Santé

Nouvelle année, nouvelle vie ? Notre guide de régénération à la portée de tous

S’échapper à la Gomera 

Avec sa superficie de 370km ,la Gomera est l’une des plus petites îles de l’archipel des Canaries. Elle est surtout devenue la nouvelle plaque tournante des crises existentielles. Jeunes diplômés comme chefs d’entreprise affluent de toute l’Europe, résolus à faire renaître l’idéal hippie. Les plus motivés s’installent dans des grottes, d’autres flambent leur assurance-vie dans l’hôtel moelleux du coin, certains travaillent un peu pour louer une bicoque. Mot d’ordre commun ? Mener une « vie naturelle », pour se relier enfin à « son vrai moi », sans envisager aucun retour en arrière. Et les touristes de passage se pressent pour parler à ces nouveaux oracles et leur demander des conseils afin de « tenir » dans l’existence qu’eux-mêmes n’osent pas quitter, malgré une tentation immense… Baptisé « escapism », ce nouveau fantasme d’évasion semble avoir contaminé toute la société. Du côté de ceux qui n’ont pas encore largué l’open space pour aller faire la danse du feu en quémandant quelques pièces, on évoque de plus en plus de salariés atteints de « quiet quitting », nouvelle démission silencieuse consistant à faire le strict minimum. Autre option de survie professionnelle prônée sur TikTok : « act your wage », soit le travail à hauteur d’un salaire jamais augmenté (malgré, parfois, les superprofits des actionnaires)… Selon une récente étude Ifop-Fondation Jean-Jaurès, 45 % des Français n’auraient « plus envie de rien ». Il faut dire que les crises s’enchaînent à un rythme épuisant, nous laissant le sentiment d’avoir perdu toute forme d’innocence. 2023 sonnera-t-elle l’occasion d’explorer denouvelles voies? Sinon, il restera toujours l’option aller simple pour la Gomera.

Donner à sa colère un programme 

Après deux années à subir des annonces catastrophiques à peine le réveillon soldé, la tentation est grande de ne rien se souhaiter pour 2023, c’est plus sûr. « On a quand même l’impression qu’il y a de moins en moins de renouvellement, c’est-à-dire de régénération, de souffle, d’amélioration, et que la dureté socio-économique va même s’accentuer », constate la philosophe Sophie Galabru, qui publiait récemment « Le Visage de nos colères » (éd. Flammarion), vibrant essai dans lequel elle rend ses lettres de noblesse à une émotion puissante nous indiquant que nos limites sont foulées. Car la colère, trop souvent stigmatisée, est nécessaire, sinon vitale. Et comme le prouve la jeunesse iranienne – à un tout autre niveau –, elle requiert souvent du courage. Loin des injonctions de résilience qui confinent « à la docilité et la soumission », selon Sophie Galabru, il est bon d’écouter sa colère, et de lui offrir un programme. Pas seulement vindicatif, mais force de propositions, aussi. Surtout si la méditation, l’appli Petit BamBou et le CBD n’ont pas marché. « Je comprends le désir de fuite, mais il faut aussi des gens qui restent dans la cité pour essayer de la changer, comme nous y encourageait déjà Socrate, poursuit la philosophe. Ce qui compte, c’est de garder un cap et d’essayer de faire rayonner les valeurs qui nous semblent profondes. Quand je suis découragée par l’état du monde, je me dis que j’ai toujours un levier pour avoir, au moins, un comportement droit et juste dans ma vie personnelle. » Et la colère, ça peut déjà commencer en disant non. 

Vivre plutôt qu’exister 

En cette rentrée de janvier, l’écrivaine Lydie Salvayre publie un féroce « Irréfutable essai de successologie » (éd. Seuil), pamphlet dans lequel elle étrille les deux mythes contemporains : argent et likes, qui font prospérer le cynisme et les rapports de domination. Dans « Les Vies vides » (éd. Dunod, en librairie le 15 février), la philosophe et psychanalyste Elsa Godart appelle aussi à se défaire d’une superficialité qui ne cesse de nous engloutir. Son programme ? Arrêter de vouloir exister, et commencer à vivre. « Exister, c’est sortir de soi, un concept qui contient une densité métaphysique, nous précise cette spécialiste de l’éthique. Mais le sens donné à nos existences aujourd’hui passe par un tel hyperindividualisme tout-puissant que nous avons oublié le côté biologique de la vie, sa valeur, ses souffrances, ses épreuves… Il est temps de renoncer à la course après la réussite et le bien-être pour se tourner vers un monde qui inclue l’autre et le lien à la nature. » Et de rappeler les urgences de l’anthropocène, notre nouvelle ère flippante où chaque jour démontre les conséquences désastreuses de l’action de l’Homme sur l’environnement : « C’est maintenant que ça se décide. Et finalement, devoir penser un nouveau monde est une promesse de renouvellement assez forte. »

S’inspirer des actrices 

Envie d’exploser les murs, tout en ayant la trouille de ce qu’il y a derrière ? Et si les actrices étaient les meilleures guides de liberté ? Avec « La Seconde Femme. Ce que les actrices font à la vieillesse » (éd. Premier Parallèle), la critique de cinéma Murielle Joudet vient de signer un essai passionnant sur la capacité de résistance des femmes à l’industrie la plus violente pour leur sexe : le cinéma. Dans un milieu où elles subissent un imaginaire psychorigide (et où il faut savoir devenir un objet de désir… avant de disparaître dès que le corps flanche), l’essayiste ausculte huit trajectoires de femmes comme autant d’options de refus. Nicole Kidman, en essayant de « tout figer dans la glace de la perfection », Brigitte Bardot, en devenant misanthrope, Frances McDormand, en « transformant sa marginalité en occasion de tout recommencer », Isabelle Huppert, en se grisant de travail, Bette Davis, en atomisant toutes les restrictions du féminin, et d’autres rappellent ainsi, sous l’analyse minutieuse et passionnée de l’autrice, qu’il « est toujours possible d’atteindre une miraculeuse réinvention de soi ». Si on n’a pas forcément la possibilité de les écrire, on peut encore choisir les rôles de sa vie.

