Santé

Le développement personnel fait débat : interview croisée

La première, Natacha Calestrémé, est une star du développement personnel, ce nouvel eldorado pour les éditeurs (il représente 32 % du marché du livre en France) et pour les thérapeutes en tout genre. Son dernier livre, qui s’intitule « Se donner toutes les chances » (éd. Albin Michel), ne déroge pas à la règle. La seconde, elle aussi, est une star de l’édition. Humoriste et comédienne, Anne-Sophie Girard a écrit « La femme parfaite est une connasse ! » avec sa soeur Marie-Aldine (éd. J’ai Lu), et vient de sortir « Un esprit bof dans un corps pas ouf. Un livre de développement personnel pour ceux qui n’en peuvent plus du développement personnel » (éd. Flammarion). Il était donc amusant et intéressant de les réunir dans un lieu emblématique : une librairie de quartier. Une rencontre inattendue, pleine de sel et de confidences, où les deux autrices, au-delà de leurs divergences, se sont aussi trouvé un point commun de taille : elles sont toutes les deux jumelles. Interview croisée.

ELLE. – Natacha, qu’est-ce qui vous a poussée à écrire votre premier livre de développement personnel ?

Natacha Calestrémé. –Je suis journaliste et réalisatrice de documentaires depuis vingt-cinq ans et, à une période de ma vie, j’ai rencontré des épreuves. En quatre ans, j’ai connu le chômage, des deuils, des ennuis de santé et des problèmes familiaux. J’étais au bord de la dépression mais je ne m’en rendais pas compte. Il a fallu une double hernie discale pour que je prenne conscience de mon mal-être. Comme je souffrais et que le médecin qui m’avait diagnostiquée s’était contenté d’atténuer ma douleur, j’ai essayé, très dubitative, les protocoles des chamanes et énergéticiens que j’avais interviewés en tant que journaliste. Et ça a marché. Puis ça a marché aussi pour mon entourage professionnel, mes amis, mes voisins avec qui j’avais partagé ces rituels. Mon mari m’a conseillé d’écrire un livre et c’est ce que j’ai fait. Sorti un peu avant le confinement, « La Clé de votre énergie » (éd. Albin Michel), qui n’avait bénéficié d’aucune presse, est devenu un best-seller grâce au bouche-à-oreille. Parmi mes lecteurs, il y en a qui l’achètent douze ou quinze fois pour leurs amis ou leur famille.

ELLE. – Et vous, Anne-Sophie, quel a été votre parcours ?

Anne-Sophie Girard. –J’ai écrit « La femme parfaite est une connasse ! », qui a été un vrai succès. Pendant dix ans, j’ai beaucoup travaillé, je réussissais à peu près tout ce que j’entreprenais et j’étais très épanouie. Fin 2018, je signe avec un producteur un gros contrat pour partir trois ans en tournée avec mon deuxième one-woman-show. Et là, je sens que ça ne va pas. Comme je suis très volontaire et très bonne élève, j’ai voulu savoir pourquoi. Alors j’ai écumé tous les spécialistes de développement personnel. J’étais prête à tout pour aller mieux. Comme je ne trouvais pas de solution, je suis allée voir ma psy et lui ai demandé si je ne devais pas prendre des antidépresseurs. Et elle a eu cette phrase : « Non, car vous n’êtes pas dépressive. Vous êtes malheureuse, c’est différent ! » La claque ! Je me suis tournée vers le yoga, l’EMDR, l’hypnothérapie, je me suis même levée à 5 heures du matin pour faire mon «  miracle morning », mais rien n’a marché. Plus je travaillais à être la meilleure version de moi-même, et plus j’étais mal. Et puis un jour, mon corps a dit stop. J’ai fait un burn-out et développé un vitiligo. Je ne pouvais plus travailler.

ELLE. – Une fois rétablie, vous avez décidé d’écrire « un livre de développement personnel pour ceux qui n’en peuvent plus du développement personnel ». Pourquoi ?

A.-S.G. Ce livre est né d’une colère. J’étais très énervée par tout ce que le développement personnel m’avait mis dans la tête : des mantras du style « quand on veut, on peut », « sky is the limit ». J’ai eu l’impression de m’être fait arnaquer. Je me suis dit qu’il y avait un danger dans ces livres. Dans cette injonction à être « une meilleure version de moi-même », j’ai entendu qu’être moi ça n’était pas encore assez ! C’était toujours plus, toujours mieux, et ça, ça m’a poussée à bout !

Nous ne sommes pas capables de tout et tout n’est pas de notre faute

ELLE. – Qu’en pensez-vous, Natacha ?

N.C. –Cela dépend de ce que l’on met derrière le mot « développement personnel ». J’y ai vu surtout une manière d’aller mieux, car je me sentais mal. Pour moi, derrière ce concept, il n’y a pas une idée de volonté. Toute mon expérience m’a démontré le contraire. On sait aujourd’hui, grâce à la psychogénéalogie, que lorsqu’un parent, ou un grand-parent, vit une épreuve, nous sommes impactés. Par exemple, et c’est souvent le cas chez les femmes, si une ancêtre a été invitée à se faire discrète, pour ne pas se faire violenter, on trouvera la trace de cette épreuve dans sa descendance.

