Santé

C’est mon histoire : « J’ai été diagnostiquée autiste à 56 ans »

Enfance bancale                                                                      

« Cette demoiselle souffre d’immaturité affective, ça s’arrangera avec le temps. » C’est ce qu’explique le psychiatre à mes parents, inquiets de mes « bizarreries ». Adolescente, je sors de cette consultation humiliée et furieuse. Certaines de mes particularités ont toujours soucié mes parents, d’autres non. À 9 mois, je dis mes premiers mots, « Beau bébé », en montrant une boîte d’aliments pour nourrissons ; à 2 ans, je peux avoir des conversations. Je rencontre des difficultés à me mouvoir. Vers 1 an et demi, je me souviens d’avoir le sentiment, désespéré, que je ne parviendrai jamais à marcher – il me faudra attendre mes 2 ans, faute d’équilibre. À 3 ans, je reproduis sur un petit piano des mélodies que j’ai entendues. Mes parents ne se tracassent pas de mes colères auxquelles tous les enfants sont sujets, mais davantage que je les repousse quand ils veulent me câliner. La maternelle est pour moi un traumatisme. La cour de récréation me donne la sensation d’un champ de guerre. Je vois les enfants comme de petits monstres, des Gremlins qui s’agitent et crient tout le temps. Avec mes difficultés d’équilibre, m’aventurer parmi eux c’est courir le risque d’être bousculée, et donc de tomber. Je ne comprends pas leurs centres d’intérêt comme jouer au papa et à la maman. En classe, je déteste avoir de la peinture sur les mains, de la pâte à modeler sous les ongles. En primaire, j’apprends rapidement à lire. Les enseignants de ma petite école rurale apprécient en moi l’écolière sage. Au collège, pour m’intégrer et passer pour une fille cool, je m’habille de manière excentrique. Mes parents s’inquiètent de mes colères. Elles surviennent lorsque les difficultés s’accumulent. Les cours de sport sont compliqués, je ne supporte pas les bruits et les odeurs, j’ai du mal à comprendre les consignes dans l’urgence (« Tourne à droite, fais une roulade ») et j’ai honte de perdre l’équilibre tout le temps.

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Un bébé à l’étranger                                           

Au lycée, mes parents craignent que je sois schizophrène parce que je leur parle de mes amis imaginaires. C’est alors qu’ils m’emmènent chez ce psychiatre qui m’estime immature. Je tombe amoureuse d’un assistant d’éducation britannique. Petite, j’écoutais la BBC en lisant, sans comprendre mais avec la sensation d’être bercée par l’anglais. Un voyage en Grande-Bretagne à 12 ans confirme ma passion pour ce pays. Je prépare un BTS de secrétariat trilingue pour suivre mon prince charmant outre-Manche. Je me vois comme l’héroïne d’un roman et je jette des paillettes sur une histoire qui ne les vaut pas. Pour me consoler, une copine britannique propose de me présenter quelques concitoyens lors d’une soirée. Pari idiot : je vais séduire le premier Anglais qui entrera. Il deviendra mon premier mari. Je le suis en Grande-Bretagne où tout s’enchaîne. Je vis bien ma grossesse et l’arrivée de mon bébé que j’allaite. J’aime poser mon visage sur lui pour sentir l’odeur de ses cheveux et de sa peau, mais je ne lui prodigue pas de grands câlins ni beaucoup de bisous, pas plus que, plus tard, à mes autres enfants.

