Santé

Alice et les infidèles : « J’ai révélé mon identité à un mec de Gleeden »

Ouf, mon mari est parti avec les enfants chez ses parents. J’ai une semaine solo à Paris. Sept jours de répit, six nuits de liberté totale. Alors que je quitte la gare Montparnasse d’un pas guilleret, délestée des trois membres de ma famille, les scénarios se bousculent dans ma tête. Ce soir, par exemple, je proposerais bien à Jacinthe d’aller boire un verre dans son quartier, histoire de faire le point sur Sayed ( lire l’épisode précédent).

Elle m’a promis de lui demander ce qu’il foutait sur Gleeden. En fonction, on pourrait ensuite se motiver pour aller voir «  Barbie » au cinéma. À moins que l’on penche pour le combo resto plus bar branché et enchaîner sur une soirée électro… Ça fait un an que je ne suis pas allée en boîte ! Mais alors, j’aurai bien du mal à sortir du lit demain pour aller courir comme je me l’étais promis… Ah ! Trop d’options, trop de choix. Que la vie est belle et excitante pour les mères parisiennes livrées à elles-mêmes !

Un début de soirée plutôt calme

Jacinthe m’offre de passer boire l’apéro chez elle. Je gratifie son SMS d’un pouce levé et confie le reste de mon après-midi aux bons soins d’Aurore, mon esthéticienne chez CelluHit. À 19h30 pétantes, je sonne à l’interphone de mon amie, rue Montorgueil, le maillot et les jambes dûment épilés, munie d’une bouteille de pétillant naturel.

« Je te préviens, je suis claquée » me fait Jacinthe en ouvrant la porte. Je louche sur son débardeur informe et son vieux short Adidas. OK, j’ai capté, je peux oublier la bamboche. Je lui refourgue ma bouteille en lui précisant que le caviste (imbuvable au demeurant) m’a conseillé de la mettre au frais avant de m’affaler sur son canapé. Depuis sa kitchenette, Jacinthe me demande si je n’ai rien contre le Ricard. « Avec des glaçons », je précise d’un ton las. 

Je brûle de savoir ce que Sayed lui a dit à propos de moi 

Ma pote ramène deux verres remplis à ras bord ainsi qu’une assiette de blinis au tarama. Elle s’assied en tailleur dans le fauteuil face à moi. « On se les gèle, non ? » dit-elle en ramenant un plaid sur son buste. Je tempère que je n’ai pas particulièrement froid. Au contraire. Je brûle de savoir ce que Sayed lui a dit à propos de moi.  « Toi, t’as fait des folies de ton corps ! » je l’entreprends en goûtant mon Ricard. Sa race, il est chargé. Jacinthe émet un grognement en plantant un crayon dans son épaisse tignasse blonde. Non, si elle est si fatiguée c’est qu’elle était d’astreinte ce week-end. Elle est la seule de son équipe à travailler. « Les mecs m’imposent leurs congés sous prétexte qu’ils ont des kids et c’est la célib de service qui se coltine la merde », enrage-t-elle.

Révélation mystérieuse 

Je reviens à la charge en lui disant qu’elle a besoin qu’on s’occupe d’elle. Son bel influenceur Instagram pourrait venir la câliner un peu ? Jacinthe m’assène la mâchoire serrée : « Il est en Grèce sur la croisière Schweppes. » Je sens que je vais ramer pour lui arracher les infos. Je mets les pieds dans le plat en attrapant un blini : « T’en sais pas plus ? » Ma pote me fixe comme si elle sortait d’une opération du cerveau. Je lui demande frontalement : « T’as demandé à Sayed pourquoi il me chinait sur Gleeden ? » 

Jacinthe lâche un petit rire méchant : « Il ne voit même pas ce que c’est. » Je manque de recracher mon blini. Sayed nie m’avoir connue sur Glee ? Mon amie confirme : « Meuf. Il est avec Chiara Ferragni à Mykonos. Tu crois vraiment qu’il va s’emmerder sur ton site de merde !? » Avant d’ajouter, amère : « De toute manière, il ne lit même plus mes DM. »

Elle se lève pour allumer le radiateur électrique. De mon côté, j’avale une gorgée de Ricard pour faire passer le blini. Je suis totalement perdue. Si mon amant virtuel n’est pas cette star des réseaux sociaux, qui est-il alors ? Qui se cache derrière le pseudo Rabbit_Hole ? Qui est celui avec qui je converse depuis six mois ? Qui m’écrit les plus beaux sextos ? J’ai l’impression d’être dans un mauvais remake de « Cyrano ».

