, toujours personne. J’ouvre Telegram. Alexia vient de m’envoyer un vocal. Aie, je me dis, ça sent le coup fourré. Je visse mes écouteurs dans mes oreilles et lance le message : « Bonsoir, Alice… J’imagine que tu as compris quel est mon secret… »

J’appuie sur « stop ». Non, je n’ai pas rêvé. OMG, Alexia n’est pas une femme, c’est un homme ! Je suis abasourdie. Je rappuie sur « play » pour écouter la suite : « … Je ne me sentais pas le courage de venir et de te mettre devant le fait accompli. J’imagine que tu vas me bloquer mais si tu le souhaites, je suis là. Je viens de sortir du métro Denfert-Rochereau… »

Un mojito, s’il vous plaît

Évidemment mon premier réflexe est de dégager cet enfoiré. Mais je dois aussi avouer que je suis excitée par la tournure des événements. D’autant que la perspective de rentrer bredouille à la maison pour retrouver toute la smala devant un Disney m’enchante moyen. Je lui envoie le « go » pour se ramener. Cinq minutes plus tard, je vois débarquer un trentenaire aux yeux verts et au crâne rasé vêtu d’un polo bleu marine. 

Je le regarde s’assoir en prenant le temps de le dévisager d’un air narquois. Je savoure mon triomphe qui n’en est pas un. Il finit par rompre le silence :

– « Du coup, moi c’est Fabrice… »

– « Cool. Moi c’est Alice » je lui réponds, oubliant presque que moi aussi, je mens.

Un serveur s’approche pour prendre notre commande. Sans hésiter, mon « date » opte pour un mojito. Décidément, cette soirée est pleine de surprises. Je m’étonne qu’un type au physique aussi « viril » penche pour un cocktail de jeune fille.

– « Et pour la demoiselle ? » me demande le serveur dans un pur accent du Sud-Ouest.

– « Moi rien. Juste de l’eau. »

Il s’en va en emportant le menu plastifié.

Faute avouée à moitié pardonnée 

Comprenant que je ne compte pas m’éterniser, Fabrice relève la tête pour me dire qu’il se sent con, que je suis trop canon, qu’il est dégoûté d’avoir tout gâché, comme ça, bêtement. Je crois qu’après toutes ces désillusions, j’ai besoin de réconfort

Il m’avoue qu’il a déjà tenté de m’approcher avec son profil masculin mais que je n’ai même pas ouvert son message. Et, ayant vu dans ma biographie que j’étais « bissexuelle », il a décidé d’utiliser l’identité de sa femme, avec leurs photos de vacances à Santorin, pour m’aborder. 

Le simple fait qu’il souligne ma « beauté » me radoucit. C’est bête à dire, mais je crois qu’après toutes ces désillusions, j’ai besoin de réconfort. Il poursuit sa complainte : « Et puis pour toi, c’est facile, tu n’as qu’à sortir dans la rue et choisir qui bon te semble… » En l’écoutant, j’ai l’impression d’entendre Cédric, le fétichiste des pieds (lire l’épisode 7), ou encore Sébastien, le faux Kiko, se plaindre de notre manque de répondant, voire de notre goujaterie lorsqu’il s’agit de répondre à leurs avances.

Ce reproche n’est pas seulement l’apanage des membres de Gleeden. À bien y réfléchir, je l’ai entendu toute ma vie. Longtemps, j’ai pensé que nous autres, les femmes, nous l’étions, ingrates. Des pimbêches nimbées d’arrogance, choisissant tantôt d’adouber, tantôt d’ignorer les prétendants qui se bousculent à notre portillon…

Foutaises !

La lecture du livre « Rassemblez-vous sous mon nom » de l’écrivaine et poète américaine Maya Angelou, m’a permis de me libérer de cette accusation : 

« Les garçons semblent penser que les filles détiennent toutes les clés du bonheur, sous le prétexte que la femme est censée avoir le droit de consentement ou/et de refus. J’ai entendu des hommes plus âgés se remémorer leur jeunesse, et un ton de jalousie hostile traînant dans leur voix lorsqu’ils évoquaient les filles qui excitèrent, sans la satisfaire, leur sensualité. Il est intéressant qu’ils ne se soient pas rendu compte dans ces jours anciens de désir, ni même dans ces jours présents de compréhension, que, si la femme avait le droit de décider, elle souffrait de son incapacité à formuler la demande. Car, enfin, elle ne peut dire oui ou non que si on lui pose la question. »

Ce qu’il considère comme un privilège féminin n’est qu’une énième malédiction imposée par le patriarcat

Le serveur interrompt le fil de ma pensée en amenant nos consommations. Je regarde Fabrice lever son stupide cocktail pour trinquer : « J’espère quand même qu’on va se revoir… » tente-t-il en touillant sa menthe avec son pic en plastique rose. Je bois une gorgée de mon eau municipale. 

Ma langue a un goût de fer. Un goût de sang. J’aimerais lui faire mal, à Fabrice. Lui faire rentrer une bonne fois pour toutes dans le crâne que ce qu’il considère comme un privilège féminin n’est en fait qu’une énième malédiction imposée par le patriarcat. Mais je suis si lasse ce soir, j’ai envie d’un câlin. Alors doucement, je m’approche, pose ma tête sur son épaule…

Et je l’embrasse.

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