Santé

C’est mon histoire : « Je m’aime enfin à 60 ans »

Une peur viscérale de vieillir   

J’ouvre les yeux, Jean-Loup dort encore, tout contre moi : je contemple son épaisse chevelure, son torse musclé et presque imberbe, sa peau blanche parsemée de grains de beauté. Je l’enlace, dépose un baiser dans son cou, écoute son souffle régulier. Je ferme les yeux, j’ai 20 ans, et je n’ai jamais été aussi amoureuse… En réalité, j’ai trois fois 20 ans… et je suis trois fois plus heureuse qu’à 20 ans ! Mais je ne devrais plus compter les années, le temps qui passe, cela m’a gâché la vie. Combien de fois me suis-je empêchée de vivre à cause de mon âge ? Ma mère m’a eue à 36 ans et à l’époque, au début des années 1960, c’était peu fréquent, surtout à la campagne où nous vivions. Alors quand, avec des amis, la conversation glissait sur son âge, elle éludait le sujet, ou pire se fâchait ou… mentait. Ce qui, enfant, me mettait très mal à l’aise. Très tôt, j’en ai développé une peur viscérale de vieillir. « Tu veux faire quoi, plus tard ? » m’avait interrogée mon institutrice de CM2. « Heu, ben… » avais-je bafouillé, du brouillard plein la tête et constatant qu’il m’était impossible de me projeter au-delà de 20 ans. C’est d’ailleurs à partir de la vingtaine que l’âgisme a insidieusement freiné mes élans. Ainsi je me souviens d’avoir pleuré le jour de mes 26 ans car j’avais dépassé l’âge limite de l’insouciance — et de la jeunesse — que je m’étais fixé à 25 ans… en référence au titre « La Vie à 25 ans » de la chanteuse Dani — « Moi je dis tout simplement, c’est beau la vie à 25 ans » — que j’écoutais en boucle ! Il est vrai qu’avec mon métier, comédienne, je n’ai pas choisi la profession la plus bienveillante avec les femmes qui vieillissent. Mais je ne m’explique toujours pas pourquoi à 29 ans, avec mes joues de bébé et mes longs cheveux blonds, j’ai définitivement renoncé aux castings pour le cinéma — alors que je commençais à décrocher de petits rôles — sous l’unique prétexte que j’allais bientôt basculer du côté des « vieilles de 30 ans ». Heureusement, j’ai ensuite intégré une compagnie théâtrale où j’ai vécu de belles et riches années de spectacles et de tournées… jusqu’à mes 35 ans ! Une comédienne de la troupe, tout juste quadra, venait alors de se faire congédier. Officiellement, son renvoi n’était pas lié à son âge mais j’ai toujours été persuadée du contraire ; et j’ai préféré prendre les devants avant que mon tour n’arrive. C’est ainsi que je suis devenue professeure de théâtre : au moins, vieillir quand on enseigne est un atout !

L’envie d’être maman                                             

Cette année-là, j’ai aussi rencontré Bruno chez des amis communs. Pas le coup de foudre mais une vraie passion partagée pour le théâtre, et une grosse envie d’avoir un bébé. Et puis il me donnait dix ans de moins, ce qui m’avait beaucoup flattée… À 36 ans, j’ai eu mon premier enfant — oui, comme ma mère — et le second est arrivé alors que j’avais 39 ans. À la petite quarantaine, j’ai eu envie d’un « troisième » mais le souvenir de ma mère « trop âgée » et le discours ambiant — « après 40 ans c’est risqué », « trois enfants à ton âge, tu n’y arriveras pas ! » — m’en ont dissuadée. Année après année, j’ai hésité, mais il faut dire que Bruno était mollement partant, et, à 50 ans, alors en pleine forme, j’ai regretté. Mais là, il était vraiment trop tard. Mes deux garçons ont grandi, et c’est quand ils ont quitté le nid pour faire leurs études que Bruno m’a plaquée… pour une midinette ! Nous étions en plein confinement, et je venais de souffler mes 59 bougies. Joyeux anniversaire. Mais la vie réserve de belles surprises : pour ne pas sombrer, j’ai entrepris sans grande conviction de googliser mes anciens amants, ceux d’avant ma vie maritale.