Changement de plan

Dehors, la pluie fouette les vitres. Ça fait un bruit infernal. Je propose à ma pote de s’habiller pour aller se faire une toile aux Halles. C’est trop tard pour « Barbie » mais il y a sûrement un autre film sympa à voir. Jacinthe secoue la tête en faisant défiler les dernières stories helléniques de Sayed. « Vas-y toi. J’ai pas le moral » lâche-t-elle tristement.

Je squatte encore un peu son canapé pour me laisser le temps de fomenter un plan B. Discrètement, je relance Nathan, le dernier mec en lice sur ma messagerie Gleeden. Je crois me souvenir qu’il habite rive droite. Je lui demande s’il serait partant pour un verre. Cinq minutes plus tard, le trentenaire aux yeux noisette me répond avec enthousiasme : « Carrément chaud ! Je suis solo en plus cette semaine !! » Alléluia, j’ai enfin trouvé quelqu’un de raccord avec moi.

De tous les connards que j’ai rencontrés sur Gleeden, il a vraiment la palme

Je commande un Uber avec l’adresse d’un bar rue des Dames. Temps d’attente, moins de deux minutes. Je saute sur mes pieds et déclare à Jacinthe : « Bon, je vais voir Oppenheimer ! » Elle marmonne un « Bonne soirée » sans lever les yeux de son iPhone. Je vais discrètement récupérer mon pet nat dans le frigo. Juste avant de partir, je lui lance : « T’inquiète ma belle, ça va aller. Une tisane et au lit. Ces influenceurs sont tous des gros teubés. »  Dans le Uber, je regarde la ville dérouler ses trottoirs mouillés. Que c’est triste, Paris en août. Je scrute les rares silhouettes courbées sous la pluie drue, en me demandant si Rabbit_Hole ne serait pas l’une d’elles. J’ai le seum. Je sors mon téléphone pour déverser mon fiel. Je lui écris que de tous les connards que j’ai rencontrés sur Gleeden, et dieu sait qu’il y en a eu, il a vraiment la palme.

La cold case de Gleeden

Et dire qu’il se vantait d’être un mec déconstruit, différent des autres… Avec lui, j’avais le sentiment grisant d’être écoutée, comprise. Je pouvais dire tout ce qui me passait par la tête, même les sentiments les plus honteux. Rien n’était tabou. J’en étais venue à croire qu’il était l’homme parfait, celui qu’il me fallait… Je termine mon pavé en lui précisant que je n’exclus pas de porter plainte contre X (je n’en ferai rien, plus encore que les pompiers, je me méfie des flics). De toute façon, je doute qu’il me réponde. Je vais devoir continuer à vivre sans avoir le fin mot de l’histoire. Sayed restera à jamais une énigme, un cold case.

Le chauffeur ralentit au niveau d’un rade de quartier. Fermé. Je transmets l’info à Nathan qui me fait : « Rah, le mois d’août. T’as une autre idée ? Je viens d’emménager… » Je regarde la pluie crépiter sur le pare-brise. Je n’ai aucune envie d’errer par ce temps de chiottes. J’ai l’impression que les éléments se sont ligués pour doucher ma première soirée de célibataire. En même temps, je n’ai aucune envie de rentrer chez moi. L’idée de me retrouver seule, avec mon ego malmené, me déprime.

