Santé

Quand l’amitié très forte entre deux garçons provoque les moqueries… Comment parler de « bromance » à nos enfants ?

C’est un domaine inconnu, encore inexploré. La « bromance », cette amitié très forte entre deux garçons, jeunes ou adultes, a été laissé de côté par la psychologie, par les romans et les films. Pourtant cette relation fusionnelle, sans caractère sexuel, mais avec un niveau émotionnel élevé et des démonstrations d’intimité fortes, remonte à la nuit du temps. Déjà dans la Bible, on nous parle de David et Jonathan (rien à voir avec le duo de variété kitsch et « brushingé » des années 80) et de leurs chastes câlins. Plus proches de nous, Chris Hemsworth et Tom Hiddleston, Brad Pitt et George Clooney ou Barack Obama et Joe Biden (!) ont été soupçonnés de vivre une vraie « bromance » (contraction de « brothers » et de « romance »).

Un film émouvant, qui fait du bien

Heureusement, un film formidable, Grand Prix du Festival de Cannes en 2022, actuellement sur les écrans, aborde de front ce sujet dédaigné. « Close », réalisé par le jeune prodige belge Lukas Dhont, déjà auteur du magnifique « Girl », raconte l’amitié fusionnelle qui unit Rémi et Léo, âgés de 13 ans. Les deux garçons passent la plus grande partie de leur temps ensemble, chacun dormant fréquemment chez l’autre. Mais quand les deux ados entrent au collège, leur relation se dégrade. Léo commence à être un peu gêné par le regard moqueur que portent les autres sur sa relation avec Rémi. Il se détache de lui, s’inscrit dans un club de hockey. Une mise à distance vécue de façon très douloureuse par Rémi qui se sent abandonné. Si le film bascule dans la dernière partie dans le mélodrame, il soulève des questions auxquelles de nombreux parents peuvent être confrontés. Nous avons interrogé la psychologue Stéphanie Couturier, autrice de « Mon enfant hérisson » (Marabout, 2021), consacré aux enfants hypersensibles. Interview.

ELLE. – Dans le film « Close », on voit un ado se détourner de son copain, avec qui il a une relation très forte, et lui causer de grandes souffrances. Cela vous paraît-il crédible ?
Stéphanie Couturier. – Oui, tout à fait. Dans des amitiés très fortes comme cela, fusionnelles, l’un des deux est souvent plus ouvert, plus tourné vers l’extérieur que son copain. Quand il s’intéresse à de nouvelles amitiés, de nouvelles activités – parfois sous la pression des parents -, cela peut être vécu comme une trahison par l’autre, presque une annihilation de sa personne. Ce dernier se dit : « Si l’autre veut aller voir ailleurs, je n’existe plus pour lui ». Et du coup il a l’impression qu’il n’existe plus pour lui-même. Comme dans le film, la séparation va souvent avoir lieu à l’entrée du collège. C’est un moment où les adolescents commencent à sortir de la cellule familiale et intègrent une nouvelle famille, celle du groupe d’amis. Dans cette situation, on forme une bande, on s’habille tous pareils, on aime les mêmes choses et on ne veut surtout pas avoir une relation qui paraisse « étrange » aux autres.

Comment définiriez-vous la bromance ? Est-ce une sorte d’homosexualité inconsciente ?
Il peut y avoir une dimension sexuelle inavouée. Mais c’est aussi très souvent un rapport de famille choisi, comme si l’on avait trouvé un double, quelqu’un qui nous comprend parfaitement, avec qui on n’a pas besoin de faire semblant. C’est assez formidable de vivre une telle expérience. Mais on comprend aussi que, quand le « couple » se sépare, ce soit vécu comme un énorme chagrin d’amour par l’un des deux. Généralement par celui qui est le plus fragile, qui est le moins tourné vers l’extérieur et à qui cette relation se suffisait à elle-même.

Comment les parents doivent-ils parler à des garçons qui ont une bromance ? Et comment réconforter son enfant s’il est délaissé par son copain ?
Il faut déjà que les parents disent aux enfants que c’est une chance de vivre une telle relation d’amitié, sincère, profonde, très forte, où l’on se connaît par cœur. Et quand une séparation a lieu entre les deux amis, les parents doivent accompagner l’enfant qui souffre. Positiver les choses en lui rappelant que cette amitié n’est pas finie sous prétexte que son ami se tourne vers d’autres centres d’intérêt. Il faut l’encourager aussi à s’ouvrir lui-même à d’autres amitiés, d’autres intérêts. En tout cas, prendre sa douleur au sérieux est essentiel : à cet âge, on assiste à un bouleversement hormonal qui décuple les émotions et qui transforme la moindre difficulté en drame.

La bromance vous paraît-elle mieux acceptée aujourd’hui ?
Je ne sais pas. Pour les filles, cette situation est plus facile. Le fait d’être meilleure amie, d’être tout le temps ensemble, de dormir ensemble, est socialement accepté. Pour les garçons, c’est plus compliqué. Dès que deux garçons sont très proches, il y a toujours cette idée d’homosexualité latente qui va être source de rejet ou de moqueries dans leur entourage. Aujourd’hui, les jeunes garçons assument davantage ce type de relations et s’affichent plus volontiers avec leur copain. Mais cela reste difficile à gérer.

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