Trouver sa communauté éléctive

On ne rappellera jamais assez les vertus régénératives d’une nouvelle activité. Et le fait qu’il n’y a pas d’âge pour s’y mettre. Quand on écoute Manon, 60 ans, parler d’aviron, qu’elle a commencé à pratiquer il y a deux ans, on croirait presque entendre une sublimation de l’existence. « D’origine québé- coise, je cherchais une activité de plein air à Paris », nous dit celle qui rame à présent avec fougue sur la Seine. On aimerait ramer avec le même enthousiasme dans la vie. « Dans l’aviron, il faut réussir à travailler en équipe et faire corps pour ne pas chavirer. Les anciens coachent les nouveaux, on doit décider qui va monter à bord en premier, diriger, tout est très collaboratif… De plus, comme c’est très mixte, c’est un vrai club de rencontres. » Bien sûr, il n’y a pas que l’aviron dans la vie. Créer son book club pour échanger des livres autour d’un bol de chips (plutôt que de se vanter de sa dernière lecture sur TikTok), lancer un « apéro- tricot » hebdo (plutôt que d’exhiber sa dernière écharpe sur Instagram), voire initier les autres à sa passion, comme Julia, fan de théâtre, et Martine, dingue de danse, qui se font mutuellement découvrir leur univers depuis la rentrée : l’important reste de partager du kiff ensemble. « À force de travailler via des écrans, on souffre aujourd’hui d’un sentiment de déréliction. On a l’impression que l’humanité se déchire, alors que la sociabilité est ce qui nous fonde. Le lien à l’autre est premier, avant le lien à soi, prévient Elsa Godart. Alors prenons soin de nos liens. Ça, c’est aussi une vraie source de renouveau. »

Apprendre l’observation 

Parce qu’on n’échappe jamais à soi, même en filant à l’autre bout du monde, mieux vaut apprendre la cohabitation avec sa carcasse, qui passe par l’art de développer ses facultés de perception et d’analyse du monde. Sinon, on ne fait que consommer du loisir et scroller sur son smartphone ad nauseam. Dans « Exercices d’observation. Dans les pas des anthropologues, des écrivains, des designers et des naturalistes du quotidien » (éd. Premier Parallèle), l’anthropologue Nicolas Nova propose ainsi toutes sortes de consignes pratiques afin de retrouver une sensibilité au monde. « Pour éviter la tentation de s’échapper, il me semble fondamental de reprendre pied, confie-t-il. D’ailleurs on sent un besoin général de reprise de contrôle, exprimé par le fait de vouloir ralentir. Nous avons un corps qui peut voir, écouter, toucher, goûter, sentir, et développer, avec tout cela, sa curiosité. Or comprendre les nuances du monde est un préalable pour le changer. » Être capable d’établir un relevé de conversations d’inconnus, de saisir l’infraordinaire cher à Perec, de réaliser une carte sonore ou olfactive, voilà des aventures à faible émission de carbone. Nicolas Nova aime, par exemple, collecter les nouveaux mots de l’époque. Dernier retenu : « spleenternet », qui synthétise la mélancolie liée aux nouvelles technologies, lorsqu’on réalise que leurs promesses de réenchanter le monde étaient bof : addiction, vide, pollution, patrons démiurges qui vont en fusée dans l’espace… Savoir observer permet déjà de « reprendre un rythme plus personnel et son focus attentionnel, de mieux se relier au vivant, pour en faire quelque chose qui satisfasse. Et peut s’avérer pertinent pour comprendre, réparer, soigner, imaginer, créer, changer de trajectoire, ou prendre des décisions face à tous ces défis que représentent les crises. Faites ces exercices de temps en temps et vous regarderez le monde différemment. »

Partir ? Non, croire en l’avenir 

« Recherche hommes pour un voyage périlleux. Bas salaires. Froid glacial. Longs mois de totale obscurité. Danger permanent. Retour non garanti », écrivait en 1913 l’explorateur Ernest Shackleton dans un quotidien britannique, avant une expédition transantarctique de trois ans. À présent que le monde entier s’affiche sur Instagram, et que l’on sait que les vols en avion font fondre les pôles, le caractère extraordinaire de l’aventure ne consisterait-il pas à conquérir son propre environnement ? Dans « Revenir » (éd. Le Pommier, en librairie le 25 janvier), la philosophe Céline Flécheux explore les récits de retour à la vie quotidienne, longtemps boudés. Après l’appel du large, l’appel à la tranquillité ? Rentrer « c’est aussi revenir à soi, avec tout ce qui s’est passé durant les détours. C’est accepter sa condition d’être humain, qui donne finalement un sens à sa vie », analyse-t-elle. Ce qui n’empêche pas le goût de l’horizon, alors que la nostalgie du « bon vieux temps » contamine toujours plus l’époque. « Selon le psychiatre Eugène Minkowski, la fuite en arrière annihile toute promesse, car aucun retour vers le passé n’est possible, prévient-elle. Seul le futur est la dimension stable sur laquelle s’appuyer. Et l’on devrait tous faire confiance à nos capacités de ménager, construire et penser des horizons qu’il reste possible de partager. » Chiche.

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