Santé

On adore ou on déteste : pourquoi les notes vocales sont le nouveau confessionnal

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Un « moyen de communication de l’Enfer » pour Louise, « une formidable invention » pour Mathilde. Ce grand écart des points de vue est parlant. La note vocale questionne des choses très intimes : notre manière de se lier aux autres, de se mettre en scène ou non.

Déculpabilisons : il vous est peut-être déjà arrivé d’envoyer une note vocale aussi longue qu’un podcast et d’en ignorer une du même acabit pour cette raison précise. De participer à une longue discussion par vocaux avant d’avoir une illumination : « Mais, tu ne veux pas qu’on s’appelle, en fait ? » La « voice note » semble cristalliser nos petites et grandes contradictions. Elle permet de se parler sans s’écrire ni se téléphoner, laisser une fenêtre sur soi à l‘autre mais décider de quand la refermer : bref, être proches mais pas trop. Pour Vanessa Lalo, psychologue clinicienne spécialiste des usages numériques, il y a autant de manières d’envoyer et recevoir des notes vocales que de personnes.

Le message audio : intime ou intrusif ?

À l’écrit, on envoie « mdr », « haha », un émoji voire un gif. Mais rien ne transcrit aussi bien le rire que la voix. Louise, 26 ans, confirme : « Une amie à qui j’ai appris que le deuxième prénom de Joe Biden est Robinette m’a répondu un vocal de son fou rire : c’était bien plus parlant qu’un “hahaha” et ça m’a fait rire aussi. » Ce type d’audio bref et drôle est d’ailleurs le seul que la jeune femme, chargée de communication numérique, accepte de recevoir. Hors humour et cercle proche, elle trouve les notes vocales beaucoup trop intrusives. Le mot revient d’ailleurs souvent chez les détracteurs du vocal. Pour Alice, comptable de 28 ans, c’est même une angoisse : « Je me dis : “Qu’est ce que la personne veut dire qu’elle ne peut pas écrire ?”. » Et parfois, la réponse est : pas grand-chose de plus qu’une anecdote, un état d’âme ou une complainte entre deux problèmes de transport. Ce qui a le don d’agacer Louise. Le principal reproche qu’elle fait aux vocaux ? Inefficaces en termes d’information, désagréables à cause du bruit ambiant, en somme : une perte de temps. Pour Vanessa Lalo, il y a l’art et la manière de laisser une note vocale. Si la psychologue salue le temps consacré à l’autre lors de l’enregistrement, qui peut être flatteur, elle nuance : « Certains font des vocaux en voiture, par flemme d’écrire. C’est là que ça peut devenir un peu persécutant : on n’a pas forcément envie de brancher son casque pour écouter le blabla de l’autre. »

Ce « blabla » entrecoupé de klaxons que Louise trouve malvenu, Mathilde en raffole. Depuis qu’elle vit en Finlande pour son service civique, elle communique par vocaux avec ses proches : « J’aime beaucoup entendre leur sourire, leur rire ou leur colère ! » Même les bruits de fond amusent l’expatriée. Certes, le tapis sonore « machine à laver en mode essorage » n’est pas idéal. Mais pour Vanessa Lalo, « ça peut être moins vexant de recevoir un message vocal entre deux courses, que pas de nouvelles du tout car la personne n’a pas le temps ». Kevin est plutôt de cet avis : pour lui, ce mode de discussion permet d’accorder du temps de meilleure qualité. Dans de longs messages vocaux, le communiquant de 24 ans développe son affection pour ces petites bulles d’intimité : « C’est joli d’entendre les émotions. Avec des mots ou des émojis, ce n’est pas aussi intense. » Côté cœur, lorsque la drague passe des applications de rencontre à Whatsapp ou Instagram, l’audio est pour le jeune homme « la première étape de l’intimité, l’apéro ou la mise en bouche avant la rencontre ». Maëva, 17 ans et fraîchement étudiante, résume : « Ça crée un lien d’entendre la voix de quelqu’un qu’on a peut être jamais vu et entendu. » D’où le potentiel malaise lorsqu’on reçoit la voix d’un inconnu. Un lien, une lucarne d’intimité oui… mais entrouverte. Comme nos réseaux sociaux ou nos fonds Zoom : un message vocal ne montre de soi que ce que l’on veut bien laisser voir.