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Jean-Loup un ancien crush                                           

C’est alors que je me suis souvenue de Jean-Loup, un brillant comédien de mon ex-compagnie. À l’époque, il me plaisait beaucoup, mais Jean-Loup avait une vingtaine d’années (et moi la trentaine) et une petite amie fort jalouse. Sur une photo, j’ai reconnu son visage, en plus mature : des pattes-d’oie au coin des yeux et une barbe de trois jours le rendaient encore plus séduisant… « Bonjour Jean-Loup, je viens de tomber par hasard sur ton blog, que deviens-tu ? » lui ai-je écrit le soir même. « Ma chère Margot, je suis tellement surpris et heureux de te lire ! Je vais aussi bien que possible… Et toi ? Raconte-moi ! » Le lendemain matin, j’ai crié de joie en lisant sa réponse. Dès lors, une intense relation épistolaire s’est installée, où nous nous sommes tous deux confiés dans les moindres détails, jour après jour. Jean-Loup s’était séparé de sa femme — la fille jalouse ! — il y a cinq ans, ils avaient eu ensemble un garçon, aujourd’hui jeune adulte. Comme moi, il vivait à Paris et, dès que les cafés ont rouvert, il m’a proposé un verre en terrasse. C’est là que mon âge m’a rattrapée. Avec mon carré blond — désormais artificiel ! — et mon poids plume je pouvais encore faire illusion… de loin. Après avoir maintes fois reporté notre rendez-vous, j’ai fini par accepter de le revoir à la terrasse tranquille d’un café de son quartier. Les tempes blanches et des rides du sourire bien marquées, Jean-Loup faisait plus âgé que sur sa photo… mais il avait toujours un charme fou ! Et le regard azur qu’il a posé sur moi, à la fois doux et gourmand, m’a bouleversée.

Nos peaux se caressaient, insatiables                                                   

Complices, nous avons longuement bavardé et beaucoup ri, touchant à peine à notre verre de vin ! Jean-Loup m’a alors avoué m’avoir toujours trouvée très belle, et plus encore maintenant à 60 ans qu’à 20 ans. C’est alors qu’il m’a serrée dans ses bras, que ses mains ont glissé sur mes hanches, et que mon corps, trente ans plus tard, s’est à nouveau électrisé… Jean-Loup a délicatement caressé ma joue, et sa bouche s’est posée sur mes lèvres, dans un long baiser langoureux. « Tu viens chez moi ? » a-t-il murmuré. Dès lors, j’ai oublié mon âge : nous avons marché étroitement enlacés jusqu’à son immeuble et, dans l’ascenseur, nous avons prolongé notre baiser, avec avidité. Jean-Loup a ouvert la porte de son appartement et m’a entraînée dans sa chambre. Dans la pénombre, nous avons basculé sur son lit, submergés par le désir. Fébrile, j’ai déboutonné son pantalon ; impatient, il a soulevé ma robe puis, sa bouche collée à la mienne, nos corps se sont unis, dans une jouissance inouïe. Plus tard, dans la nuit, nous avons refait l’amour plus tendrement, et j’ai mesuré avec quelle perfection nos corps s’assemblaient, nos peaux se caressaient, toujours insatiables. Voici maintenant deux ans que Jean-Loup et moi vivons ensemble. Et chaque matin en me réveillant dans ses bras, je l’observe, émerveillée de cet amour si profond, à la fois tendre et charnel, que je vis dans ma sixième décennie. Je suis heureuse d’avoir pu le présenter à ma mère, qui est aujourd’hui âgée de 97 ans. Elle se porte plutôt bien mais marche avec difficulté, entend mal et semble si fragile. Je mesure alors ce qu’est la vieillesse, et combien à 50, 60 ou même 80 ans elle était « jeune », toujours élégante et pleine de vie. Récemment, j’ai osé lui demander : « Maman, pourquoi as-tu toujours dissimulé ton âge ? » « Je redoutais de vieillir, a-t-elle glissé dans un sourire, mais aussi que tu aies honte de ta “vieille” maman. Et maintenant que je suis très vieille, je me réjouis d’avoir vécu si longtemps et d’avoir vu grandir tes enfants… » Alors c’est décidé : désormais, je me fiche la paix avec mon âge et je profite pleinement du moment présent. À 60 ans… il était temps !

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