Santé

Dans la tête d’un pervers narcissique : interview avec une psy spécialisée

Les pervers narcissiques peuvent se révéler particulièrement dangereux. À la fois séducteurs et marionnettistes, ils se nourrissent de la destruction de leurs victimes, avec des schémas bien rodés dont il est souvent difficile de se défaire.

S’il est possible de les repérer,  grâce à leur langage corporel ou leurs expressions faciales, sait-on vraiment ce qu’il se passe dans leur tête ? Sont-ils conscients de leur comportement ? Ressentent-ils parfois de la culpabilité ? Sont-ils capables d’aimer ? Réponses avec Sandra Barba, psychothérapeute et psychanalyste, et fondatrice de l’association Vivre femmes, qui vient en aide aux femmes victimes de violences physiques et psychologiques.    

ELLE. Tout d’abord, comment définiriez-vous un pervers narcissique ?  

Sandra Barba. On distingue 3 catégories psychologiques : la première concerne les névrosés. Dans celle-ci, on peut retrouver quelques troubles tels que les phobies ou les obsessions. Néanmoins, ce sont des personnes saines, qui s’incluent dans la société, et qui font attention à respecter l’autre.  

La seconde concerne la psychose. Il s’agit d’un trouble du comportement dans lequel on retrouve des hallucinations, des délires (c’est le cas des schizophrènes, par exemple). Si une personne rentre dans une pièce, ils ne la verront pas forcément, parce que dans leur principe de réalité, cette personne est peut-être une table, un mur, ou n’existe pas. Pour autant, ces personnes portent la responsabilité de leurs actes en connaissant les limites de l’autre. 

La troisième catégorie, qui déborde un peu sur les deux premières, c’est la perversion. Elle désigne des personnes déviantes, qui s’inscrivent dans la société, et qui ont pour caractéristique principale le fait que l’autre n’existe pas. Pour eux, voir l’autre, c’est déjà pouvoir en tirer quelque chose pour soi, en le considérant comme un objet, avec des stratégies de manipulation.  

Le psychiatre et psychanalyste Paul-Claude Racamier y a ajouté le terme « narcissique ». Cet adjectif désigne les personnes qui vont dominer de manière psychologique, en surestimant leurs propres capacités, tout en sous-estimant celles des autres. 

« Très souvent, les pervers narcissiques sont des enfants rois qui ont été placés au centre de la famille. »

ELLE. Le fait d’être un pervers narcissique est-il inné ou acquis ?  

S.B. Freud disait que les enfants sont des pervers polymorphes. À la base, nous avons tous en nous ces perversions. Ce qui fait la différence, c’est le cadre de vie, les limites qui sont données dans le système familial.  

Très souvent, les pervers narcissiques sont des enfants rois qui ont été placés au centre de la famille. La maman investit beaucoup sur l’enfant, trouve que c’est en quelque sorte le sauveur de la famille. Et en échange, elle lui autorise certaines déviances en repoussant les limites, et en ne laissant aucune place au papa. Même si, en chacun des enfants, il y a une part d’inné, l’acquis va structurer, ou non, le psychisme de l’enfant. Évidemment, ce sont des généralités, et non des vérités.   

ELLE. Si la perverse narcissique est une femme, dans une famille hétéroparentale, les rôles entre la mère et le père sont-ils inversés ? 

S.B. C’est un schéma que l’on étudie encore aujourd’hui, et l’on entend encore peu parler des femmes. Pour autant, je reçois de plus en plus d’hommes victimes de perverses narcissiques dans mon cabinet. Cela ne veut pas dire qu’il y en a plus, mais que la parole des hommes se libère.  

Les femmes prennent la place de la mère, en insérant des graines de toxicité en l’autre. Ce que j’observe, c’est que les hommes victimes de perverses narcissiques ont un égo complètement déconstruit, et sont au service de la femme, mais de façon beaucoup plus insidieuse. Comme un poison que l’on verserait chaque matin dans leur verre.  

ELLE. La perversion narcissique est-elle forcément associée à un mal-être intérieur ?  

S.B. Sur le plan psychologique pur, bien sûr qu’il y a un mal-être intérieur, une déviance dans la construction psychologique. En revanche, le pervers narcissique est incapable d’identifier ce mal-être, à partir du moment où il se construit en étant persuadé que tout est de la faute des autres. 

« Il a conscience que ses comportements débordent de la norme acceptée. »

ELLE. Le pervers narcissique est-il conscient de sa toxicité ? 