A.-S.G. Si on parle de nos mères ou de nos grands-mères, il y a de fortes chances, en effet, qu’elles aient été invisibilisées dans les années 1940 ou 1960, c’est un fait de société, pas un problème de lignée !

ELLE. – Mais lorsque vous proposez des protocoles à suivre à la lettre, Natacha, il y a bien une part de volonté ?

N.C. –C’est une question d’intention, pas de volonté. Je dirais que la raison pour laquelle Anne-Sophie et bien d’autres gens sont en colère, c’est parce qu’ils se sentent perdus. Ils ne savent pas vers qui se tourner. Et la crise du Covid a montré que les experts médicaux ne s’entendaient pas entre eux et s’écharpaient par médias interposés. Du coup, les gens se tournent vers un guérisseur ou un kinésiologue, et c’est la course à l’échalote. On peut tomber sur des charlatans qui vous disent tout et son contraire, quand on ne va pas voir une voyante qui vous conseille de ne rien faire car vous allez rencontrer le prince charmant ! Et là je dis au secours, car les dégâts sont phénoménaux. Ce que je propose dans mon dernier livre, après avoir interviewé des experts, c’est de se dire que chacun d’entre nous a un rôle à jouer. La maladie ou les épreuves ont quelque chose à dire sur nous. Quand on comprend ce qu’elles signifient, on peut déculpabiliser et chercher des solutions auprès d’un thérapeute. Et, surtout, arrêter de papillonner.

Anne-Sophie Girard et Natacha Calestrémé © Florence Brochoire

ELLE. – Le développement personnel ne serait donc pas le tout à l’ego, comme l’écrit Anne-Sophie ?

N.C. –Je ne suis pas d’accord. Je crois qu’au contraire, il permet de se relier à une énergie qui nous dépasse – ça peut être la nature ou l’univers – et qui nous sort de notre ego.

ELLE. – Anne-Sophie, vous citez Julia de Funès qui dit : « Puisque le moi devient l’unique norme, l’individu devient l’unique responsable de son bonheur et de son malheur. » Ce qui évacue le social et le politique, et fait peser sur nous une grande responsabilité…

A.-S.G. –C’est une pression énorme. Et je pense que cette pression est inutile car il y a beaucoup de choses qui nous échappent et qui ne sont pas de notre fait. Nous ne sommes pas Dieu, nous ne sommes pas capables de tout et tout n’est pas de notre faute.

N.C. –Je trouve vraiment dommage que certains pensent aujourd’hui que le développement personnel nous ferait du mal. Et qu’il reposerait sur une injonction. Ce n’est pas du tout ma vision des choses ! Lorsque vous écrivez, Anne-Sophie, que « certaines blessures ne sont pas résorbables ni cicatrisables », c’est une injonction à l’impuissance, et je trouve ça pire. Ce que je veux montrer dans « Se donner toutes les chances », c’est le pouvoir du mental. Lorsqu’on parle de méthode Coué ou d’effet placebo, c’est une manière de dire « quelle belle rigolade ». Et pourtant, lorsqu’un médicament est testé avant d’être mis sur le marché, on le compare… à un effet placebo. Celui-ci fonctionne à 70 % pour les migraines et les dépressions, et à 90 % pour l’arthrose ! Le cerveau a des pouvoirs inconnus qui sont phénoménaux. À partir du moment où vous avez foi en quelque chose, vous mettez toutes les chances de votre côté pour aller mieux.

ELLE. – Vous diriez, Natacha, qu’il y a une solution à tout ?

N.C. –Non, mais, pour moi, la vie est un apprentissage. J’ai pour habitude de dire que chaque épreuve est un cadeau mal emballé. À partir de cette vision-là, on peut faire un pas de côté et se poser la question : qu’est-ce que cette épreuve a à dire de moi ? Qu’est-ce qui demande réparation ?

A.-S.G. –Mais tout demande réparation ! Est-ce qu’on ne met pas beaucoup d’énergie à essayer de réparer les choses alors que, déjà, si on les acceptait, ce serait mieux.

N.C. –Perdre la santé, un enfant, c’est grave.

A.-S.G. –C’est un drame mais on ne peut rien y faire. Acceptons-le comme un drame.

N.C. –Si vous prenez le temps de rencontrer des personnes qui ont perdu un enfant et, en premier lieu, je pense à mes parents, vous verrez que ce sont des gens qui se sont transformés. Lorsque ma soeur est morte, mon père, qui était  hypocondriaque, s’est dit : je ne serai plus jamais malade. Ma mère a 82 ans, elle continue à travailler et fait des médiations pour les travailleurs sociaux. Elle leur apprend, à travers des marionnettes, à exprimer le non-dit, pour que les enfants qui n’arrivent pas à parler puissent exprimer leur souffrance. Depuis que ma soeur est morte ma mère se transcende à travers son activité.

