Santé

C’est mon histoire : « Mon plus grand ratage amoureux m’a sauvée »

La peur d’être abandonnée

C’est ainsi, en amour, je ne sais pas rompre. Pas complètement. Trop peur que l’histoire s’efface et qu’il n’en reste rien, à part mon seul souvenir. Alors presque malgré moi, je ne fais jamais place nette, quitte à m’encombrer de fils à la patte qui m’empêchent d’avancer. Quitte aussi, comme ce fut le cas souvent, à assister aux amours naissantes de mes ex, voir leur couple se former sous mes yeux – du solide cette fois-ci –, et faire en sorte d’avoir les meilleurs rapports avec la nouvelle élue pour ne pas être balayée d’un revers de main. Pas une once de stratégie derrière ce comportement si ce n’est celle, presque inconsciente, de contrer mon « abandonnite » aiguë.

D’un coup, l’avenir n’avait plus d’importance puisque le passé avait compté

D’ailleurs, je me souviens encore de ma joie intérieure le jour où Paul, quitté depuis quinze ans et que je croisais régulièrement depuis, s’était approché de moi un soir où nous dînions chez des amis communs. Le regard intense et me prenant à part, il m’avait dit : « Marie, il faut que je t’avoue quelque chose. » Dans l’instant, j’avais imaginé le pire, un cancer, sa mère morte, un ressentiment atroce à mon endroit enfoui depuis des années… Non. Avec une émotion que je ne lui connaissais pas, il avait continué : « Tu sais, à chaque fois que l’on se croise, ça me fait quelque chose parce que notre histoire a été importante pour moi. »

Ce jour-là, j’avais compris pourquoi je ne lâchais pas : besoin de savoir que ces amours avaient été partagés, qu’ils avaient eu du sens. Et que, du coup, ils en donnaient aussi à ma vie. Je l’avais serré dans mes bras, lui répondant : « Merci, Paul, cela me touche tellement. » D’un coup, l’avenir n’avait plus d’importance puisque le passé avait compté. Voilà comment je restais invariablement arrimée à mes anciens « fiancés », et ce, jusqu’à Simon, rencontré à New York un 31 décembre, il y a cinq ans. Simon, l’homme grâce auquel j’ai appris à rompre pour de bon. À regarder vers l’avant plutôt que de garder la tête tournée vers l’arrière.

UNE RENCONTRE à New York

Je l’avais rencontré à une fête chez mon meilleur ami, Guy, qui m’avait invitée à passer quelques jours chez lui, à Manhattan, juste avant qu’il ne revienne habiter Paris. Au premier abord, Simon ne m’a pas plu. Sa gueule de beau gosse sûr de lui n’était pas mon truc, et encore moins son pantalon en cuir. Mais, l’alcool aidant, on s’est retrouvés à danser ensemble, à parler puis à rire. Et le jeu de séduction a commencé, d’un côté comme de l’autre. Assez pour qu’il me demande mon numéro de portable et me dise qu’il viendrait me voir à Paris. J’y croyais à moitié, mais j’étais à peine rentrée en France qu’il m’appelait. Après discussion, nous avions décidé que c’est moi qui viendrais le voir à New York. Je trouvais ça plus exotique.

On m’aurait dit qu’il était mort, je l’aurais cru

J’y suis arrivée un 11 janvier, la veille de mon anniversaire. J’avais préféré dormir chez une copine, mais il était convenu que je l’appelle en arrivant. Ce que j’ai fait le soir où j’ai atterri. Il n’a pas répondu. Le lendemain, rebelote. À chaque appel, je tombais directement sur son répondeur. J’ai laissé un message, un deuxième, et puis plus du tout. Alors, dans un espoir qui devenait insensé, j’ai marché jusqu’à chez lui, dans le quartier du Upper West Side. Peine perdue, derrière sa porte, un silence que seuls mes coups de sonnette venaient troubler. On m’aurait dit qu’il était mort, je l’aurais cru.

Nous nous étions appelés deux jours avant mon départ : il m’attendait, nous fêterions ensemble mon anniversaire. Je venais de traverser l’Atlantique pour voir un homme qui n’était pas au rendez-vous. Sur sa porte j’avais laissé un mot : « Simon, je viens de faire 6 000 kilomètres pour te voir, et tu n’es pas là ! Je suis aussi abasourdie que déçue. » J’ai marché comme un automate jusqu’à la Frick Collection, le musée préféré de ma mère. Elle était morte depuis six ans, mais, à ce moment-là, c’est dans ses bras que j’aurais aimé être. J’ai regardé ma montre. Il était 17 h 20. L’heure à laquelle j’étais née, trente-cinq ans auparavant. Moi qui crois aux signes, cela m’a réconfortée. Peut-être n’était-elle pas loin… Deux jours plus tard, qui m’ont semblé interminables, j’ai pris mon vol retour pour Paris, sûre de ne plus jamais entendre parler de Simon. J’avais tort.

