Santé

Le sextoy est-il de droite ?

Difficile de rater les pubs dans le métro parisien. Pour 249 euros, le géant de l’érotisme Marc Dorcel propose un calendrier de l’Avent sexy : 24 cases à ouvrir chaque jour de décembre. Au menu des festivités : des accessoires « coquins » et pas moins de huit sextoys dont le fameux Womanizer. Un aspirateur à clitoris pour concurrencer les chocolats… Et pourquoi pas un rabbit sous le sapin à côté du nouveau smartphone et du dernier Goncourt ?              

Banalisés comme jamais auparavant, les sextoys sont devenus des produits de grande consommation comme les autres, et figurent parmi les best-sellers d’une industrie du plaisir à la croissance exponentielle. Pour preuve, les résultats fulgurants du secteur : selon le rapport 2021 de l’institut The Insight Partners, le marché mondial des sextoys devrait peser plus de 52 milliards de dollars d’ici à 2028 ! Et les futures possibilités techniques semblent infinies : intelligence artificielle au service de jouets connectés qui étudieront au plus près votre plaisir, possibilité de créer un avatar sexuel dans le métavers et de jouir en réalité augmentée, développement des robots sexuels, etc. À ce rythme, certaines start-up de la sextech (secteurs des produits connectés, sextoys, plateformes numériques) devraient rapidement devenir des licornes valorisées à un milliard de dollars. Une valeur qu’atteint déjà le géant du plaisir, le Lovehoney             Group, résultat de la fusion en 2021 du site de e-commerce anglais Lovehoney et de l’allemand Wow Tech Group qui possède la marque Womanizer et les accessoires dérivés de la saga « Fifty Shades of Grey ». « Les années 2020 sont à la sextech ce que les années 1990 étaient à Internet. Donc, si vous n’êtes pas dans cette industrie, vous êtes à côté de la plaque », fanfaronnait même le patron d’un site de e-commerce pour adultes lors d’une conférence de la Tech. Sex is money !

Un nouvel épanouissement sexuel                

Il faut dire que ce juteux business surfe sur une révolution sociale majeure portée par des mouvements tels que #MeToo et le renouveau du féminisme sexpositif. Depuis le début des années 2010, l’heure est à la révolution de l’intime et les femmes revendiquent un nouvel épanouissement sexuel moins centré sur la pénétration. Masturbation et réhabilitation du clitoris sont portées par une large sphère de comptes Instagram, de publications et de slogans féministes avec pour conséquence un incroyable boom de la vente de sextoys, notamment des fameux modèles qui stimulent le clitoris par effet d’aspiration. We-Vibe, Puissante, Lelo, Womanizer… les marques foisonnent et proposent toujours plus de fonctionnalités : là quatorze vitesses d’aspiration, ici une version mains libres, là encore un modèle combiné qui permet la stimulation du poing G. Bref, des jouets de plus en plus sophistiqués, et donc coûteux : comptez 2 290 euros pour le sextoy Yva de Lelo ! Mais à qui profite réellement cette quête de l’orgasme ?           

Lire aussi >>  La chronique sextoy : J’ai testé… le Coco, le sextoy qui célèbre le bien-être sexuel

« Une chose est sûre, l’injonction d’avoir une sexualité, et la pathologisation de son absence, poussent à la consommation et nourrissent un marché à la croissance exponentielle », dénonce Tal Madesta dans son livre « Désirer à tout prix » (éd. Binge). Ainsi, cette lutte sociale et politique serait dévoyée par des industriels n’hésitant pas à recourir au pink washing (l’utilisation d’arguments féministes pour vendre) et à transformer les militantes d’Instagram en influenceuses pour sextoys. Un constat déjà posé par Elvire Duvelle-Charles (à la tête de @clitrevolution) dans son livre « Féminisme et réseaux sociaux » (éd. Hors d’atteinte) : « Il n’aura pas fallu longtemps aux marques pour sauter sur l’occasion. […] Pour faire du web-marketing, elles n’ont guère d’autre solution que de se tourner vers les influenceuses disposées à parler de sexualité sans tabou. Nous sommes les poules aux œufs d’or de ces marques prêtes à tout pour décrocher des partenaires et toucher le public cible idéal : féminin, sensible aux questions liées à la sexualité et au plaisir. De la révolution du clitoris au Womanizer premium, il n’y a qu’un pas. » Les posts sponsorisés ou codes promo pour tel ou tel sextoy sont désormais courants sur de nombreux comptes. Et suscitent parfois le malaise. Pour Léa, à la tête du compte @mercibeaucul, « il y a en effet un questionnement aujourd’hui sur la façon dont le capitalisme s’est introduit dans le milieu militant féministe et sexpositif. Mais il faut bien qu’on trouve des sources de rémunération pour tout le contenu gratuit que l’on produit. C’est une activité à plein temps ! »

Une sexualité consciente                

D’autres, comme Julia Pietri, du compte @gangduclito, se méfient de ce genre d’opérations commerciales : « La folie des sextoys alimente le mythe qu’il est difficile de faire jouir une femme et qu’elle a besoin d’une machine compliquée pour y parvenir. Or, l’épanouissement, c’est surtout se connecter à son corps, oser se pénétrer, ne pas avoir peur de se toucher. Les orgasmes avec un sextoy, c’est assez mécanique, rapide, parfois un peu violent. Cela peut créer une forme de dépendance, ça uniformise la sexualité : tout le monde a le même orgasme avec le même vibro. » De son côté, Tal Madesta fustige « ces nouveaux marchés qui envisagent le corps comme un instrument à optimiser, améliorer, affiner, réparer, guérir », et qui associent « bonne sexualité » à une consommation d’accessoires et de gadgets.             

Alors, faut-il jeter nos sextoys ? « Je ne suis pas du tout antisextoy, mais je suis contre ce business qui nous refourgue des produits souvent en plastique dégueulasse », précise Julia Pietri. Léa, de @mercibeaucul, rappelle pour sa part que « le sextoy est un véritable outil d’émancipation sexuelle pour celles qui ne sont pas à l’aise avec l’idée de se toucher ou de se pénétrer », mais nuance : « Il ne s’agit pas de consommer sans réfléchir et d’être dans une course à l’orgasme qui ne rime pas avec épanouissement. Je milite pour une sexualité consciente : il s’agit de rechercher le modèle de sextoy qui vous convient vraiment, d’en faire un usage raisonné et de ne pas acheter un jouet juste parce qu’une influenceuse en fait la promotion… » Et de conclure : « Pour ma part, le sextoy en verre, c’est ce que je préfère. C’est écolo, économique, durable et sans batterie. Son utilisation est plus douce, plus active, plus lente aussi. Je suis pour une sobriété du sextoy. » Un bon compromis.

Continuer la lecture

close

Recevez toute la presse marocaine.

Inscrivez-vous pour recevoir les dernières actualités dans votre boîte de réception.

Conformément à la loi 09-08 promulguée par le Dahir 1-09-15 du 18 février 2009 relative à la protection des personnes physiques à l'égard du traitement des données à caractère personnel, vous disposez d'un droit d'accès, de rectification, et d'opposition des données relatives aux informations vous concernant.

Afficher plus
Bouton retour en haut de la page