Santé

Crise de la quarantaine : Enora, 42 ans, « Je ne m’occupe plus de mon fils, et j’en suis heureuse »

Enora a 42 ans quand elle prend une décision qui va changer sa vie : elle annonce un beau matin à son fils de 19 ans qu’il doit désormais gérer seul sa vie. Séparée du père de son fils, un an à peine après la naissance, Enora a en effet endossé toutes les responsabilités de la parentalité pendant 18 ans. Sa décision a provoqué de nombreux jugements de la part de ses proches.

Enora est une belle quadragénaire à la chevelure de feu : « Je ne prends soin de moi que depuis peu de temps. Il y a un an, quand j’ai annoncé à mon fils qu’il était temps qu’il s’occupe seul de lui-même, j’ai recommencé à aller chez le coiffeur régulièrement, à entrer dans les magasins pour m’acheter des vêtements, à prendre vraiment le temps de faire du shopping. Avant, ce n’étaient des plaisirs très exceptionnels. J’ai passé presque 20 ans à me consacrer entièrement à mon fils, je lui ai tout donné. Mais ces dernières années, j’ai fini par le trouver ingrat en même temps que je me couchais souvent épuisée. Et il n’était pas question que je compte sur son père. Depuis la séparation, celui-ci n’a accepté de voir son fils que pour des vacances quand il en avait envie. »

Dans son livre « La charge mentale des femmes… et des hommes » (éditions Larousse Poche), la psychiatre Aurélia Schneider évoque les difficultés de la séparation comme facteur aggravant de la surcharge mentale : « Chez la plupart des conjoints divorcés que j’ai pu suivre en consultation, la charge mentale est majorée du fait de l’organisation toujours acrobatique de la garde des enfants. L’exercice est d’autant plus complexe que la mauvaise volonté peut exister d’un côté comme de l’autre. S’ajoute à cela une éventuelle pathologie dans la relation avec l’ex-conjoint. Qu’entendons-nous par pathologie ? Moins un trouble mental qu’une forme de règlement de comptes, ouverte et sournoise, qui met tout le monde en porte-à-faux et dans l’embarras. »

Ancrée dans la routine

Pour Enora, les années ont passé vite : « Je n’ai pas vu le temps passer. Pour moi, les années se sont enchaînées à toute vitesse. Il y avait toujours quelque chose à faire, que ce soit des vêtements à acheter pour mon fils, des menus à faire pour la semaine, des devoirs à accompagner. Mon monde tournait autour de lui au point que j’ai toujours aménagé mes horaires de travail en fonction de ses temps scolaires et que, pendant des années, je n’ai eu aucune place pour avoir une vie sociale. »

Apprenez d’abord à vous féliciter d’avoir si bien travaillé

Dans son livre, la psychiatre Aurélia Schneider alerte sur le caractère anormal de la quantité de tâches à faire et l’importance de reconnaître les réussites : « Discerner la charge mentale, c’est déjà identifier le caractère anormal de la surcharge comportementale. Il y a une forme de survoltage à tout prévoir et à tout faire. Il faut sortir de l’idée habituelle que c’est banal. Non, tout ce que vous accomplissez au quotidien n’est pas une activité normale. Lorsque, dans une journée, vous avez mené à bien mille et une tâches, apprenez d’abord à vous féliciter d’avoir si bien travaillé. »

Je ne me suis pas laissée de place et il n’a pas appris à m’en laisser

Plusieurs fois, Enora craque : « J’ai eu des moments où je me mettais à crier sur mon fils, d’autres où j’ai carrément eu besoin de quitter la maison quelques jours (c’est ma mère qui venait gérer à ma place). J’ai souvent pleuré de solitude le soir avant de m’endormir. Je me disais que si c’était aussi dur à vivre, c’est que je m’y prenais mal ou que je ne me sacrifiais pas assez. Mon fils a grandi en voyant sa mère ne pas avoir de vie, je le réalise maintenant. C’est peut-être ma plus grande erreur. Je ne me suis pas laissée de place et il n’a pas appris à m’en laisser. »

