Santé

Comment écouter le vivant pour se mettre au diapason de la nature ?

 Pour certains ils sont une touche d’exotisme… quand d’autres sortent presque les fusils en les voyant traverser leurs jardins en escadrille : avec leur plumage vert fluo et leur ramage jacassant, les perruches ont colonisé la France. L’espèce a pris ses quartiers dans l’Hexagone à la faveur d’un déchargement raté à l’aéroport d’Orly, dans les années 1970. Depuis, elle a prospéré. Et son chant a remplacé ici et là celui des moineaux, linottes et autres hirondelles. Mais à toute chose malheur est bon, puisque cet intrus aura au moins conduit certains à lever les yeux vers le ciel pour questionner la présence de ces sons incongrus. Et redécouvrir la beauté sonore du monde vivant. Encore plus forte quand elle est variée.

Bien écouter                 

Écouter le vivant : la pratique remonte à la nuit des temps. Pour guetter le danger. Pour l’affût à la chasse. Pour retranscrire en partition la mélodie d’un oiseau. Et c’est la modernité qui, fière de son progrès, a masqué, à nos oreilles, la petite musique de la nature derrière le filtre de ses moteurs. Le compositeur R. Murray Shaeffer fut l’un des premiers à développer le concept d’écologie sonore dans les années 1970 avec son livre « Le Paysage sonore. Le monde comme musique » (éd. Wild Project). Aujourd’hui, de nouveaux métiers ont vu le jour, comme les bio-acousticiens, qui étudient le langage des animaux en vue de comprendre leur façon de communiquer, ou les éco-acousticiens, dont la mission consiste à analyser un milieu naturel à travers les sons pour en tirer des leçons sur l’évolution de l’environnement. Les audio-naturalistes sont de plus en plus nombreux, à mesure que les outils d’enregistrement se démocratisent. Le confinement, bien sûr, et son effet « tiens-il-y-a-donc-de-la-nature-en-ville ? » a aussi questionné le citadin dans son rapport à la vie sauvage. Plusieurs expositions ont, dans le même temps, ouvert les oreilles du plus grand nombre sur la fragilité de ce monde. « Le Grand orchestre des animaux », à la Fondation Cartier, où le bioacousticien Bernie Krause tirait déjà le signal d’alarme en 2016 sur le silence qui vient. Ou « Musicanimale », à la Philharmonie de Paris, qui bruissait du même constat récemment. Ou encore « Les Vivants », au Tri postal, à Lille, au printemps dernier. Des expositions qui éclairent tout autant qu’elles inquiètent : quand toutes les forêts se seront tues, n’écouterons-nous la nature que sous casque ou dans le silence d’un musée ? Contre cette dystopie, ouvrez grand vos oreilles ! Car le monde vivant n’a, fort heureusement, pas encore livré son dernier son…

« Il suffit de tendre l’oreille »

Éco-astoucien, il est en charge de la sonothèque du Muséum national d’histoire naturelle, qui inventorie près de 25 000 sons provenant du monde animal.

ELLE. Que regroupe la collection sonore du muséum national d’histoire naturelle ?

JÉRÔME SUEUR. C’est une collection patrimoniale et scientifique, au même titre que notre herbier, nos collections de fossiles ou de minéraux. Elle regroupe des enregistrements d’oiseaux, amphibiens, insectes, mammifères… Ces documents sonores ont été réalisés par nos équipes ainsi que par des audio-naturalistes, dans le monde entier. C’est à la fois un témoignage d’une diversité sonore à un instant T et un outil pour les scientifiques, qui peuvent y avoir accès afin de saisir l’évolution de nos paysages sonores. Et d’en mesurer la fragilité.

ELLE. Cette collection est donc aussi le témoin des espèces menacées ?

J.S. Il est difficile d’établir un bilan précis de la disparition des sons de la nature, car notre discipline, l’éco-acoustique, est récente Elle s’est structurée dans les années 2010 avec notamment le développement des techniques d’enregistrement automatiques Malheureusement, nous n’avons pas de prises de sons historiques qui nous permettent de faire des comparaisons entre les paysages sonores actuels et ceux des années 1950, par exemple. Mais on sait qu’il y a un très fort déclin de la diversité par la destruction des habitats, le changement climatique, l’agriculture intensive, l’artificialisation des sols, qui conduit, de fait, à une perte de diversité sonore. Par ailleurs, la pollution sonore générée par l’homme perturbe les animaux et leurs écosystèmes. L’Agence pour la transition écologique (Ademe) a, l’an dernier, estimé que celle-ci était la deuxième pollution la plus impactante, après la pollution atmosphérique. C’est pourtant quelque chose à quoi on ne pense pas. Les actions contre le bruit sont souvent des actions de protection. On pose des murs anti-bruits, des doubles vitrages, des casques sur ses oreilles… On se protège, mais on ne travaille pas à réduire les émissions sonores à la source.

ELLE.  Pourtant, on sait que l’écoute des sons naturels a de multiples vertus ?

J.S. On connaît les effets positifs des paysages sonores naturels sur notre santé, notre humeur, notre bien-être. Un habitat naturel silencieux perd de l’intérêt pour celui qui s’y promène. Il faut écouter les sons du vivant, leur diversité extraordinaire, leur imprévisibilité. Nul besoin d’aller dans des contrées exotiques. Il suffit de tendre l’oreille pour entendre, par exemple, le chant du rouge-gorge qui émerge, en ville, du froid hivernal. Même le moustique, si on parvient à dissocier le zizillement de ses battements d’ailes de la future piqûre, peut offrir des variations mélodiques agréables à l’écoute.

À écouter : sonotheque.mnhn.fr/

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