Santé

Alice et les infidèles : « Le Japon m’a donné envie d’un plan à 3 »

Retour à la case départ. Après deux semaines à sillonner le Japon avec mon mari munis de nos JR pass, nous revoilà dans la chambre 1107 de notre arrivée. En démagnétisant la serrure, j’ai eu la sensation de franchir le seuil de mon propre appartement. C’est dire si Paris me semble loin. J’ai dû mal à croire que dans quelques heures, on sera dans l’avion.

Nouveau départ

Je suis fière de moi, j’ai tenu ma promesse de couper Gleeden. Après le sale coup que m’a fait Sayed, mon amant virtuel, à propos du resto le premier soir, j’ai désinstallé l’application ( lire l’épisode précédent). Ça y est, je crois que je suis vaccinée. Ce site est le royaume du mensonge. Je regrette d’y avoir consacré autant de temps comme je culpabilise de m’être entichée d’un type dont je ne sais rien, ou si peu. D’ailleurs, existe-t-il vraiment ce Sayed ? Qui se cache derrière Rabbit_Hole, son pseudo ? Est-il réellement celui qu’il prétend être, à savoir un designer de 37 ans d’origine libanaise, grandi en banlieue parisienne et expatrié au Danemark ? Est-il marié à une Suédoise avec qui il a deux filles ? Évidemment, je brûle de savoir la vérité. Mais je me suis jurée de tenir. Du moins jusqu’à mon retour en France.

Mon mec sort de la douche en se frictionnant le torse. En le regardant enfiler son caleçon, je me mets à compter mentalement le nombre de fois où l’ on a fait l’amour durant notre périple. Une fois ici, dans cette même chambre 1107, le lendemain de notre arrivée. Une fois au Trinity Hotel de Kyoto. Une fois à Osaka après une violente dispute. Une autre fois sur le tatamis d’un ryokan à Tsumago. Une dernière fois dans une Surf House à Shimoda, il y a quatre jours. Cinq fois au total. Quand on sait qu’à Paris, on est à 3-4 fois par mois en moyenne, je me dis que cinq rapports en quinze jours, c’est plus qu’honorable. J’entends encore mon amie Jacinthe s’exclamer lors de notre déjeuner avant le grand départ : « Vous partez sans les kids ? Putain vous allez baiser comme des lapins ! »

D’un coup, je suis prise d’un doute. Que penserait Jacinthe de ce score ? Serait-il suffisant, à ses yeux, pour valider notre lune de miel ? Et oserai-je lui dévoiler ce chiffre lors de nos retrouvailles prévues le week-end prochain ? Mon mec suggère d’aller manger une pizza dans une trattoria du quartier de Daikan-yama. Un quartier à l’occidentale, truffé de boutiques françaises (A.P.C, Officine Buly, Petit Bateau…) et de restaurants européens. J’accepte du bout des lèvres. Après deux semaines à me goinfrer d’onigiris, ces petits triangles de riz enveloppés d’algues et fourrés avec différents ingrédients (bonite, concombre, saumon…), je suis hyper constipée.

Complicité retrouvée

Je retourne ma dernière culotte et enfile un jean et un tee-shirt sales. En cette Golden Week, où s’enchaîne quatre jours fériés célébrant respectivement l’ère Showa, la Constitution, la Verdure et les Enfants, le service de « laundry » de l’hôtel est en rade. Alors que l’on descend les étages en silence, je fixe les épaules de mon mec dans le miroir de l’ascenseur et me fais le serment de lui faire l’amour en rentrant. Faire l’amour une dernière fois pour boucler la boucle, faire l’amour pour me donner la force de ne pas recontacter Sayed, et pourquoi pas, faire l’amour pour faire un troisième enfant… À condition de ne pas m’exploser le ventre au restaurant.

Il faut la savourer, cette dernière soirée

La trattoria San Michele est pleine à craquer. Escortés par la serveuse, on traverse l’immense salle de style industriel au milieu de laquelle trône une Vespa rouge rutilante parmi des caisses de citrons disposées sur un lit de paille. La serveuse nous désigne une petite table au fond. Je m’installe dos au mur pour profiter de la vue sur l’énorme four à bois couvert d’étain.

À côté de nous, un couple de Japonais partage une assiette d’antipastis. À la façon dont la fille minaude en mordillant du bout de sa fourchette son aubergine frite, on se dit qu’il doit s’agir d’un « date » Tinder, ou équivalent. On scanne la liste des pizzas aux prix exorbitants et on décide d’opter pour une margherita à partager (la moins chère de la carte) avec deux Moretti. Je valide notre commande sur mon téléphone.

