Santé

Petit guide des relations amoureuses décryptées par Shakespeare

Vous avez des difficultés à rencontrer l’âme sœur ? Vous souffrez d’une jalousie excessive ? Vous vous disputez sans cesse avec votre partenaire ? Interrogez Will ! Will ? William Shakespeare, of course, le plus génial génie de la littérature mondiale. Le barde de Stratford-upon-Avon a écrit au XVIe siècle une œuvre théâtrale d’une richesse prodigieuse, égale à la Bible, où tous les thèmes de l’existence sont abordés : l’amour, la haine, le pouvoir, le rapport entre le vrai et le faux… Qu’un seul être humain ait pu signer une telle somme paraît incroyable. Mais si ce monument impressionne, il en décourage aussi plus d’un par son aspect imposant. Heureusement, le psychanalyste Daniel Sibony vient d’écrire un livre qui fonctionne comme une clef magique, « Shakespeare. Questions d’amour et de pouvoir » (éd. Odile Jacob), nous permettant d’entrer dans cette œuvre-monde et de comprendre à quel point elle reste actuelle. Analyse des pièces, mise en écho avec notre actualité… Sibony raconte cet « étonnant Shakespeare qui évoque si puissamment les questions qui nous hantent, et récuse nos visions binaires de l’humain, du genre : vrai ou faux, juste ou injuste, bon ou mauvais, homme ou femme, citoyen ou étranger ». Fort de son ouvrage, nous avons imaginé quelques situations amoureuses difficiles et les réponses que peuvent y apporter le dramaturge et le psychanalyste.

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Vous ne trouvez pas l’amour                                           

La situation Vous avez beau essayer, vous ne rencontrez personne. Enfin, personne de sérieux. Vous avez connu beaucoup de partenaires, mais, bizarrement, ça ne débouche jamais sur rien… Mais qu’est-ce qui cloche ?

Le conseil Et si le problème se situait du côté de votre ego ? Évoquant le personnage de Puck dans « Le Songe d’une nuit d’été », Daniel Sibony explique : « Ceux qui ne voient personne à aimer, en fait, ne voient que leur amour d’eux-mêmes. Pour aimer, il faut pouvoir projeter une part de son amour-propre sur l’autre. Cesser d’être centré sur soi et prendre le risque du ratage, de la perte, de la dépendance, du ridicule. Bref, oublier son ego. Souvent les gens sont inertes, passifs : ils attendent que la rencontre vienne à eux alors qu’ils en sont les acteurs. Il est nécessaire de s’engager, de se mouiller. Ils oublient que l’objet d’amour ne va s’élaborer qu’au rythme de leur engagement à eux. La possibilité d’aimer implique la possibilité de donner. »

Vous vous disputez sans cesse                                               

La situation Dans votre couple, les querelles sont fréquentes. Vous trouvez que les choix de l’autre, dans bien des domaines, sont loin des vôtres. Pour les vacances, la maison, l’éducation des enfants, vous n’auriez pas procédé ainsi. D’ailleurs, vous n’avez pas été élevé comme ça, on ne faisait pas comme ça chez vous… Est-ce grave ?                

Le conseil « On voit clairement, dans “Roméo et Juliette”, le rôle pesant des familles dans les histoires de couple, indique Daniel Sibony. À travers les deux amants, ce sont les Montaigu et les Capulet qui s’affrontent. De même, dans les disputes de couple, on ne fait pas que des reproches à l’autre, on lui reproche ses origines, sa famille, et on revendique les siennes. “De toute façon, dans ta famille, vous avez toujours été égoïstes ! Nous, on agissait différemment…” Etc. Si vous êtes trop collé à vos origines, trop fidèle à votre famille, vous ne pouvez pas laisser de place à l’autre. Il ne s’agit pas de renier ses parents, mais de trouver un entre-deux. Comme je le dis souvent, il faut aimer suffisamment son origine pour pouvoir la quitter. Si on se sent trop en dette, si on a des comptes à régler, on porte un poids qui nous entrave. »

Vous êtes atrocement jaloux                                            

La situation  Vous venez de rencontrer une personne avec qui ça se passe très bien. Mais cette personne est, à vos yeux, un peu trop sociable, séductrice, autonome. Et voilà que la jalousie vous prend et que vous lui faites des reproches…

Le conseil  Ce n’est pas l’autre qui a un problème, mais plutôt vous. Comme le souligne Daniel Sibony : « Dans “Le Conte d’hiver”, on voit un homme, Léonte, qui va être obsessionnellement jaloux d’un autre, Polyxène. Shakespeare nous montre que la jalousie n’est pas qu’un simple problème de possessivité. Cela renvoie à un problème plus profond lié à la mère. La personne jalouse éprouve souvent un manque immense qui remonte à l’enfance. Elle a eu l’impression que sa mère l’avait rejetée, ne lui a pas donné autant qu’elle avait donné à d’autres (son père, des frères et sœurs). D’où un manque intérieur qui est tellement à vif qu’il se réveille à toute occasion, et notamment dans le rapport amoureux. Pour en sortir, il faut que la personne jalouse comprenne la responsabilité qu’elle a dans la jalousie qu’elle éprouve. Qu’elle en ait conscience, qu’elle parvienne à se le formuler, à se connaître suffisamment pour identifier les manques obsédants qui l’ont habitée. Toutes choses que l’on fait dans l’analyse. »

