Rupture, reconquête de son ex… Elle écrit des lettres pour les autres et nous raconte
À l’ère du numérique, la correspondance épistolaire a encore de beaux jours devant elle. Léa Faytre, 33 ans, est écrivaine publique depuis 2012. Lettre d’anniversaire de rencontre, quitter un pervers narcissique, un homme violent, un homme marié… sur son site Internet Parlerdamour.fr, elle propose des modèles de lettres d’amour, de rupture ou de reconquête amoureuse, dans des contextes divers et variés, parfois délicats, toxiques voire problématiques. Il est aussi possible de faire appel à ses services pour la rédaction de missives sur-mesure.
Étonnamment, la plupart de ses clients manient la plume à la perfection. Mais cette amoureuse des mots, fan inconditionnelle des « Liaisons dangereuses » de Choderlos de Laclos, passionnée des lettres depuis sa plus tendre enfance, fait des miracles et change parfois leur vie à tout jamais.
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ELLE. – Pourquoi les personnes font-elles appel à vos services, plutôt qu’écrire elles-mêmes leurs lettres ?
L.F. – La plupart des personnes qui me contactent n’ont pas confiance en elles, et ont besoin de réassurance. D’autres veulent simplement que je sublime ce qu’elles ont écrit, et que j’apporte un regard extérieur, avec un peu de recul. Quand on écrit une lettre, on a tendance à surtout penser à soi et à ses propres émotions. De mon côté, je pense aussi à la manière dont elle sera réceptionnée par son destinataire. Pour les reconquêtes amoureuses, certaines personnes cherchent un accompagnement, une touche coaching, car je sais quoi apporter dans la lettre pour reconquérir quelqu’un.
« Au bout d’un moment, j’ai l’impression de devenir cette personne, de ne plus être moi-même. »
ELLE. – Comment parvenez-vous à vous glisser dans la peau des autres, sans même les connaître ?
L.F. – C’est de l’empathie extrême, je ressens profondément ce que les personnes vivent. Dans un premier temps, je demande aux personnes de m’expliquer par écrit leur histoire et les sentiments qu’elles souhaitent véhiculer, ça me permet de m’imprégner de la situation. Au bout d’un moment, j’ai l’impression de devenir cette personne, de ne plus être moi-même. C’est comme une transe, je ne peux pas mettre de mots dessus.
ELLE. – Quels sont les avantages d’une lettre, par rapport au SMS ou un échange de vive voix, pour déclarer sa flamme, reconquérir son ex, ou rompre avec son partenaire ?
L.F – La grosse différence, c’est la démarche. Prendre son téléphone et pianoter sur son clavier, on le fait tous les jours. À l’inverse, se poser à son bureau ou sur son lit, prendre une feuille et un stylo, s’octroyer du temps pour penser à l’autre, je trouve ça hyper puissant. Quand mon conjoint m’écrit une lettre, je ne sais jamais où il l’a écrite, quand il l’a écrite, et c’est là toute la magie. Et bien sûr l’objet qui, à mes yeux de grande romantique, est magnifique.
ELLE. – Quels sont vos conseils pour parvenir à reconquérir son ex par écrit ?
L.F. – Ces lettres sont assez schématiques. Il faut commencer par dire que l’on comprend la décision de l’autre et qu’on l’accepte. Puis reconnaître ses torts, admettre ses erreurs en les énumérant en détails, de manière factuelle. Ensuite, il faut exprimer sa gratitude, en disant que quoi qu’il arrive, on reconnaît toutes les bonnes choses que l’autre nous a apportées. Par exemple : « Je suis une meilleure personne à tes côtés », « J’ai compris telles choses de l’amour à tes côtés. » Enfin, proposer des solutions concrètes pour améliorer ce qui n’allait pas, et ne surtout pas faire de promesses qui ne peuvent pas être tenues.
« Celles que je prends le plus plaisir à écrire, ce sont les lettres pour récupérer son ex, mais plus d’un an après la séparation. »
ELLE. – Pour une rupture, quelles sont les clés d’une lettre réussie ?