Je balance à Nathan : « Sinon tu m’invites chez toi ? Lol » Il commence à rédiger un truc puis, d’un coup, plus rien. Je reste suspendue à mon écran dans l’espoir qu’il reprenne son message. Je me mords la lèvre : mince, j’y suis peut-être allée un peu fort. Il a pris peur. Finalement, il m’envoie : « Ouais la flemme de sortir aussi… Viens ! » (suivi de son adresse et de ses codes d’accès).

Comme de vieux amis 

Je sors du Uber et cours me réfugier sous la porte cochère située deux numéros plus loin. Je compose le code, m’engouffre dans le hall et me mets à monter l’escalier. J’entends une porte s’ouvrir au troisième. Je lève le nez. Nathan m’observe, penché au-dessus de la rampe, en souriant. Il est très mignon. Sur le palier, je lui remets mon pétillant en lui claquant une bise timide. Nathan me remercie et m’escorte à l’intérieur de son appartement. En ôtant mon imperméable, j’observe son décor. Il commente sobrement : « On vient de terminer les travaux, tu es notre première invitée. » Je souris à l’emploi du « notre ». Il rectifie aussitôt : « Enfin, mon invitée. Ma meuf est partie en Bretagne avec la petite. »

Dans la cuisine ouverte, mon hôte sort deux grands verres et farfouille dans les tiroirs à la recherche d’un ouvre-bouteille. J’effleure des doigts le revêtement de l’îlot central. Ultra doux au toucher. « C’est du marbre du Zimbabwe. Y en a pour cinq mille balles. Ça résiste à tout : le chaud, le froid… » précise Nathan en débouchant ma bouteille. J’approuve le résultat en hochant la tête.  

J’ai l’impression étrange que je lui appartiens déjà

Munis de nos ballons, on bascule côté salon. Devant l’élégant canapé Vico Magistretti paré d’une multitude de coussins de formes différentes, Nathan saisit une télécommande pour faire descendre un large écran le long du mur peint en bleu klein. Il démarre le vidéo-projecteur incrusté dans le faux plafond. « Tu n’as rien contre les vieux films ? » me demande-t-il. 

Je pose une fesse timide sur le canapé en m’abstenant de lui dire que je ne suis absolument pas cinéphile. Le générique me renseigne sur le titre : « Sept ans de réflexion ». J’observe un homme accompagner sa femme et son fils à Central Station en retirant mes chaussures. Il les installe à bord du train qui doit les emmener dans le Maine loin de la fournaise new-yorkaise. Je me revois face à mon mari et mes enfants quelques heures plus tôt, à Montparnasse. Si ça trouve Nathan et moi étions sur le même quai, à quelques voitures d’écart…

Rentré chez lui, l’acteur tombe sur sa plantureuse voisine. « C’est Marilyn ? je chuchote à l’oreille de Nathan qui me caresse nonchalamment le mollet. Il va la ken, obligé. » Nathan souffle : « Suspense… » Dans la pénombre, je détaille son profil. J’ai l’impression étrange que je lui appartiens déjà, que je fais, en quelque sorte, partie des meubles. Lovée dans son canapé design, j’ai trouvé une place qui me convient.

La fin du film 

Nathan se lève pour aller à la cuisine. Il revient avec un bol d’olives vertes et quelques gressins qu’il dépose sur l’élégante table basse en travertin. Je note que je suis bien mieux traitée ici que chez Jacinthe voire chez moi. Ça fait belle lurette que mon mari ne se lève plus pendant un film pour me ramener quoique ce soit. Et puis, de toute manière, on ne possède pas de projecteur. Il dit que c’est trop cher et que l’on n’a pas assez de recul dans notre salon. Nathan se rassoit à côté de moi. Je gobe une olive en espérant qu’il reprenne son massage du mollet.

Sa main repose désespérément sur le coussin rond qu’il a placé sur son ventre. Je laisse passer de longues minutes avant d’allonger la mienne pour effleurer sa joue. Il se tourne lentement vers moi et dépose un chaste baiser sur mes lèvres. On se regarde un instant, éclipsant Marylin qui se promène en sous-vêtements dans son appartement sous les yeux ébahis de son voisin esseulé. 