A.-S.G. –Si on ne met pas du sens sur un drame, c’est invivable ! C’est une question de survie.

ELLE. – Le développement personnel, c’est aussi le bonheur à tout prix…

A.-S.G. –Oui, ces phrases ultrapositives sur les réseaux sociaux, ces mantras, c’est insupportable. Je suis O.K. avec le dernier livre de Natacha qui parle de la douleur, et on ne peut qu’être d’accord avec ça. Je ne suis fermée à rien. Mais tout ce qui est transgénérationnel, ça ne me parle pas du tout. Par exemple, aller fouiller du côté de mes ancêtres, pour moi, c’est trop. Gratter jusque-là, je me dis que ce ne sera jamais terminé ! À quel moment on apprécie ce qu’on a ? J’ai eu de gros succès, mais à chaque fois il y avait une étape supplémentaire. Si on veut toujours plus, à quel moment on kiffe sa vie ?

N.C. -Pour moi, cela a fonctionné. J’avais un problème d’invisibilité. J’étais réalisatrice et, même dans ma famille, on ne faisait référence qu’aux films de mon mari Stéphane Allix. Je me suis alors rendu compte que je n’avais appris à connaître ma grand-mère qu’à la mort de son mari, à 75 ans. J’ai fait un protocole de libération émotionnelle et, le lendemain, RTL m’appelait pour m’interviewer à propos d’un roman sorti six mois auparavant. Pourquoi je ne l’ai pas fait plus tôt ?

A.-S.G. –Car pour vous tout est lié ?

N.C. –Bien sûr. Regardez les témoignages sur les réseaux sociaux de gens qui ont suivi mes protocoles et vous verrez que ça marche pour eux aussi.

Je voudrais dire aussi aux gens : la réussite, c’est une arnaque !

ELLE. – Anne-Sophie, vous écrivez dans votre livre que le problème du développement personnel, c’est aussi cette exploitation de soi par soi…

A.-S.G. –Oui, et le problème de considérer sa vie comme une entreprise est qu’on peut vraiment se mettre en échec  et déposer le bilan. Même en termes de bonheur, d’amour ou de sexualité. Moi, par exemple, je m’étais fixé des objectifs de fous !

ELLE. – Lesquels ?

A.-S.G. –Je suis restée célibataire pendant huit ans parce que mes objectifs étaient inatteignables. Je recherchais le mec parfait et j’avais toute une liste de choses rédhibitoires. Par exemple, s’il faisait une mauvaise blague ou s’il portait des chaussures moches au premier rendez-vous, je ne le revoyais pas. J’ai revu toutes mes exigences à la baisse, ce qui n’est pas très sympa pour mon amoureux que j’adore et qui est le père de ma fille ! Mais la réalité est que si je n’avais pas révisé mes objectifs à la baisse, cela m’aurait empêchée de le rencontrer il y a cinq ans. Et il ne m’aurait pas revue non plus car il avait les mêmes exigences.

ELLE. – Et pour vous, c’est symptomatique des injonctions du développement personnel ?

A.-S.G. –Complètement ! Car, comme je recherchais la meilleure version de moi-même, je recherchais le meilleur homme de ma vie. Je voudrais dire aussi aux gens : la réussite, c’est une arnaque ! En tant que comédienne et humoriste, j’avais des rêves auxquels je me suis accrochée. J’ai fréquenté des personnes qui étaient numéro un dans leur domaine et je me suis aperçue qu’ils n’étaient pas si heureux que ça. Numéro un, c’est la pire des places. Tu es très seul, et tu ne peux que redescendre. Je conseille la place de numéro trois. J’ai fait des concours d’humoristes et les pires concours sont ceux que j’ai gagnés. J’étais numéro un, mais j’étais mise à l’écart, les perdants se retrouvaient à se bourrer la gueule ensemble et ils s’amusaient comme des fous.

ELLE. – Alors, pour ou contre le développement personnel ?

A.-S.G. Pourquoi pas, mais apprenons à nous ficher la paix et à ne pas être trop exigeants envers nous-mêmes. Lorsque vous êtes malheureux, c’est O.K., assumez-le, n’essayez pas de faire croire à tout le monde que vous allez bien. Quand je vois des gens qui n’affichent que leur bonheur sur Instagram, j’ai envie de leur faire des câlins. Ça doit être tellement dur de faire croire que tout va bien tout le temps !

N.C. Moi, je dirais qu’il faut dissocier la vraie vie de la vie des réseaux sociaux. Et que pour sortir d’une situation critique, parce qu’on n’a pas de travail ou un problème familial, le développement personnel a toute sa place.

Les livres d’Anne-Sophie Girard (éd. Flammarion) et de Natacha Calestrémé (éd. Albin Michel).

Les livres d’Anne-Sophie Girard (éd. Flammarion) et de Natacha Calestrémé (éd. Albin Michel).

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