Allô Giulia ? « Je suis enceinte mais j’hésite à avorter »
« Chère Giulia,
Je vous écris parce que j’entends des choses contradictoires de tous les côtés, et je ne sais plus quoi penser… Il y a dix jours, à force d’avoir mal au cœur, j’ai été faire un test de grossesse, et, oui, je suis bien enceinte d’Alex. J’adore Alex. On est très heureux tous les deux, et ça a toujours été dans nos projets d’avoir un enfant. Enfin, surtout dans les siens, mais avec lui, c’est vrai, l’idée commence à me séduire. Sauf que, pour moi, ça n’est pas le moment.
Nos deux premières années ont été plombées (pardon) par la maladie de sa mère, et par une situation de quasi-harcèlement que je subissais au bureau. Sa mère n’est plus là, et il commence tout juste à en faire le deuil. Moi, j’ai changé de job, et mon nouveau poste est super exaltant. Je voudrais, en fait, pouvoir profiter de cette paix, qu’on a tellement attendue… C’est chouette, un bébé, je le sais. C’est même magnifique. Mais c’est aussi des nuits compliquées, des journées ultra-chargées, des angoisses en plus… Et je ne suis pas sûre d’être prête à ça maintenant.
Pour lui, la paternité tombait à point nommé
J’en ai parlé à Alex, qui m’a clairement fait comprendre que, pour lui, au contraire, la paternité tombait à point nommé. Et que si je décidais d’avorter, il ne savait pas comment notre couple pourrait se remettre sur pied. Je tiens terriblement à lui. Mais je tiens aussi à ma vie, et à ma santé mentale. Ma meilleure pote me dit que je suis égoïste. Ma mère me dit que je suis égoïste. J’ai essayé de discuter avec elles, de leur faire partager mon point de vue, mais elles ne veulent rien entendre. J’avais réussi à tenir le cap, j’allais avorter, et je me suis retrouvée en consultation, avec une sage-femme que j’ai trouvée hyper dure avec moi…
Elle m’a rappelé mon âge – et c’est vrai qu’à partir de maintenant, chaque semaine compte, si je veux devenir mère. Elle a insisté sur la volonté du père – même s’il ne l’est pas encore. Elle m’a dit qu’un avortement qui se passe mal peut m’empêcher de retomber enceinte – c’est vrai, ça, d’ailleurs ? Et comme si ça ne suffisait pas, elle m’a fait écouter le cœur « du bébé » – c’est elle qui dit « bébé », pas moi. Depuis, ce bruit-là ne me quitte pas et je n’en dors quasiment plus…
Est-ce que je suis monstrueuse, de m’écouter, moi, et de lui faire ça, à lui ? Mais aussi à Alex, à mon couple, à ma mère, qui voudrait tellement être grand-mère… Je dois me décider. Mais tous les jours, je change d’avis. Et dix fois par jour. Alors quitte à demander son avis à tout le monde… Vous en pensez quoi, vous ? » – Ilana, 36 ans.
« Chère Ilana,
Je pense… Qu’il n’y a que vous qui savez. Que nos mères se sont battues pour qu’on ait le choix. Que la loi le permet. Que vous avez le temps de vous décider (seize semaines depuis le premier jour de vos dernières règles), et qu’au bout du bout de cette réflexion, votre décision sera la bonne. Parce qu’elle sera la vôtre. Mais ça, visiblement, tout le monde, même en 2023, ne l’a pas encore compris. Ce que vous me dites de votre sage-femme me désole, mais ne me surprend pas : dans les textes, en France, on avorte librement.
Mon corps, mon choix
En pratique, c’est encore très, très compliqué pour beaucoup d’entre nous. Ce cœur qui bat n’est un bébé qu’à partir du moment où vous avez décidé de l’investir comme tel. Parce que vous êtes prête à l’accueillir, et à devenir mère. Ça, c’est la seule, vraie, bonne raison pour qu’un nouvel habitant arrive sur cette planète : il y poussera bien parce qu’on a vraiment voulu de lui. Vous poser la question comme vous le faites, avoir le courage, malgré toutes les pressions de l’entourage, toutes les injonctions sociales à la maternité, de vous dire que, non, pour vous, ça n’est pas le bon moment, vous garantit une chose : vous avez toutes les bases pour devenir une bonne mère. Parce que vous pensez à lui, autant qu’à vous, et les mères les plus sacrificielles ne sont pas les meilleures, loin s’en faut – elle finissent toujours par vous présenter l’addition…
Et puis pardon, mais faire un enfant peut être aussi égoïste que de ne pas le faire : on peut en faire un pour se distraire de l’ennui, pour rafistoler son couple, pour se donner un rôle social, pour avoir un doudou vivant, etc… Et peut-être, comme Alex, en faire un pour combler un manque ? Ce (tout) début de grossesse, c’est surtout l’occasion, pour vous deux, de faire le point sur vos désirs. À tous les deux. Partagés, et synchrones. Vous parvenez, doucement, à faire le chemin jusqu’à lui, et à son désir de paternité, il peut, lui, vous laisser le temps de faire ce chemin jusqu’au bout – et si j’étais garce, j’ajouterais qu’on a mieux, encore, que le « mon corps mon choix », comme slogan féministe sur l’IVG : « no uterus, no opinion », ça vous parle ?
Je suis désolée pour Alex, mais dans la mesure où c’est vous qui le porteriez, cet enfant, vous qui devriez arrêter de travailler quatre mois, vous qui, vraisemblablement, vous taperiez l’essentiel de sa petite enfance, oui, vous avez une voix prépondérante. S’il ne le supporte pas, si, vraiment, cette IVG le conduit à vous quitter, alors, Ilana, c’est que vous étiez parvenus, l’un et l’autre, à la fin de votre chemin commun. Mais de vous à moi, je n’y crois pas une seconde. Cet Alex que vous aimez tant doit être en mesure de vous aimer au moins autant en retour pour vous donner du temps…
Alors, Ilana, de grâce, avec toutes les difficultés que cela suppose, gardez le cap. Fermez vos oreilles à toutes ces bêtises qui essaient de s’y infiltrer, et qui, vieilles comme le monde, n’ont d’autre but que de vous assigner à résidence en vous contraignant à la maternité, comme l’existence d’une femme ne prenait de valeur que quand elle devenait mère… Ilana, si vous le souhaitez, vous le serez. Que vous avortiez ou pas – non, jamais, jamais, jamais une IVG n’a empêché qui que ce soit de retomber enceinte, à part dans les délires de ceux qui veulent dénier aux femmes le droit de choisir. Et à votre âge, si, si, si, vous avez encore le temps. Je vous embrasse – et bravo ! »