On se roule carrément une pelle. À ce stade, j’ai très envie qu’il me prenne sur son canapé. Mais ma tête m’envoie une nouvelle donnée. Nathan ignore mon vrai prénom. J’interromps notre baiser pour lui avouer que je m’appelle non pas Alice mais Lisa. Nathan sourit de son irrésistible sourire. Ça tombe bien, il préfère les Lisa. « Elles sont dangereuses. Y en a une, une fois, qui voulait ma peau… » murmure-t-il en me basculant habilement sur l’accoudoir, de façon à pouvoir s’offrir mon cou, ma poitrine, mon ventre… Il déboutonne mon jean. J’ai un nouveau flash.

« Je suis journaliste » je m’entends dire tout haut. Nathan relève la tête pour me dévisager. En appui sur mes coudes, je lui explique que je tiens une chronique sur Gleeden pour « ELLE ». Qu’au départ, c’était un taf comme un autre mais que je me suis prise au jeu. Je suis même tombée amoureuse d’un mec, Sayed, enfin Rabbit_Hole, qui se trouve être un « fake »… Nathan allonge sa main pour attraper son téléphone. Il lit d’une voix blanche le titre du premier épisode : « 37 ans, mariée, deux enfants : comment j’ai hacké Gleeden. »

Un mythe comme un autre

« Tu joues avec moi, c’est ça ? » me fait-il paniqué. Au contraire, je suis on ne peut plus sincère. Dès que je l’ai aperçu, penché au-dessus de sa balustrade, j’ai eu envie de lui. Nathan reste silencieux. Je commence à masser son entrejambe du bout de mon pied nu. Il ferme les yeux. Sa stoicité attise mon désir. Je défais sa braguette et glisse sur le parquet en pointe de Hongrie. Je hume son sexe à travers son boxer. Il bande.

Il m’arrête de la paume de la main :

« – Non, je préfère pas… »

« – Pourquoi ? » je réponds, faussement candide.

« – Je sais pas, ça fait beaucoup d’infos là. »

« – D’accord », je dis en me reculant.

« – J’ai très envie de toi Lisa… » grimace-t-il.

L’arête de mon nez suit la courbe de son sexe. Je lève la tête et plante mon regard dans le sien :

« – Moi aussi. »

« – Ouhla. Je sens que je vais terminer dans ton journal là… »

« – Bah évidemment ! »

J’abandonne la partie à contre-coeur.

Nathan se raidit.

« – Hein ? Tu vas tout raconter ? Genre tout ? »

« – Mais non, je changerai deux trois trucs. Comme la couleur de tes yeux par exemple, le  ou le titre du film… Je suis une grande professionnelle. »

« – J’ai l’impression d’être tombé sur la légende de Gleeden » me dit-il sans rire.

Il enchaîne :

« – Mais t’as pas peur que ton mari te grille ?? »

Je prends une lampée de pétillant dans un geste dramatique :

« – Ce soir, j’en ai rien à foutre. »

Nathan place un coussin conique sur son sexe en fronçant les sourcils.

« – Vas-y, on arrête. »

« – Hein ? »

« – C’est trop glauque. »

« – Glauque ? Qu’est-ce qui est glauque ? »

Je suis abasourdie.

« – Je sais pas tout. La situation, ta chronique, toi… »

« – Vraiment ? C’est ce que tu penses ? »

« – Oui. »

« – Donc tu veux pas baiser ? »

« – Non. »

« – OK laisse-moi au moins te sucer ? »

« – Non ! »

« – Allez… »

« – Putain mais t’es sourde ou quoi ?! »

J’abandonne la partie à contre-coeur. Je me lève le plus dignement possible, me reboutonne et ramasse mes affaires. Sur le mur, la robe blanche de Marylin virevolte au-dessus d’une bouche d’égout. J’enfile mes chaussures et prends la porte sans me retourner. Dans les escaliers, je sors mon phone pour commander une voiture. Rabbit_Hole m’a répondu : « Je ne suis peut-être pas celui que tu crois mais sache que je ne t’ai jamais menti, moi. »

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