Les bières arrivent. Avec mon mec, on trinque à la fin de notre trip. Au-dessus de la nappe vichy, on se repasse les photos du voyage. On switch rapidement sur celles de nos enfants envoyés par mes beaux-parents sur le WhatsApp familial. On les trouve beaux, grandis, on a tellement hâte de les retrouver. En même temps, on se dit qu’il faut la savourer, cette dernière soirée. La serveuse vient déposer notre Margherita. On saisit nos couteaux pour se tailler de fines slices chaudes et moelleuses à souhait. On se couve du regard en savourant notre gourmandise, on s’essuie mutuellement les fils de fromage fondu qui viennent orner nos mentons.

On se dit que rien ne vaut un bon shoot de gluten, bref, on vit une sorte de pré-orgasme culinaire avant le vrai, plus tard, à l’hôtel. La pizza disparaît en moins de deux. Mon mari me sonde du regard. On ne s’en prendrait pas une petite deuxième ? Je lui dis oui en riant.

Le monde est petit

On sort du restaurant repus et amoureux. On décide de rentrer à pied, main dans la main, en se laissant rouler parmi les bars branchés. Ça fait longtemps que je ne me suis pas sentie aussi « alignée ». Soudain, j’entends quelqu’un crier mon nom. Je poursuis mon chemin, persuadée qu’il s’agit d’une erreur. Mais, mon mec me retient et me pointe du doigt un couple en terrasse qui nous fait de grands signes.

C’est Clarisse, une de mes anciennes boss, flanquée d’un chauve en chemise à col Mao et Birkenstock. On s’approche de leur table. Je présente mon mec à Clarisse qui fait de même avec le sien. On hallucine de se retrouver là, à l’autre bout de la planète, dans cette ville gigantesque. « World is so small !!! » s’exclame Clarisse en levant son verre de blanc (elle est pétée). Elle nous invite à se joindre à eux. Je décline poliment, arguant que l’on a nos valises à faire et que l’on décolle aux aurores. Mais elle insiste tellement qu’on finit par s’assoir.

On trinque au Japon et à l’amour

Clarisse est surexcitée. Elle a sillonné le pays il y a longtemps avec son ex et elle a hâte de refaire le circuit avec le nouveau (dont j’ai zappé, entre-temps, le prénom). Je comprends entre les lignes qu’elle vient de quitter le père de son fils pour ce type au look de prof (Jean-Charles ? Jean-Christophe ? Va pour Jean-Christophe), lui-même divorcé et père de deux adolescentes. Bref, un gros bordel. Un serveur approche.

Clarisse demande une autre bouteille du blanc. La bouteille arrive. On trinque tous les quatre au Japon et à l’amour. Clarisse louche sur mon alliance. Elle me prend la main en me traitant de cachottière. Elle ignorait que je m’étais mariée. Je lui réponds en rougissant que tout ça est vieux et que j’ai eu des enfants depuis. Des jumeaux. Quatre ans et demi. Clarisse s’écrie : « Waouh, vous ne faites pas les choses à moitié ! »

Fantasme surprenant

On descend la bouteille à la vitesse d’un Shinkansen. Clarisse n’arrête pas de labourer la cuisse de Jean-Christophe tout en nous racontant les détails de leur rencontre – une soirée de fin de tournage de notre ancienne boîte de prod, ils étaient tous les deux mariés et sous MD, ça s’est conclu aux chiottes. Ils se roulent une pelle sous notre nez. Mon mec en profite pour me glisser qu’il a envie de se barrer. Moi aussi. Ivre, Clarisse nous déclare qu’ils sont fous amoureux mais qu’ils ont un deal. Avec mon mec, on se tait, soucieux de ne pas faire de vagues. Clarisse ajoute d’un air mystérieux : « Parce que J-C est candau. »

Mon mec s’enquiert : « C’est un truc japonais ? » (Moi, j’ai entendu « clodo »). Clarisse s’esclaffe. Il n’y est pas du tout. Jean-Christophe se racle la gorge pour nous préciser d’un ton docte : « Je suis candauliste. C’est-à-dire que je prends du plaisir à voir Clarisse faire l’amour avec un autre homme. »