UNE ROMANCE trop belle pour durer

Il m’a appelée le lendemain. Il s’est platement excusé, et, même si je le connaissais à peine, j’ai cru instantanément ce qu’il me disait. Il y avait de l’eau dans le gaz avec son associé depuis un moment, mais là, ce dernier s’était arrangé pour le dégager de la boîte qu’il avait créée en arrivant à New York, quinze ans plus tôt. Tout lui échappait et il était au plus mal, avait perdu la tête, ou presque. Parti sur un coup de tête loin de New York, il avait tout débranché, à deux doigts de faire un geste irrémédiable. Mais il s’était ressaisi, était rentré, avait trouvé mon mot. Nous étions mardi, et il a terminé en me disant : « Je prends un vol et j’arrive jeudi. »

Et l’histoire a commencé ainsi, ponctuée d’allers-retours. C’était joyeux, Central Park sous la neige, les virées en rollers auxquels il m’avait initiée, le temps passé au lit… Une bulle d’autant plus bienvenue que mon père venait d’être opéré d’un cancer dont il ne semblait pas guérir. Et puis la fin de sa vie s’est dessinée plus clairement et j’ai réduit la fréquence de mes vols. Avec Simon, nous nous appelions parfois, mais surtout nous nous écrivions, des mails comme de longues lettres, drôles au début mais de moins en moins au fur et à mesure que mon père rendait l’âme. Il est mort le 2 juin. Cette nuit-là, en rentrant de l’hôpital, j’ai juste écrit à Simon : « Je ne te parlerai plus de mon père qu’au passé. Il est parti mardi, dans la nuit, pour faire les derniers mètres de cet ultime voyage, seul. Fidèle à sa pudeur et à sa discrétion. »

Une colère s’est emparée de moi et m’a rendue à la vie

Ce à quoi il avait répondu d’un laconique « juste ma tendresse parce que de si loin les mots n’ont pas de sens » qui, je dois dire, m’avait déçue. Puis nous avons échangé sur mon prochain voyage à New York, sans certitude. De mon côté, mes envies s’étaient fait la malle sous le poids du chagrin, mais, finalement, il avait pris mes billets d’avion. Cela ne faisait qu’un mois et demi que je ne l’avais pas vu, mais j’avais l’impression que dix ans étaient passés. Je sentais la maladresse, les sentiments brouillés. Nous nous sommes installés sur sa terrasse, chacun dans un transat. Il était tard déjà, 23 heures à New York, 5 heures du matin pour moi. Alors que je m’attendais à lui parler de mon père, de ce que je venais de vivre, il a pris les devants : « J’ai quelque chose à te dire. Bien avant toi, j’étais avec une femme avec qui j’ai vécu une passion. Elle est revenue vers moi et notre relation a repris depuis un mois. »

J’ai ressenti à quel point rompre pour de vrai était libératoire

Une colère s’est emparée de moi et m’a rendue à la vie. « Quoi, je viens de perdre mon père et tu me laisses venir jusqu’ici pour me dire que tu es avec quelqu’un d’autre ! Tu n’aurais pas pu me le dire avant ! » Ma voix grondait sur la terrasse. Lui bredouillait : « Je ne savais pas comment te le dire. » Je me suis levée, folle de rage, et j’ai appelé Guy qui, par chance, était là pour quelques jours. L’échange qui a suivi est d’ailleurs devenu son anecdote préférée. Lui : « Comment ça va ? » avec un ton enjoué. Moi : « Ça ne va pas du tout, s’il te plaît, viens me chercher tout de suite » avec une voix d’outre-tombe. Voilà comment, pour la première fois de ma vie, je suis partie sans me retourner. Ni le jour même ni plus tard. Simon est sorti de ma vie, et j’ai ressenti à quel point rompre pour de vrai était libératoire. Je pouvais commencer autre chose, une page blanche s’offrait à moi. Parfois, je me demande si ce n’est pas grâce à cette rupture que j’ai pu rencontrer Arnaud un an plus tard, le père de mes fils.

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