Vous avez perdu espoir                                                                                                                   

La situation Votre troisième rupture vous a laissé désabusé, amer. C’est sûr : vous n’arriverez jamais à créer une relation stable. Et d’ailleurs vous n’essaierez plus…

Le conseil Laissez-vous porter par la vie. « La perte peut être féconde, rappelle Daniel Sibony. Vous êtes dans l’impasse, mais il se peut que dans votre sillage vous ayez perdu quelque chose qui a fait son chemin et qui peut vous revenir comme un don nouveau. Ainsi, peut-être qu’en cherchant à séduire une personne dans une soirée, il y a quelques années, vous avez tenu des propos qui ont pu en séduire une autre, laquelle va revenir dans votre vie… Cela se voit souvent chez Shakespeare, où des personnages qui ont tout perdu voient réapparaître un amour, un enfant ou un royaume perdu. Le rôle du temps et du hasard est important. Vous ne maîtrisez pas tout. Je dis souvent que lorsque vous êtes désespéré, c’est prétentieux. Pourquoi ? Parce que vous imaginez que le monde a dit son dernier mot vous concernant. Mais qu’en savez-vous ? »

©Lincoln Agnew

Vous vous dispersez                                                                         

La situation Sur les réseaux sociaux, vous avez beaucoup d’amis avec qui vous papotez, plaisantez, jouez au jeu de la séduction. Mais, étrangement, cela ne débouche sur aucune relation…                

Le conseil « C’est une situation que l’on retrouve dans “Beaucoup de bruit pour rien”, une pièce très moderne, note Daniel Sibony. Béatrice et Bénédict s’y livrent à un badinage amoureux qui ne mène à rien. Chacun plaisante, se séduit mutuellement, mais surtout chacun se séduit lui-même, se trouve formidable à travers l’autre. De sorte qu’il en oublie de faire le premier pas. Une situation que l’on voit fréquemment sur les réseaux sociaux. L’objectif est justement de se dénarcissiser un peu, de sortir de cette posture où l’on s’adore pour mieux se protéger. Prendre le risque d’être en manque, d’être naïf, sentimental ou ridicule. J’ai eu des patients qui passaient des années sur les réseaux à ne pas se rencontrer. Il existe toute une industrie de la rencontre qui fait son beurre de ce bavardage autoséducteur. »

Vous êtes arc-bouté sur vos principes                                             

La situation Quand votre nouveau partenaire vous a proposé d’aller voir le PSG au Parc des Princes ou d’aller dans un hôtel clinquant à Monaco, vous avez dit « non » et l’avez froissé. Ce n’est pas vous, ce ne sont pas vos valeurs, vos goûts, ce n’est pas la personne que vous êtes…

Le conseil Détendez-vous et faites comme si vous étiez un autre. « La multiplication des doubles, des jumeaux, des substitutions de personnes chez Shakespeare est une manière de dire qu’il y a du jeu dans notre identité, commente Daniel Sibony. Nous ne sommes pas figés. Nous avons beaucoup de doubles possibles et aucun des masques que nous portons ne détient toute la vérité. D’ailleurs, chez Shakespeare la vérité va émerger par le jeu. C’est souvent par le faux du déguisement que les vrais sentiments apparaissent, comme entre Rosalinde et Orlando dans “Comme il vous plaira”. » Et si vous alliez faire le fan de foot au Parc ou le nouveau riche à Monte-Carlo ? Peut-être qu’une vérité amoureuse en émergera !

 Vous êtes trop cash                                               

La situation L’autre jour, avec une nouvelle rencontre qui vous plaît beaucoup, vous avez été très direct, exprimant votre désir de sexe. Un geste de franchise que l’autre n’a pas très bien pris…

Le conseil Il faut exprimer son désir de façon retenue. « Dire à quelqu’un sans détour “Je te veux”, c’est lui montrer que vous n’êtes pas très ému, explique Daniel Sibony. C’est la grande leçon de “Peines d’amour perdues”. Les hommes y balancent leur désir sans ambages, mais les femmes, narquoises, se montrent sceptiques. Un peu de gêne dans l’expression du désir indique au contraire que ce qui se joue vous tient à cœur. Et parce que cela vous tient à cœur, ce n’est pas si facile à lâcher, à avouer. Aucune pudibonderie là-dedans. À rebours, la “franchise” qui règne sur les applis de rencontres comme Tinder me paraît peu enthousiasmante : il s’agit avant tout de baise, de consommation rapide, pas de désir. »                                          

« Shakespeare. Questions d’amour et de pouvoir », de Daniel Sibony (éd. Odile Jacob).

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