Santé

Allô, Giulia ? : « On fait comment pour oublier quelqu’un qu’on aime ? »

« Jonathan était le plus beau, le plus flamboyant, le plus drôle, et le plus mystérieux de toute la bande de potes de ma cousine. Je venais d’arriver à Lyon (pour le boulot), je n’y connaissais qu’elle. Et lui, très vite : j’ai flashé, tout de suite, et alors très, très fort. Lui aussi, à ma plus grande joie – ma cousine me disait qu’elle ne l’avait jamais vu comme ça. Notre premier baiser était électrique, notre première nuit, infinie… Et au petit matin, il m’a tout dit : qu’il était fou de moi, mais qu’il avait horreur du couple ; qu’il voulait des enfants avec moi, mais que la monogamie était un truc de vieux cons ; et que si je voulais bien l’aimer, moi, je devais aimer, aussi, sa vision de l’amour. J’ai senti comme un courant froid dans mes veines… Je ne suis pas la plus tradi des tradis, j’ai été moi-même infidèle et je peux concevoir que ça arrive, sans que ce soit forcément rédhibitoire. Mais de là à en faire un principe, non ! C’est ce que je lui ai dit tout de suite. Il a eu l’air déçu. Et triste. J’ai ramassé mes fringues, et je suis partie. Il m’a couru après – par textos, je veux dire : il s’excusait, me promettait d’essayer, me jurait que j’étais plus importante que tout… J’ai cédé. Comme je le voyais prêt à faire ce pas là, j’ai voulu en faire un moi aussi. Autour de moi, j’entendais beaucoup parler de « polyamour », et j’ai pensé : « pourquoi pas essayer ». Avec le recul, peut-être que même, d’une certaine façon, ça me rassurait : je n’étais jamais tombée aussi vite, et aussi fort, amoureuse de qui que ce soit. Laisser une porte ouverte à d’autres me promettait de ne pas être totalement à lui, peut-être… Bref, c’est lui qui a commencé… Et il a clairement abusé : je connaissais la fille, il a fait ça sous mon nez, en fin de soirée, j’ai pété un câble. Et il m’a de nouveau couru après… Donc on a fixé les règles : pas de connaissance commune, pas dans l’espace commun. Juste, on se le dit, et on se dite toute la vérité. Quelques mois plus tard, c’est moi qui me laissais tenter. Bastien, un petit nouveau au bureau, pas forcément le plus futé (donc pas de danger pour Jonathan, qui est, lui, vraiment brillant), mais une espèce de douceur et de légèreté qui me tentait bien, à trop fréquenter le sombre, avec un Jonathan sans doute beaucoup trop lucide sur le monde qui nous entoure pour ne pas en être totalement angoissé…  Je lui ai parlé de Bastien, comme on se l’était promis. Il m’a demandé des détails. Et puis de plus en plus de détails. Il me poussait dans mes retranchements, voyait des contradictions dans tout ce que je disais, et y voyait surtout la preuve que je lui mentais, et que ce Bastien était bien plus, pour moi, qu’une petite aventure : je ne l’avais jamais vu comme ça. Je ne l’aurais jamais cru capable de ça, de cette espèce de jalousie à deux balles, dans un jeu soi-disant ouvert qu’il avait lui-même instauré. En vrai ? J’étais furax. Donc évidemment, le lendemain du jour où il m’a fait jurer de ne plus jamais revoir Bastien, j’y suis retournée. Il l’a senti, il m’a tiré les vers du nez… Et il a disparu. J’ai cru que, comme les fois précédentes, il reviendrait, qu’il s’excuserait, qu’on se parlerait, mais non. Rien. Du tout. Il m’a bloquée de ses réseaux, a interdit à qui que ce soit de la bande de me donner de ses nouvelles – et vu l’ascendant qu’il a sur eux, tout le monde obéit… Je sais que je devrais tourner la page, mais je n’y arrive pas. Jonathan m’obsède. Et le pire, c’est que je crois que je l’aime encore. Oui, c’est ça le plus fou : je suis amoureuse de lui, amoureuse d’un fantôme, un fantôme qui me l’a clairement faite à l’envers. C’est à se taper la tête contre les murs, honnêtement ! Pardon, mais en l’absence de bouton magique permettant d’effacer les souvenirs, on fait comment, pour oublier quelqu’un qu’on aime ? » – Mathilde, 32 ans.