S.B. Non, mais il est bien conscient de ses fonctionnements, qui s’inscrivent dans sa propre réalité. Il a conscience que ses comportements débordent de la norme acceptée. Néanmoins, le pervers narcissique ne s’attribuera pas cette dénomination, parce qu’il se trouvera toujours légitime à fonctionner ainsi, dans ses codes à lui.

ELLE. Comment choisit-il ses victimes ? 

S.B. Ce n’est pas vraiment lui qui les choisit. Si un chef d’entreprise gère 50 collaborateurs, il peut tous les éclabousser. Sur ces 50 salariés, s’il y en a cinq qui réagissent, ils rentrent alors dans son jeu, et il en fait des victimes.

Au début, dans la séduction, le pervers narcissiques réussit à mettre en place quelque chose qui les met en valeur. Mais dans son fonctionnement à lui, tout a un prix, donc il finira par les punir. S’il voit qu’il a une prise avec une personne, il monopolise son attention sur cette victime, en déplaçant un premier pion avec une phrase assassine, par exemple. Selon la réaction de l’autre, il se repositionne dans la séduction en s’excusant. Et ainsi de suite. Cela passe quasi inaperçu, mais il a déjà installé quelque chose de toxique.

Petit à petit, les violences s’accentuent, s’accélèrent et s’amplifient, jusqu’à ce que la fin de la relation ne soit que douleur. La victime se raccroche au séducteur parfait des premiers mois, en se persuadant qu’il finira par redevenir comme avant. 

ELLE. Ses plans sont donc élaborés à l’avance, en fonction de la personne qu’il a devant lui ?  

S.B. Oui, la première période est une période d’observation. Il cerne comment fonctionne sa victime, parce qu’une fois qu’il a compris son fonctionnement, il projette à long terme. « Si je fais ça, elle va réagir comme ça, par conséquent, je pourrai faire ça. »  

« Les pervers narcissiques n’ont pas vraiment accès aux émotions. »

ELLE. Si le pervers narcissique est démasqué par sa victime, qu’est-ce que cela provoque en lui ? 

S.B. La première chose qu’il va faire, c’est retourner la situation. Mais attention, essayer de faire tomber un masque, en public qui plus est, peut être dangereux, selon le degré de violence. De plus, il ne se sentira pas concerné, puisqu’il ne se considère pas comme responsable.

Les pervers narcissiques n’ont pas vraiment accès aux émotions, telles que la joie ou la tristesse. Ils vont plutôt surjouer ces émotions-là, dans le seul but de flatter l’autre pour le ou la récupérer. Lorsqu’ils montrent un sentiment de culpabilité, c’est parce qu’ils craignent que la personne s’en aille. Le pervers narcissique collectionne, il est insupportable pour lui de perdre quelqu’un.   

ELLE. Le pervers narcissique peut-il changer ?  

S.B. Ils fonctionnent tous avec le cercle vicieux de la violence : un climat de tensions, une crise, un rachat, une culpabilisation, puis une lune de miel. Le schéma victime, sauveur, persécuteur est, lui aussi, typique de ces personnalités-là.

Ils modifient le comportement interne de leur proie, au point que celle-ci se perd. La personne que la victime était au début ne sera pas la même à la fin de la relation. En revanche, le pervers narcissique, lui, sera le même dans dix ans, avec les mêmes goûts, les mêmes habitudes et les mêmes rituels. Dans un couple, il utilisera les mêmes surnoms d’amour, et invitera sa nouvelle victime au même restaurant que la précédente. 

La différence entre le névrosé et le pervers, c’est que le premier peut évoluer en travaillant sur lui, alors que le second ne fera que des efforts, sur une courte durée, avant de redevenir lui-même.  

ELLE. Le pervers narcissique est-il capable d’aimer ?   

S.B. Il est capable de certains sentiments, exactement de la même façon qu’un enfant aime ses jouets. Il collectionne, apprécie ses jouets, a des poupées préférées, mais on ne peut pas parler du même amour que celui d’une personne névrosée. S’il se met à pleurer, ce sera dans le seul but de provoquer quelque chose chez l’autre, parce qu’il aura repéré que cette technique fonctionne.

ELLE. À quel moment décide-t-il enfin de libérer sa victime ? Quel est l’élément déclencheur ?

Ce n’est pas lui qui libère sa victime. Les pervers vont souvent trop loin. Cela peut toucher une limite chez l’autre, qui met alors en route un instinct de survie. Chez les femmes victimes de violences conjugales, la limite peut être les enfants. Tant que ça les touche, elles restent. Si cela touche leurs enfants, il peut y avoir un déclic. Se libérer, c’est partir, mais c’est aussi se libérer d’une emprise psychologique. 

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