Pour le docteur Aurélia Schneider, le perfectionnisme est un des éléments d’aggravation de la surcharge mentale : « La charge mentale, on l’a vu, se nourrit de perfectionniste et d’anticipation. Si des obstacles surviennent, le montage que vous croyiez parfaitement huilé se grippe, faute de temps et de souplesse. L’intolérance à l’imprévu est une composante du problème : elle renforce l’idée qu’il faut vraiment tout prévoir pour tout gérer parfaitement. Ce besoin de contrôle est un véritable cercle vicieux dont il faut sortir, sous peine d’épuisement. »

Confrontation avec son entourage

Quand Enora décide de dire à son fils qu’il est temps qu’il s’occupe de lui, elle n’anticipe pas les réactions de ses proches : « J’ai pris l’habitude d’être mon juge le plus dur. J’avais oublié le regard des autres. Quand j’ai annoncé à mon fils que sa vie allait changer, c’était une décision murie et j’avais, encore une fois, tout organisé pour que ça se passe au mieux. Je lui ai trouvé un appartement près de son école, je lui ai tout acheté, je lui ai alloué un budget. J’ai prévenu son père et ses grands-parents. Je ne l’ai pas laissé sans rien ! Mon fils a très mal réagi, il a analysé ça comme un manque d’amour de ma part. Ça lui a pris quelques mois pour s’y faire. Mais mes proches ne m’ont pas encore pardonné. Je suis la mauvaise mère, celle qui fait une crise de la quarantaine, qui se prend pour une gamine et ne pense qu’à s’amuser. Que j’ai donné presque 20 ans de ma vie à ne me soucier que du bien-être de quelqu’un ne compte pas. Certains semblent penser qu’à 40 ans de toute manière, ma vie est finie. Mais pour moi, ça ne fait que commencer. Je me suis mise à avoir des rendez-vous et à revoir des amies de jeunesse. Je ne veux pas finir toute seule et je savais aussi que si je ne changeais pas quelque chose c’est ce qui allait m’arriver. J’adore mon fils, mais il a sa vie à faire et autre chose à faire que de s’occuper de moi. Il fallait que je prenne, seule, la décision de reprendre ma vie, presque à zéro. »

Ce n’est pas une crise de la quarantaine. C’est une nouvelle naissance

La psychiatre Aurélia Schneider reconnaît que l’entourage peut exprimer des critiques difficiles à supporter : « Vous avez décidé de modifier des comportements de plus en plus visibles, et vous en constatez l’impact dans votre vie. Cette nouvelle étape est essentielle dans votre parcours « anticharge mentale » et antisurcharge. Cependant, vous allez être particulièrement exposé à ce que vous redoutez certainement : le jugement de votre entourage. » Pour elle, plusieurs étapes sont nécessaires pour vivre au mieux ces changements : déculpabiliser en exprimant ses émotions, en renforçant son estime de soi ou encore en s’affranchissant du jugement des autres autant que du sien.

Enora, elle, n’a jamais été aussi heureuse : « J’ai appris à être indulgente avec moi-même. Depuis que je ne m’occupe plus de mon fils au quotidien, je mange ce que je veux, je me couche quand je veux, j’organise mes journées en fonction de ce que j’ai envie de faire. Si j’oublie de faire une lessive, ce n’est pas un drame. Ce qui était le cas, il y a encore un an. Si le frigo est vide, je me commande à manger. Ce que je me refusais de faire il y a encore un an. Pour mes parents et quelques amies que j’avais, je traverse une crise, ce qui sous-entend que c’est provisoire. Mais pour moi, il n’est pas question que ça ne dure pas. Je veux que ma vie ressemble à ça. Je veux ressentir les choses et me sentir vivante à nouveau. Ce n’est pas une crise de la quarantaine. C’est une nouvelle naissance. »

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