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L’extrême droite européenne a tout faux

Le constat est sans équivoque : « 95% des emplois créés en Espagne l’année dernière sont occupés par des personnes nées à l’étranger». Autrement dit, la plupart des nouveaux emplois créés en Espagne sont couverts par des immigrés, rapporte le site espagnol lavanguardia.com en se basant sur les données compilées par l’Observatoire démographique de l’Université CEU-San Pablo « Immigration sur le marché du travail en Espagne » avec des microdonnées de l’Enquête sur la population active (EPA).

Etrangers ou immigrés ?

De qui s’agit-il ? Selon les données en question, il ne s’agit pas d’immigrants récemment arrivés mais d’employés non nés en Espagne. A préciser qu’un étranger est une personne n’ayant pas la nationalité espagnole alors qu’un immigré est une personne qui est née à l’étranger mais qui peut avoir acquis la nationalité espagnole. Ainsi, tous les immigrés ne sont donc pas étrangers. De la même façon, tous les étrangers ne sont pas des immigrés. Les Marocains représentent une part importante de ces travailleurs extra-communautaires. Un total de 303.993 Marocains sont affiliés à la sécurité sociale en Espagne à fin janvier 2023, selon des chiffres émanant du ministère espagnol du Travail, des Migrations et de la Sécurité sociale. Ils sont suivis des Colombiens avec 156.940 personnes et des Vénézuéliens avec 123.650 personnes affiliées au régime de la sécurité sociale.  Dans l’ensemble, les travailleurs étrangers représentaient 12,5% du nombre total des personnes inscrites à la sécurité sociale en janvier dernier.

Faible valeur ajoutée

Comment peut-on expliquer cette situation? Selon le professeur de l’UAB, Josep Oliver, l’occupation des nouveaux emplois exclusivement par des immigrés est un processus étudié depuis des années et qui est dû à deux facteurs. Le premier est relatif au nombre réduit de la population autochtone qui reste dotée d’une formation inadéquate pour les postes qui sont offerts. Le second est lié à l’économie espagnole qui s’est spécialisée dans les emplois à faible valeur ajoutée comme les services.
Selon certaines statistiques, 55% des nouveaux emplois créés en 2022 étaient occupés par des étrangers contre deux sur trois en 2019. En Catalogne, précise Josep Oliver, tous les nouveaux emplois étaient, au cours des dernières années, destinés aux personnes nées à l’étranger. 
De son côté, Guillem López Casasnovas, professeur UPF, a affirmé que le processus par lequel le nouveau travail est occupé presque exclusivement par des immigrés est dû «au système économique espagnol, où des emplois à faible valeur ajoutée sont créés». Dans le rapport de l’Observatoire démographique de la CEU, coordonné par Alejandro Macarrón, il a été souligné que l’immigration est concentrée dans « des secteurs d’activité comme l’agriculture ou la construction ». 
Macarrón insiste sur le fait que les postes sont occupés par des immigrés parce que les chômeurs espagnols – qui ont peut-être une subvention – ne sont pas indemnisés pour les emplois à bas salaire. Tout en observant que les Espagnols sont moins compétitifs pour certains emplois. Tel est le cas pour certains secteurs, ajoute-t-il, comme les services aux personnes dépendantes, qui sont repris presque exclusivement par des travailleurs nés à l’étranger.

Emplois précaires 
et mal rémunérés

Quelles sont les conséquences d’un tel processus ? Selon les chercheurs espagnols, les immigrés en Espagne augmentent d’une année à l’autre tout en précisant qu’il s’agit de travailleurs qui occupent souvent des emplois précaires et mal rémunérés. Et cela finit, poursuivent-ils,  par mettre l’accent sur les services publics comme l’éducation, le logement ou la santé. À ce propos, certains estiment que « l’arrivée massive d’immigrants nécessite une infrastructure de bâtiments suffisante pour les accueillir. De l’avis d’Oliver, les problèmes actuels de hausse des prix de location ne peuvent s’expliquer sans l’augmentation de l’immigration ».
Dans le dernier magazine de Funcas « Papeles de Economía », le chercheur de la Réserve fédérale de San Francisco, Joan Monras, souligne que « les immigrés limitent la capacité des travailleurs autochtones à se déplacer vers les grandes villes ». Il avertit également qu’il existe généralement une corrélation entre le poids des immigrés sur un territoire et l’augmentation des prix des logements.
Miquel Puig estime qu’en Espagne (et en Catalogne) il y a « une obsession de la création d’emplois ». Selon lui, vu le type d’emplois précaires qui se créent et qui finissent par être occupés par des immigrants qui demandent des services publics, ce n’est pas la meilleure politique sociale.
En ce qui concerne les effets que l’immigration peut avoir sur les natifs, le chercheur  Joan Monras soutient, sur la base de la théorie économique, que « les entrées d’immigrants sont plus susceptibles d’affecter négativement les natifs qui sont similaires en termes de caractéristiques du marché du travail. » Si tel est le cas, les plus touchés sont les Espagnols « jeunes, peu qualifiés et vivant dans des logements chers ».

Une réalité plus complexe

Pour d’autres chercheurs, tels que  Marine de Talancé, maître de conférences à l’Université Paris-Est Marne-la-Vallée et membre de BSI Economics, « la réalité est cependant plus complexe ». Tout d’abord, explique-t-elle, « notamment du fait de qualifications différentes (les immigrés ont en moyenne, les travailleurs immigrés et natifs ne sont pas forcément substituables, un niveau de qualification plus faible que les natifs), les deux groupes d’individus ne sont donc pas nécessairement en concurrence pour les mêmes postes ». De plus, ajoute-t-elle, même en période de fort chômage, des emplois restent vacants pour lesquels les entreprises peinent à recruter (construction, services à la personne par exemple). Sur certains secteurs délaissés par les natifs, la population immigrée peut contribuer à la diminution des tensions sur le marché du travail. « L’immigration impacte aussi d’autres grandeurs économiques que l’offre de travail. En effet, les immigrés peuvent innover, créer des entreprises, consommer… ce qui crée de nouvelles embauches », note-t-elle.
Par ailleurs, elle souligne que « le marché du travail n’est pas un gâteau à partager entre travailleurs natifs et immigrés et le stock d’emploi varie constamment ». D’après elle, l’impact de l’immigration sur le chômage dépend aussi du cadre institutionnel. « Si l’on considère que les salaires sont rigides (par exemple du fait d’un salaire minimum), un flux migratoire entrant peut entraîner du chômage car les salaires ne peuvent pas varier et les ajustements se font par les quantités, c’est-à-dire par le nombre d’emplois créés et de chômeurs », précise-t-elle. Et d’affirmer : « Mais si l’on considère que les salaires sont flexibles, une arrivée de migrants peut faire baisser les salaires et pousser les entreprises à embaucher plus ».
En faisant référence aux études empiriques qui cherchent à estimer le lien entre immigration et marché du travail, Marine de Talancé explique que  « ces études montrent que l’impact de l’immigration sur le marché du travail, que ce soit sur le chômage ou les salaires, est relativement limité. « L’effet est plutôt négatif pour les travailleurs natifs en concurrence avec les travailleurs immigrés et plutôt positif pour les travailleurs natifs complémentaires (d’après leur qualification) des travailleurs immigrés », a-t-elle conclu.

Hassan Bentaleb

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