Le tout est de laisser la possibilité à l’autre de savoir à quoi il s’engage en pressant le bouton play.

Avoir le micro, c’est avoir le contrôle

« Quand je suis seule, chez moi, dans une situation vraiment confortable, j’ai plus de facilité à m’exprimer », confie Mathilde. Les introvertis, grands gagnants de la mode des messages vocaux ? Si l’idée peut dérouter, pour Vanessa Lalo en revanche, rien d’étonnant : « Pour les gens timides ça peut être libérateur de ne plus se sentir étriqués par l’écrit. On libère la parole, quelque part. » Car la timidité va souvent de pair avec l’angoisse de ne pas réussir à se faire comprendre. Mais avec les messages audio, on contrôle mieux l’imprévu et le potentiel quiproquo de ponctuation. Un luxe pour la génération de « milléniaux » phobiques de la spontanéité des appels téléphoniques, mais pas seulement. « Les plus âgés s’approprient aussi les vocaux car ils trouvent ça plus simple que d’écrire, explique Vanessa Lalo. Chez les plus jeunes, on est plutôt sur le côté démultiplication des interactions et répartition du temps : un appel, on ne sait jamais quand ça va se terminer, contrairement à un vocal. » Dans cette interaction qui n’en est pas vraiment une, vous décidez du clap de fin comme du scénario. Une bafouille ? On refait la prise. Et au moins, personne ne nous interrompt.

Maîtriser son débit de parole et aller jusqu’au bout de sa pensée, sans être coupé, pour Kevin c’est très libérateur, surtout pour les moments « confessions intimes » : « Quand j’ai quelque chose sur le cœur, j’aime tout raconter et attendre la réponse. Au téléphone, on peut me couper la parole et ça me bloque. » Mais de contrôle à pouvoir, il n’y a parfois qu’un pas. Envoyer des messages vocaux permet d’être en contrôle… aussi de l’autre. On s’arrache à une contrainte mais on transforme l’interlocuteur en spectateur. Reste à équilibrer ce rapport de force. « On peut aussi se demander ce que l’autre fuit, s’interroge Vanessa Lalo. Car l’audio est aussi une manière de se protéger et d’être directif. Quelque part, on fait subir notre monologue à l’autre. » Oui, les dramaturges du mardi adeptes de la tirade hebdomadaire post Koh Lanta, c’est à vous qu’on parle.

S’écouter parler : entre narcissisme et performance

Quarante minutes, c’est le record de l’audio le plus long envoyé par Kevin. Mathilde le talonne avec vingt-cinq minutes. « On se croirait sur le divan, chez le psychanalyste », plaisante la psychologue. Quand nos amis sont-ils devenus nos journaux intimes ? Car il faut se l’avouer, certaines de nos envolées lyriques n’appellent pas de réponse et servent principalement à nous soulager. Pour Vanessa Lalo, se livrer sans réelle considération pour ce que l’autre peut nous répondre, cela revient à avoir le beurre et l’argent du beurre : de l’attention sans conséquences directes. « L’interaction sociale est contraignante de base, rappelle-t-elle. Le message vocal va permettre de sortir de cette contrainte. » Que ce soit bien ou non, tout dépend. Maëva, si elle avoue que les intonations de l’audio peuvent être pratiques, se plaint à mi-mots des vocaux « trop, trop longs » de certains et tranche en avouant sa préférence pour le visio, plus consensuel. Hélène, fonctionnaire de 28 ans, est plutôt détendue quant à la question épineuse de la durée. Son crédo : « Si l’autre ne me répond pas immédiatement, ce n’est pas grave, il n’y a pas de malaise. » Une façon de voir qui peut être très saine, pour Vanessa Lalo. « Sauf si on est dans son monologue narcissique, à s’écouter parler et jubiler parce que l’autre va nous écouter », précise-t-elle en mettant le doigt sur notre tendance à la mise en scène de nous-même.