L.F. – Tout dépend du motif. Dans une lettre de rupture simple, il faut être hyper empathique, donner des explications très claires et rationnelles pour être sûr que l’autre puisse faire son deuil en ayant des raisons concrètes. Éviter les reproches, privilégier le « je » plutôt que le « tu ». Et évidemment, bannir toutes les phrases clichées du style « Ce n’est pas toi, c’est moi » ; « Je ne suis pas prêt à m’engager. »
ELLE. – Entre les lettres d’amour, de rupture ou de reconquête amoureuse… Quelles sont celles que vous préférez écrire ?
L.F. – Celles que je prends le plus plaisir à écrire, ce sont les lettres pour récupérer son ex, mais plus d’un an après la séparation. Il y a énormément d’émotion qui s’en dégage, parce qu’on sent que le temps est passé, et qu’il y a une sorte d’évidence. C’est extrêmement fort.
ELLE. – Chacun a son propre style, sa plume bien à soi. Vous est-il déjà arrivé d’être démasquée par un destinataire ?
L.F. – Avec des lettres sur-mesure, jamais. J’essaie de m’adapter au style de mes clients, tout en gardant ma plume. Ensuite, je pense que certaines personnes adaptent la lettre avec leurs mots. En revanche, il est déjà arrivé qu’on copie-colle un modèle gratuit de mon site, et que je lise en commentaire : « Je me suis fait quitter avec cette lettre ! » (rires).
ELLE. – Quelle est la demande la plus saugrenue à laquelle vous avez dû répondre ?
L.F. – Une femme m’a demandé d’écrire un « contrat d’esclavage », pour stipuler tout ce que son partenaire soumis devrait faire pour elle. C’était le choc total ! Je me suis renseignée sur le milieu BDSM, et je me suis éclatée à écrire cette lettre.
Dans un autre contexte, une femme avait placé un mouchard dans sa chambre conjugale parce qu’elle était persuadée que son mari la trompait, ce qui s’est avéré. Elle m’avait envoyé certains des enregistrements audios pour que j’écrive la lettre de rupture, qu’elle déposerait sur leur lit, avant de partir avec ses valises et ne jamais revenir…
ELLE. – Quelle est la situation qui vous a le plus touchée ?
L.F. – Un homme qui était parti en service militaire dans les années 1970. À son retour, son épouse n’était plus là. À l’époque, on n’avait pas les mêmes moyens qu’aujourd’hui pour se retrouver. Quand il m’a contactée, il venait de trouver le profil Facebook de cette femme, et m’a demandé de lui écrire une longue lettre d’au revoir. Il lui disait aussi qu’il ne comprenait pas ce qu’il s’était passé. Elle lui a finalement répondu : cet homme a appris qu’il était papa, et que son ex l’avait quitté quand elle était enceinte, persuadée qu’il n’accepterait pas l’enfant. Depuis, il a renoué contact avec son fils. Un jour de 1er janvier, il m’a écrit pour me dire que j’avais changé sa vie. Cette histoire est incroyable !
« Pour les lettres, ChatGPT ne fonctionne pas, ce n’est pas authentique. »
ELLE. – Comment faites-vous pour gérer vos émotions, face à cette pluie d’histoires d’amour avortées ?
L.F. – Je n’échange jamais à l’oral avec clients : ça me permet d’éviter qu’ils me rappellent comme si j’étais leur psychologue. Étant très empathique, j’aurais du mal à poser des limites. L’écrit me permet de prendre de la distance. Et puis, une fois que j’ai terminé la lettre, je m’accorde une vraie pause en faisant complètement autre chose. Je suis aussi suivie par un psy, pour décharger mes émotions, quelles qu’elles soient.
ELLE. – L’intelligence artificielle est en plein essor. Est-ce que ChatGPT vous fait peur ?
L.F. – J’ai eu très peur mais ça n’est plus le cas : mon activité ne cesse de s’intensifier depuis cinq ans, malgré le succès de ChatGPT. Moi-même, je l’utilise au quotidien pour la rédaction d’articles. Mais pour les lettres, ça ne fonctionne pas, ce n’est pas authentique, et je pense que les gens qui l’ont essayé le ressentent aussi. Quand on veut écrire une lettre personnelle, on n’a pas forcément envie de passer par un robot !
