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Emmanuelle Richard sur le féminisme pour révolutionner nos amours : « Plus jamais je ne me remettrai en danger pour quelqu’un »

Quand l’attirance pour la virilité fait mal

« Chez les hommes, j’ai longtemps été attirée par une forme de flamboyance, d’ostentation. Je crois que j’étais émue par la façon de certains de surcompenser une fragilité intérieure en faisant beaucoup de bruit, en prenant beaucoup de place, en jouant de façon outrancière une idée de la virilité.

J’ai perdu beaucoup de temps avec deux hommes de cet acabit. Auprès d’eux, je me minorais, je me faisais petite pour éviter de les effrayer. Il faut dire que ma vie amoureuse s’est compliquée à l’instant où je suis devenue publiquement écrivaine, il y a dix ans. Je me suis beaucoup épuisée à rassurer les hommes… et ça s’est retourné contre moi. Ces deux hommes m’ont crue acquise. Ils n’ont rien compris à ce qu’était le don, la patience. À l’arrivée, ils m’ont beaucoup abîmée. »

Le féminisme pour rêver de nouveau ma vie amoureuse

« Je pense que ces deux histoires m’ont tellement drainée — j’ai tellement été en position de « care » — que mes goûts en matière d’hommes ont, au moins en partie, radicalement changé sans même que je m’en rende compte. Autre facteur qui explique cette évolution : mon travail accompli ces dernières années pour fabriquer mon essai « Les Corps abstinents » puis mon dernier roman « Hommes ». L’écriture est allée de pair avec une actualisation de mes connaissances féministes, plus une déconstruction de mes goûts et de mon parcours amoureux : j’ai entamé une grande réflexion croisée entre ce que j’apprenais et la somme de mes expériences (amoureuses) passées. Et j’ai arrêté de me minorer ; un peu par fainéantise, mais surtout pour m’assumer.

L’évolution de mes goûts en matière d’hommes n’a pas été une démarche active, ni consciente, mais je ne peux pas la décorréler de mon cheminement féministe, ni d’une montée en puissance personnelle. Je constate simplement que chez les hommes, c’est la puissance qui m’intéresse aujourd’hui. La faiblesse de caractère masculine — celle systémique, autorisée, comme s’ils habitaient à côté d’eux-mêmes — qui se traduit en inconséquence, irresponsabilité, lâcheté, agressivité facile, hystérie… ne m’émeut plus du tout. Elle me dégoûte. »

Mon entrée en abstinence

« Ce dégoût s’explique autant par le mal que m’ont fait ces deux relations que par le dessillement venu de ma récente instruction féministe. J’ai été littéralement cassée pendant deux ans, émotionnellement, psychiquement. C’est ainsi que je suis entrée dans une phase d’abstinence sexuelle et romantique. À mes yeux, il s’agissait d’abstinence subie car, même si je n’étais plus apte, j’étais terriblement triste de cette absence de contacts et d’étreintes. J’étais en grande carence affective.

Quand j’ai commencé à m’en remettre, ça a coïncidé à la fois avec « Metoo » et avec mon arrivée dans la trentaine. J’ai commencé à éprouver un immense ras-le-bol de la façon dont les rapports hétéro se jouent : de cette asymétrie fondamentale, notamment concernant la charge contraceptive, la charge de la désirabilité, de l’hygiène, toutes ces innombrables charges qui reposent sur les épaules des femmes. Je n’en pouvais plus de ce que les hommes se permettent en termes de commentaires sur nous, sans jamais s’envisager eux-mêmes. De leurs attentes unilatérales. De leur mécanique du désir, presque toujours univoque, verticale. Ennuyeuse. Je préférais me passer de sexe partagé. Mon abstinence est devenue choisie. »

Une rencontre qui change tout

« Après cinq ans d’abstinence, je suis partie à l’étranger. J’ai vécu une rencontre très importante là-bas : une histoire courte, de quelques semaines à peine, mais qui a refondé toute ma vision des possibles, avec un homme très féministe, sans toutefois jamais le déclarer ni l’évoquer. Ce qui est fou, c’est que ce n’est que durant le travail de préparation de mon roman « Hommes », en fabriquant le personnage positif de Gwyn en grande partie inspiré de lui, que j’ai compris combien, à quelle hauteur et niveau, cet homme l’était, féministe ; et précisément pourquoi tout était bien et simple en sa compagnie. Pourquoi, et en quoi, il s’agissait de la première relation véritablement saine de ma vie. Pourquoi ça ne peut pas fonctionner pour moi avec un homme qui n’est pas féministe en actes. Ça ne pouvait pas marcher avec les autres, même quand j’ignorais être concernée par le mot (il m’a fallu beaucoup de temps avant de me considérer comme féministe).