Lire aussi : « Pourquoi écouter des podcasts fait du bien ? »

Pas de quoi diaboliser le monologue vocal pour autant. Envoyer une anecdote avec un ton travaillé et des punchlines bien senties peut être un plaisir divertissant et quasi radiophonique que certains ne boudent pas. Si Hélène aime « jouer avec les intonations et rendre l’événement drôle ou dramatique », de l’autre côté de la scène, Mathilde apprécie ces micro « one man show » : « C’est un peu comme un podcast qui m’accompagne sur un trajet, dans le bus ou quand je marche, je trouve ça vraiment agréable. » Trimballer un ami dans sa poche comme un Tamagotchi peut aussi avoir un côté réconfortant. À condition, au moins, de remercier votre auditoire d’avoir écouté votre conférence Ted.

On ne peut pas écouter une fois mille personnes

« Un audio, c’est un peu une carte panini : on ne sait jamais ce qu’on va avoir », remarque l’experte des outils numériques. Pour contrer l’effet de surprise désagréable, certains prennent d’ailleurs les devants. Kevin a non seulement établi avec une amie une limite de temps par jour, mais précise aussi parfois le sujet ou le ton, par écrit. Sommaires, résumés ou « attention » : libre ensuite à l’autre d’écouter ou non un éloge de trois minutes à une obscure marque de muesli. Le tout est de laisser la possibilité à l’autre de savoir à quoi il s’engage en pressant le bouton play. Vanessa Lalo salue cette démarche car, d’après elle « ce n’est pas le message vocal qui persécute, c’est la relation sociale ». Note vocale, réseau social, jeu vidéo : ils ne sont finalement que des outils qu’on peut choisir d’utiliser de manière épanouissante pour tous ou non. Un tuto « respecte ton interlocuteur » pourrait consister en trois piliers, d’après la psychologue. « En fait, condense-t-elle, tout dépend de notre modèle psychologique, de la relation avec la personne et du contexte. » Si l’on a un doute, le mieux reste de demander le consentement de son auditoire avant de soliloquer. Si cela paraît un peu basique, n’oublions pas que la note vocale est relativement récente et qui dit nouvel usage, dit tâtonnements pour en trouver les codes.

En termes d’usage de la voix, Vanessa Lalo tient à souligner : « On part de loin. Avant, on n’avait que le téléphone, pour ça. Aujourd’hui, on est tellement pris par l’écrit qu’on se sent agressé par une note vocale. C’est paradoxal. » De quoi se rappeler humblement que nos manières de communiquer se réinventent en permanence. De plus, cet ajustement constant nous met à rude épreuve depuis la pandémie de Covid-19. « Pendant les confinements, se souvient la psychologue, on avait besoin de contacts sociaux mais aujourd’hui on est un peu fatigués de ces sollicitations numériques. » Textos, messages et posts sur les réseaux sociaux, discussions instantanées, mails, appels téléphoniques ou visio, réunions Zoom… ajoutez à ça les messages vocaux et vous obtenez une furieuse envie de ranger votre cellulaire dans le congélateur. En cause ? Cette pression que nous avons à être partout à la fois. « On est censés avoir le temps pour tout le monde parce qu’on a les moyens de répondre, commente Vanessa Lalo. » De quoi s’interroger sur notre façon de distribuer notre temps aux autres, en quantité et en qualité. « Est-ce qu’on limite nos rapports sociaux aux gens qui comptent où est-ce qu’on démultiplie les rapports sociaux ? » s’interroge-t-elle. Telle est la question. Preuve qu’en notes vocales comme ailleurs, tant que le respect de l’autre est au rendez-vous, tout est question de point de vue.

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