Pour le coup, je ne l’avais pas vue venir, celle-là. J-C rajuste sur son nez ses fines lunettes en métal pour nous raconter l’origine du mot. Apparemment, durant l’Antiquité, régnait un roi nommé Candaule qui vouait un culte à Nyssia, sa belle épouse. Un jour, il proposa à l’un de ses gardes, le jeune et beau Gygès, d’admirer l’intimité de sa femme en cachette. Gygès fut tellement ébahi par cette vision qu’il tomba amoureux de Nyssia sur le champ. Mais la reine se rendit compte de l’affront et convoqua Gygès : « Deux des quatre prunelles où m’a nudité s’est réfléchie doivent périr ce soir » lui assèna-t-elle (on ne rigolait pas à l’époque). S’il voulait avoir la vie sauve, Gygès n’avait d’autre choix que de tuer Candaule. Il le poignarda dans son sommeil et devint roi à son tour en épousant Nyssia. Clarisse conclut l’exposé de son compagnon en ajoutant : « Bref, on est ensemble mais on n’a pas envie de se faire chier. »

Quand le masque tombe

À la japonaise, je souris pour masquer mon trouble. Comment enchaîner après ça ? Mais contre toute attente, c’est mon mari qui rebondit en disant qu’il comprend tout à fait la démarche et que, passé la quarantaine, ça n’a plus tellement de sens de s’encombrer des conventions sociales. Je suis bluffée, je ne le croyais pas si ouvert. Mon mec est plutôt du genre traditionnel. En bon cancer, il n’aime rien tant que la sécurité. C’est comme si la monogamie avait été conçue pour lui. Il ne se voit pas du tout évoluer en dehors de ce cadre. Je suis estomaquée de le voir applaudir à cette histoire de candaulisme. Mais peut-être est-ce juste par politesse ?

Je regarde ma montre et déclare qu’il est temps d’y aller. On se lève et on s’embrasse en se promettant de se revoir à Paris. Clarisse et J-C viennent d’acheter une maison au Pré-Saint-Gervais pour loger toute leur marmaille. Dès que les travaux sont terminés, ils nous invitent à dîner (je note mentalement qu’il faudra décliner, pas envie que ça dérape en plan à quatre). On prend congé non sans les avoir remerciés d’avoir payé leur tournée. On s’éloigne à grandes enjambées pour laisser libre cours à notre hilarité. On rejoue les dialogues, on singe mon ex-boss, on se moque de J-C. Bref, on en fait des caisses.

Le troisième enfant attendra…

Dans l’ascenseur qui nous hisse à la 1107, on s’embrasse comme deux amants. On ouvre la porte de la chambre sans interrompre notre baiser. Je m’étends sur le lit. Mon mec s’allonge sur moi, déboutonne mon jean et passe sa main dans ma culotte. Il la retire brusquement et me fout ses doigts sous le nez : ils sont recouverts de sang.

Mince, comment ai-je pu ne pas me rendre compte que j’avais mes règles ? Je vais à la salle-de-bain pour enfiler une serviette hygiénique. Quand je reviens, mon mari est en train de lire un manga. Je grimpe sur lui et commence à l’embrasser. Lentement, mes lèvres descendent le long de son torse vers son pénis. Au niveau de son estomac, il m’arrête : « La pizza… » Il repose son livre, éteint la liseuse et se tourne en emportant le drap. Je me lève pour terminer notre valise.

À 3 heures du matin, je ne dors toujours pas. Je suis stressée à l’idée de rentrer et de devoir à nouveau me glisser dans mon rôle de pigiste slash maman dépassée. Je suis aussi frustrée de ne pas avoir baisé pour notre dernier soir au Japon, frustration décuplée par mes règles sans doute (je ne sais pas vous mais je ne suis jamais aussi chaude qu’à cette période de mon cycle).

Une porte entre-ouverte

Je repense à la réaction de mon mec à cette histoire de candaulisme tout à l’heure, face à Clarisse et J-C. Et si c’était la solution pour réveiller notre vie sexuelle ? Je m’imagine dans notre salon, à Paris, en train de me faire dévorer par un inconnu tandis que mon mari nous mate, un verre de gin à la main, allongeant parfois la main en direction de la platine pour changer un vinyle. Je ressens comme des petits picotements dans le bas-ventre.

Quelque chose en moi s’est allumé. J’ai une idée. Et si j’utilisais Gleeden pour trouver un plan candau en clandé ? Si j’apporte un clampin à mon mari sur un plateau, il ne pourra pas refuser. Ça se tente… Dans la pénombre de la chambre 1107, éclairée par les lumières de Tokyo, j’attrape discrètement mon téléphone et réinstalle Gleeden. Ça y est. Mode candau activé.

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