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L’amour impossible de Maria, 67 ans : « Même aujourd’hui, je continue de me dire qu’il va m’appeler  »

Les paroles de la chanson « Ziggy » ont souvent raisonné douloureusement à mes oreilles. Je ne pouvais pas supporter d’entendre ces paroles, c’était comme si le texte parlait de moi. Encore aujourd’hui, j’en ai des frissons. Je suis glacée parce que ces paroles racontent exactement mon histoire. « C’est un garçon pas comme les autres, mais moi je l’aime, ce n’est pas de ma faute. Même si je sais qu’il ne m’aimera jamais… » L’homme qui ne m’aimera jamais, c’était mon meilleur ami gay. Il s’appelait Thierry*… Je n’ai jamais pu l’oublier.  

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La première fois que j’ai croisé son regard, j’ai tout de suite pensé qu’il était jeune. Je me souviens qu’il venait d’avoir dix-huit ans, mais sa beauté m’a instantanément foudroyée. Nous avions cinq ans de différence. J’avais vingt-trois ans, je venais de finir mon école de couture à Toulouse. Dans mon souvenir, c’était le garçon le plus charmant au monde. Une rencontre fortuite qui avait eu lieu grâce à une voisine de palier qui m’avait présenté ce jeune ami d’enfance venu s’installer chez elle pour quelques mois. Il venait d’Andorre, où il avait passé une partie de sa jeunesse avec ses parents. À ce moment, il tentait sa chance à Toulouse pour se lancer dans la vie active.  

Une relation fusionnelle difficile à cerner 

Quand j’ai aperçu ce jeune-homme blond, souriant, aux traits si fins, le corps parfaitement sculpté… J’ai été immédiatement conquise. Sans compter que c’était un garçon avec beaucoup de goût. Dans mon souvenir, il était parfaitement attendrissant, avec de bonnes manières. C’était aussi le portrait craché du chanteur François Valéry quand il était jeune ! On lui disait souvent… Dès nos premiers mots, c’était comme une évidence entre nous. J’étais Espagnole, tandis que lui parlait couramment la langue de Cervantès. Une facilité dans nos échanges s’est instaurée, au point que nous sommes devenus parfaitement fusionnels tous les deux. Le jour de notre première rencontre, j’étais loin de m’imaginer que ce jeune homme fantasque qui arborait fièrement ses santiags et ses jeans moulants venait de débarquer dans ma vie pour ne plus jamais en sortir… ou presque.    

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Les deux appartements étant communicants, nous passions tout notre temps ensemble. Je me souviens de certaines fois où il m’appelait au téléphone pour me demander ce que je voulais manger le soir. « Je vais te préparer quelque chose, tu vas adorer ! », me disait-il. Notre relation était particulièrement difficile à comprendre. J’étais sans doute la première à ne pas pouvoir en cerner tous les contours. Pendant ce temps, je suis tombée lentement mais sûrement amoureuse de lui. Sans rien dire. Quand j’étais jeune, j’étais rongée par une timidité excessive. Même en étant si proche de lui, j’étais tout bonnement incapable de dévoiler mes sentiments. J’ai toujours eu un problème à dire « je t’aime » à quelqu’un… Je pense que je traîne encore aujourd’hui cette incapacité à me montrer vulnérable, même si je me suis soignée avec le temps et les expériences. 

« Tu n’as toujours pas compris ? Mais il est homo, Il aime les garçons Maria ! » 

Avec Thierry, nous avons passé notre vingtaine à rire, faire la fête dans toutes sortes d’endroits… J’ai des millions de souvenirs avec ce garçon. À ses côtés, j’ai découvert le monde de la nuit. Surtout le milieu gay au sein duquel il gravitait, sans que je me pose des questions sur sa propre sexualité. Il ne me montrait pas son attirance pour les hommes. Quand nous étions ensemble, il était toujours très discret. Parfois, il s’absentait pendant quelques minutes, peut-être une heure… Des doutes me traversaient, mais je crois que je n’avais pas vraiment envie de me poser la question. Je ne me doutais pas une seconde de son homosexualité. Un jour, Thierry n’est pas rentré à la maison pendant quatre jours. J’étais morte d’inquiétude. Je me disais qu’il lui était forcément arrivé quelque chose, sans imaginer une seconde qu’il puisse passer du temps chez une de ses nouvelles conquêtes. J’étais crédule.