C’est comme si, en arrêtant de me minorer, tout était devenu plus simple. Comme si, mécaniquement, en cessant de dissimuler pour partie ma force, mon féminisme etc., je m’étais mise naturellement à attirer les rares garçons susceptibles de m’intéresser, et avec qui les choses peuvent fonctionner sainement, dans l’égalité. Il m’aura fallu quasi vingt ans, plus un « MeToo » mondial et quatre années à ne penser qu’à l’hétérosexualité — à ses problématiques et violences sexistes et sexuelles — tandis que je fabriquais ces deux livres, avant d’en arriver à cette conclusion limpide, essentielle, basique, élémentaire : je n’ai pas besoin de me faire plus petite pour qu’on m’aime. Certains hommes, rares, aiment et recherchent les égales. C’est fou. »

Ce que les chagrins d’amour m’ont enseigné

« Après ce trou noir par lequel je suis passée, j’ai acquis cette certitude : plus jamais je ne me remettrai en danger pour quelqu’un, plus jamais je ne perdrai mon centre au sein d’une relation. Le féminisme permet de changer de perspective sur de nombreuses choses, notamment la façon dont on hiérarchise les relations. Je sais que je peux avoir une vie pleine, riche, intéressante avec personne dedans du côté « amour amoureux ». Même si l’amour amoureux est très important pour moi, je peux fonctionner sans. Les tranches de vie sans relations sexo-affectives m’ont permis, a minima, de savoir ce que j’attendais d’une relation une fois écartée la doxa ; de me rencontrer moi.

Je ne choisis et choisirai plus mes partenaires de la même façon. Ce qui m’attire maintenant, ce sont les hommes tranquilles avec leur masculinité, sensibles, aptes à fonctionner dans l’égalité, pas effrayés par le désir ou le plaisir féminin, et qui acceptent leur vulnérabilité. Les hommes doux, attentifs, qui communiquent autant qu’ils écoutent. Qui assument leurs sentiments. Avec qui il est possible de co-construire le discours du désir, d’être tour à tour à l’initiative, dans une horizontalité en actes. Avec qui la tendresse est possible. La gentillesse est un gros turn-on chez moi, tout comme l’intelligence émotionnelle, un état de présence à l’autre. L’assurance calme. C’est ça pour moi, la puissance. Une forme d’ouverture sereine à l’autre. Une confiance en soi qui ne cherche pas à prendre l’ascendant. »

De l’écriture d’« Hommes » à un nouvel homme

« C’est précisément ça que j’essaie de proposer dans mon roman « Hommes » : un nouvel imaginaire érotique, un genre de « réinventer l’amour » incarné en personnages et en situations. J’y érotise une somme de détails et de qualités qui d’habitude… ne le sont pas. Je veux montrer comment les choses peuvent se jouer autrement, à égalité. Et comment ce possible peut-être on ne peut plus authentique, érotique, riche et épanouissant pour chacune des parties ! Je ne suis pas certaine de la nécessité de faire disparaître le concept de virilité (le virilisme, si), de nombreuses femmes ont des qualités codées comme « viriles », mais je crois qu’il est urgent de redessiner cette virilité, urgent de valoriser la réciprocité et le partage, l’échange, l’attention, la considération. La tendresse, loin de toute forme de domination.

Comme tout de même j’aime bien l’amour amoureux, et que ça commençait à me manquer vraiment, j’ai également fabriqué « Hommes » comme une petite annonce courrier du cœur en sous-texte – un jeu de pistes avec tout ce que je déteste et tout ce qui me plaît de la part des hommes à l’heure qu’il est… Quelqu’un a entendu, et est apparu ! »

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