 

« Arf… Mathilde…

Que celle qui n’a jamais voulu attraper une ombre avec un lasso s’en fasse une couronne de sainte – ça nous laissera le temps de discuter tranquilles. Rien ne nous hante jamais plus fort qu’un fantôme, et il n’y a rien de plus obsédant que le silence. D’une manière ou d’une autre, Jonathan doit le savoir : disparaître, en un éclair, de votre vie, est sans doute le meilleur moyen de vous garder arrimée à lui – la preuve… Après, c’est un peu tordu, comme logique, non ? A titre personnel, j’ai régulièrement envie de lacérer de mes ongles vernis (mais ils sont beaucoup trop courts) toute cette littérature qui nous a trop fait croire que les plus ténébreux étaient aussi les plus séduisants (de vous à moi, aujourd’hui, je leur ferais avaler le divan d’un psy par les narines plutôt que de me les coltiner au réveil) et que les histoires les plus dures, les plus chaotiques, les plus complexes étaient aussi les plus belles. Quant à ce fameux « polyamour », il n’est, à mon avis, qu’une énième variation sur le thème un peu tapé de ce bon vieux Don Juan, une mythologie aussi millénaire qu’efficace, pour éviter à votre chevalier d’un autre âge de se confronter à ses propres impossibilités (celle de l’engagement, par exemple), ou à ses propres peurs – et je parierais bien sur celle de l’abandon, en ce qui le concerne. L’infidélité (disons, la classique, sans supplément discours à la mode) peut avoir ceci de délicieusement attirant qu’elle fasse irruption dans notre vie, sans prévenir, et nous embarque à la fois dans l’interdit, et dans le secret. Sans interdit, sans secret, sans irruption, elle est une modalité à peine plus moderne que tous les harems du monde – ou que le couple bourgeois avec haut-de forme, pot-au-feu, et maîtresse obligée à la clé. Attention, ceci n’est qu’une constatation empirique : je n’ai que très rarement rencontré de couple hétérosexuels polyamoureux, vivant ce polyamour parce qu’à l’origine, les femmes le souhaitaient. Je ne dis pas « toujours », mais je dis que, la plupart du temps, les hommes en avaient eu l’idée, et les femmes, tant bien que mal, suivaient – plutôt mal, en général, faute de temps, quand il fallait aller chercher les enfants à la crèche. Elles sont évidemment tout aussi capables de baiser à tout va, de jouir à tous les étages, et de mentir à toute blinde. Mais leur féminité ne s’est jamais mesurée à leurs performances sexuelles, quand la virilité, elle, a toujours été évaluée avec le nombre de conquêtes au compteur. Donc, sous couvert de parfaite équité entre les sexes, on reste quand même sur un schéma qui sent parfois furieusement le patriarcat. Vouloir fixer les aventures extra-conjugales comme règle de départ, comme principe fondateur de ce qui aurait pu être une vie à deux, c’est ni plus ni moins, en général, se débarrasser de toute forme d’éthique amoureuse, et ce, d’autant plus volontiers qu’on a la bénédiction de l’autre. Soit parce qu’on est psychiquement gaulé comme ce qui peut vaguement ressembler à un sale con… Soit parce qu’on est terrorisé – j’y reviens, et je développe – par l’abandon : je pars du principe que je risque d’être trahi, et peut-être même quitté, et la perspective me tétanise. Donc, plutôt que d’être confronté à mes pires angoisses, j’instaure moi-même la possibilité, et même l’obligation d’aller voir ailleurs : ça vient de moi, je ne suis donc pas trahi ; je suis au courant dès le départ, l’infidélité n’est donc pas totale. Je peux même me réjouir d’une forme de fidélité, puisqu’il y a fidélité à mes principes. Au fond, tout au fond de moi, je suis un tout petit enfant effrayé, mais je me donne des airs de gros durs pour pas sombrer. Vous avez vu Jonathan perdre pied. Vous l’avez vu bouffé par ses angoisses. Elles étaient, vraisemblablement, plus fortes que lui, et il a détalé. Je ne suis pas voyante, je suis encore moins dans sa tête – à vue de nez, il y a déjà beaucoup trop de monde, là dessous. Mais je serai prête à le parier…  Et à vous rappeler que, quand bien même (grosse) névrose il y aurait, vous n’êtes pas née pour l’éponger. J’ai bien conscience, chère Mathilde, de ne pas précisément vous donner le plan de vol pour le retrouver… Mais tenter d’expliquer les choses, ou du moins, lancer un début de réflexion, c’est souvent ce qui permet, à terme, de reposer le pied sur la terre ferme. Un jour, vous saurez ce qu’il s’est passé. Ou alors, vous ne le saurez jamais : mais parce que vous aurez cessé de chercher, et parce que vous vous en moquerez. Aujourd’hui, à défaut de pouvoir interroger un fantôme, posez-vous la question : pourquoi Jonathan a-t-il pu vous emmener aussi loin de vous-même ? Qu’avait-il, en lui, qui résonne si fort en vous ? Que cherchiez-vous, au fond, avec lui ? Où en étiez-vous, de votre rapport à l’amour, aux hommes, à vous-même, quand vous l’avez rencontré ? Si, si, promis, il y a une foule de choses essentielles à apprendre sur nous, à chaque histoire d’amour ».

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