J’avais fait part de sa disparition soudaine à mes collègues de travail de l’époque pour savoir ce qu’elles en pensaient… Certaines l’avaient déjà rencontré à l’occasion de soirées que j’avais organisées chez moi. « Tu n’as toujours pas compris ? Mais il est homo, Thierry… Il aime les garçons Maria ! », avait lancé l’une d’entre elles à mon encontre. Je ne voulais pas le croire. Malgré mes questions pressantes, Thierry était réapparu sans donner d’explication. Il avait rencontré un copain, un point c’est tout. Plus le temps passait, plus mes doutes prenaient de la place.   

« Je t’aime, mais pas comme tu voudrais que je t’aime »  

La vérité m’a éclaboussée bien des années plus tard. Après de multiples petits boulots dans la restauration, Thierry avait décidé de quitter Toulouse pour la Suisse. Un éloignement qui nous poussait à vivre loin l’un de l’autre. Mais chaque jour, il m’écrivait une lettre comme pour pallier le manque. J’ai gardé précieusement chacune d’entre elles dans des cartons que je n’ouvre que très rarement. Un de ces courriers m’a appris ce qu’il n’avait jamais osé me dire pendant tout ce temps. Il lui a fallu dix pages pour me dire qu’il aimait les garçons. Je me souviens qu’il m’avait écrit qu’il m’aimait profondément, mais pas de la façon dont je le souhaitais. Ces mots m’ont brisé le cœur. J’étais à terre.   

Malgré son coming out, j’ai continué inconsciemment à me bercer d’illusions. Je me souviens de soirées passées à regarder des films d’amour, côte-à-côte dans le lit. Intérieurement, je nourrissais encore cet espoir de le faire changer d’avis. Après tout, je savais qu’il avait eu des aventures avec des femmes avant de se tourner vers les hommes. Pourquoi pas moi, finalement ? C’était ce que je me disais. Le temps apaisant ma passion, j’ai appris progressivement à l’aimer autrement, quitte à mettre de côté le désir que j’ai longtemps éprouvé à son égard. Notre amitié a duré pratiquement trente ans… Trente années d’une relation particulière, entre amour et amitié. 

Pendant tout ce temps, je n’ai pas raté un événement de sa vie. Le jour où il s’est pacsé, j’étais là. Le jour où son compagnon est mort du sida, j’étais là. J’étais là en toutes circonstances. Nous n’avons jamais abandonné le lien qui nous reliait, à part pendant quelques années. Un de ses derniers compagnons ne supportait pas notre complicité. Par jalousie, je pense qu’il a fait en sorte que nous nous perdions de vue. C’est à ce moment-là, sans doute, que j’ai abandonné l’idée de former un couple avec lui, un jour. De mon côté, je n’éprouvais aucune jalousie. D’autant que je m’étais ouverte grâce à Thierry à une autre part de ma personnalité que je n’avais osé regarder en face : ma propre homosexualité. Comme il aimait les hommes, j’aimais les femmes.  

Un amour impossible qui ouvre la porte à d’autres histoires 

Malgré mes conquêtes féminines, j’ai continué à aimer Thierry. L’amour s’était simplement transformé. Dans les dernières années de sa vie, il était reparti en Espagne pour reprendre l’affaire de ses parents : un centre équestre dans la région de Valence. J’ai emmené ma compagne de l’époque dans la région pour passer des vacances avec lui et son compagnon. C’était important pour moi de continuer à perpétuer ce lien, même s’il avait évolué. Mais un beau jour, Thierry ne m’a plus jamais donné de nouvelles. J’ai alors entamé des recherches : une amie qui travaillait à la sécurité sociale a fini par m’apprendre qu’il n’avait plus utilisé sa carte vitale depuis deux ans. Du fait de sa condition de séropositif, il me semblait très étrange qu’il ne poursuive pas ses traitements.   

Quelques temps plus tard, une connaissance m’a dit ce que je craignais du plus profond de mon cœur. Thierry était mort d’un traumatisme crânien à la suite d’une chute de cheval. Quand j’ai entendu ces mots, j’étais inconsolable. Même aujourd’hui, je continue de me dire qu’il va m’appeler. Évidemment, j’aurais aimé avoir autre chose qu’une folle amitié avec lui. Mais à la réflexion, je ne suis pas certaine que notre relation aurait duré trente ans. Finalement, je ne regrette rien… Un amour charnel n’aurait pas duré. Or, mon amour impossible pour lui ne m’a pas enfermée, bien au contraire. D’une certaine manière, Thierry m’a ouvert à qui j’étais profondément. Grâce à lui, j’ai pu vivre beaucoup d’autres histoires d’amour. La boucle était bouclée.  

*Les prénoms ont été changés 

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