Errances amoureuses                                                            

Lorsque nous rentrons en France avec mon mari pour des raisons professionnelles, nous entamons une vie d’adultes conformiste. J’invite ses collègues à la maison, je me veux bonne épouse et je reste dans le rang au travail. Mais ce quotidien me demande tellement d’efforts que je perds pied. Pour retrouver une silhouette plus fine avant de retomber enceinte, je contrôle mon alimentation au point de ne presque plus rien manger. Je développe des Toc autour du ménage : tout doit être absolument propre et rangé dans la maison. Je comprends que je dérape quand je me surprends à réaligner les poils du tapis après le passage de quelqu’un. Je me mets facilement en colère. Mon mari devient violent. Enceinte de cinq mois, je suis hospitalisée pour des contractions et une perte de poids inquiétante. J’accepte de prendre des anxiolytiques, mais pas de voir un psychothérapeute. Une collègue en plein divorce m’aide à prendre conscience que je ne suis à ma place ni dans mon couple ni dans mon travail. Je quitte les deux. J’entame des études de littérature anglaise et américaine que je finance par des remplacements comme enseignante. Mais avec les changements de salles et la centaine d’élèves dont je ne reconnais pas les visages, je ne parviens pas à trouver mes repères. Je suis plus à l’aise avec les plus jeunes, moins formatés par les conventions sociales. Je deviens donc professeure des écoles, un métier stimulant qui me plaît. À un détail près : la cour de récréation, beaucoup trop bruyante. Par une jeune femme de la fac, je rencontre mon deuxième compagnon, aussi fantaisiste et spontané que mon premier mari était réservé et conformiste. Fille unique, je veux une grande famille, nous avons donc un enfant, mon troisième. Mais mon nouveau prince charmant se révèle instable, immature et infidèle. Nouvelle séparation. Nouvelle rencontre avec cette fois un homme très doux et compréhensif. Il se montre extrêmement respectueux de mes petites manies qu’il prend avec humour. Je m’apaise avec nos chats, la musique, des balancements latéraux, des huiles essentielles et le visionnage de séries. Je reste inapte au papotage et fada du rangement. Je deviens sophrologue afin de mettre en pratique pour les autres ce que j’applique pour moi-même (méditation, autohypnose, etc.). Faire un quatrième enfant va de soi tant la maternité reste pour moi le lien le plus fort. J’ai la chance d’avoir des enfants solides et aimants qui savent trouver une oreille attentive en moi. Avoir une mère peu câline, psychorigide et peu prompte à accueillir les copains à la maison a un peu gêné mes trois premiers enfants, mais pas le dernier, super content que je sois… comme lui.

Mon fils, ma bataille                                           

Ce benjamin, mon mari, sa famille et les enseignants le trouvent bizarre. Pas ma mère qui me reconnaît en lui : tétanisé par le brouhaha, il ne supporte pas d’être touché, ne peut avaler certains aliments, pleure si tout n’est pas parfait, ne reconnaît pas une élève de sa classe plusieurs semaines après la rentrée, etc. Au collège, il développe des Toc : de retour à la maison, il se douche et se change, comme s’il craignait une contamination. Lorsque je rencontre un garçon de sa classe diagnostiqué autiste Asperger, je constate des manières similaires de parler, de bouger et de réfléchir. Sa maman évoque ses problèmes de socialisation et ses troubles de la modulation sensorielle. Cela me renvoie à mon fils, mais aussi à moi. Je me renseigne sur l’autisme Asperger grâce à des livres et à des sites spécialisés. Un psychiatre en libéral pose le diagnostic de TSA (trouble du spectre de l’autisme), avec surefficience intellectuelle pour mon fils. Il faudra attendre trois ans pour obtenir confirmation par un centre public spécialisé, faute de place. De mon côté, je me heurte à des médecins qui n’ont en tête que les formes autistiques sévères ou les Asperger spectaculaires : « L’autisme, ce n’est pas ça ! » me disent-ils. Lorsque je reçois à mon tour un diagnostic de TSA par un spécialiste du sujet, je me sens en colère contre tous ceux qui ont voulu me « guérir ». J’ai aussi l’impression d’une condamnation : malgré tous mes efforts, jamais je ne parviendrai à la sérénité. J’ai écrit un livre, « Celle qui souriait trop pour être autiste », aux éditions Tchou, afin d’aider les neurotypiques à comprendre ce qu’est l’autisme et peut-être amener certains lecteurs à un diagnostic, même tardif. L’ignorance produit de la maltraitance. Si ce trouble était mieux connu, la vie des personnes autistes s’en trouverait adoucie, j’en suis convaincue.

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