Santé

Allô Giulia ? « J’ai peur que mon mari me trompe avec sa nouvelle collègue »

« Chère Giulia,

Je vous écris parce que je crois que je suis en train de devenir folle. Que je déteste la façon dont je me comporte en ce moment dans mon couple, mais que c’est plus fort que moi. J’ai beau savoir qu’il ne faut pas, je fais : je fouille dans le portable de Fabio la nuit, je fais ses poches dans son dos, et il a droit à un interrogatoire en règle quand il a une demi-heure de retard. C’est détestable, hein ? Eh ben, c’est moi.

En ce moment, c’est moi. Depuis des mois, je suis comme ça. Depuis l’arrivée de cette nouvelle collègue, Delphine, dans son service, en fait… Elle est médecin, comme lui. Chercheur, comme lui. Donc, ils ont certainement des échanges hyper passionnants auxquels moi, je ne comprendrais rien… Mais qu’est-ce que j’y peux ? Elle est brillante, elle est sublime, et le pire, c’est qu’elle est hyper sympa ! Je le sais, je l’ai rencontrée. Fabio m’en parlait depuis des semaines, j’ai commencé à m’inquiéter, et j’ai demandé à la voir. Il a tout de suite été ok – « tu vas l’adorer », il m’a dit… Il n’avait pas tort : on a pris un verre, et c’était très cool. Mais justement : imaginons qu’il y ait un truc entre eux…

Est-ce que le fait d’avoir été si cool, ce n’est pas encore pire ? Des questions comme ça, j’en ai plein : je me torture dans le vide, et je n’en peux plus. Est-ce que j’ai des éléments ? Aucun. C’est juste un truc que je sens. Ou que je pressens : si ça n’est pas le cas aujourd’hui, ça peut arriver demain. Fabio peut parfaitement tomber amoureux d’elle un jour ou l’autre et le plus terrible, c’est que je le comprendrai : elle fait partie de ces êtres qui sont au-dessus du lot, point. Et si ça doit arriver, qu’est-ce que je peux y faire ?

Je n’ai pas grand-chose, moi, en comparaison, pour le retenir : depuis notre rencontre, j’ai surtout pris des cernes, des kilos et des vergetures… Fabio me dit qu’il s’en fout, qu’il m’aime, qu’il me désire toujours autant – et je le vois, je sais qu’il est sincère ! Sauf que ça m’énerve, parce qu’il ne se rend pas compte que cette femme, qu’il a rencontrée il y a dix ans, n’existe plus. Entre-temps, il y a eu l’emménagement, le quotidien, deux enfants…

On est heureux. Vraiment, malgré tout ce que je vous écris, on vit bien, tous les quatre. Mais je ne peux pas m’empêcher de penser au temps où j’étais sa maîtresse, où on se voyait si peu, mais si intensément… On était fous l’un de l’autre. Il était marié à une espèce de sorcière, qui le rendait malheureux, il a fini par la quitter, et sur le papier, c’est génial, mais le chapitre d’après, c’est quoi ? Bientôt, ce sera moi la sorcière qui le rendra malheureux, et Delphine, ce sera la bouffée d’air ? Je crois que c’est impossible de vivre toute une vie sans se tromper. Ma seule question, c’est : est-ce que ce moment affreux est arrivé ? » Shana, 42 ans.

« Chère Shana,

Hmmmm… J’ai beau chercher, mais je n’arrive plus à mettre la main sur cette foutue boule de cristal trouvée dans un vide-grenier, il y a quelques années… C’est dommage, elle était très jolie. Mais elle disait un paquet de conneries. Parce qu’on a quand même un petit souci : l’avenir n’est pas écrit. Les êtres ne sont pas déterminés. Le destin n’est pas figé. Quelle que soit notre (folle) envie de vouloir tout contrôler, tout prévoir, et tout border, quand on perd pied…

Et, oui, là, vous avez un peu perdu pied : en fait, toutes vos suppositions / questions / cogitations à l’infini vont, quoiqu’il arrive, dans le même sens. Tout va venir, d’une manière ou d’une autre, vous conforter l’idée que, oui, bientôt, un jour ou l’autre, vous serez trahie. Au fond, c’est comme si vous avez décidé que Fabio allait vous tromper. Parce que, d’une manière ou d’une autre, il le devait -Delphine ou pas Delphine, d’ailleurs. Alors ok, elle coche toutes les cases : belle, brillante, et sympa, elle a tout pour lui plaire, et tout pour vous faire vaciller. Dans un monde où la rencontre obéirait à une logique mathématique et où l’amour pourrait se comprendre à coups d’équations, c’est vrai, ça se tient.

Mais vous savez, comme moi, que ce monde-là n’existe pas. Qu’il y a beaucoup de hasard, de mystère, et de folie douce dans la naissance du sentiment amoureux. Et que le propre de l’infidélité, c’est justement de ne pouvoir ni se calculer, ni s’anticiper, ni s’enfermer dans un cadre consciencieusement prédéfini : « c’est avec elle que ça se passera, c’est pour bientôt, et pour ces raisons-là, et bla bla bla ». Vous en savez quelque chose, non ? Vous avez été l’objet de la tromperie… Et théoriquement, oui, vous êtes aujourd’hui dans la position de celle qui pourrait être trompée. Sauf que j’ai écrit « pourrait ».

Parce que nous ne sommes pas des machines, programmées pour répéter certains schémas à l’infini. Parce qu’il n’y a pas de châtiment divin, qui viendrait vous faire subir ce qu’une autre a subi avant vous. Parce que non, rien ne dit qu’on doit se tromper quand on est ensemble sur toute une vie. Même avec des enfants au milieu. Même avec un quotidien qui nous pèse. Dégagez-vous ces croyances de la tête, Shana : elles tiennent chaud, mais empêchent de penser. De vivre l’instant et de ressentir vraiment. Oubliez le passé, pensez au présent. Laissez les autres couples de côté, regardez le vôtre.

Sortez Delphine de cette histoire : elle n’est ni le problème, ni la solution. Elle n’est pas ce bouton sur lequel vous pourriez appuyer pour faire exploser un piège dans lequel vous vous êtes enfermée toute seule comme une grande – cette idée, qui affleure entre vos lignes, selon laquelle la maternité empêcherait la légèreté. C’est faux. Une histoire à deux, c’est un chemin, avec des virages plus ou moins compliqués à prendre, des paysages plus ou moins sombres à observer. Poursuivez votre route avec Fabio, Shana, plutôt au lieu de vous asseoir sur un banc et le regarder passer.

Vous rendez-vous compte de la façon dont vous parlez de vous ? Vous vous jugez si durement… Mais pourquoi ? Qu’est-ce qui, au fond de vous, fait que vous ne l’entendez pas, Fabio, quand il vous dit qu’il vous aime et qu’il vous trouve belle ? D’où vous vient une image si négative de vous ? Pourquoi, devenue mère, n’auriez-vous plus droit d’être cette femme si désirable qu’il en deviendrait fou ? Ce que votre lettre interroge, Shana, c’est votre rapport à la maternité, et à la parentalité.

Pensez aux modèles que vous avez eus sous les yeux. Rappelez-vous ce que vous avez pu entendre, enfant, adolescente, sur les hommes, sur le couple, sur les enfants… Et s’il vous plaît, prenez mes yeux pour vous regarder : moi, je vois une femme qui mérite de se retrouver. »

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